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Jocelyn Kwok : «Nous avons urgemment besoin de 1 500 à 2 500 travailleurs étrangers»

Le secteur de l’hôtellerie faisant face à un manque de main-d’œuvre, des opérateurs pourront être appelés à plafonner des réservations si les autorités se montrent rigides sur le recrutement de travailleurs étrangers. C'est l’avis de Jocelyn Kwok, le Chief Executive Officer de l’Association des Hôteliers et Restaurateurs de l'île Maurice (Ahrim).  

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Le ministre du Tourisme a annoncé, mardi, l’organisation prochaine d’un atelier de travail pour débattre de la question du recrutement des étrangers dans le tourisme. Cela, pour pallier le manque de main-d’œuvre. Il ne veut pas que des décisions soient prises « brit-brit ». Comment accueillez-vous cette décision ?
Mettre autour d’une même table tous les acteurs concernés est définitivement la démarche appropriée. Il nous faut réfléchir à cette problématique majeure pour la reprise de manière objective, établir les faits qui permettront une réelle compréhension des enjeux afin de déterminer les solutions les plus indiquées, dans l’immédiat et dans les moyen et long termes. Il y a plusieurs aspects à considérer : l’attractivité du secteur, celle des autres secteurs, plus jeunes ou plus rémunérateurs, nos soucis de démographie ralentie, le résultat de nos politiques nationales d’éducation et de formation technique, notre ouverture totale vers l’émigration, temporaire ou permanente… Tout cela doit être discuté de manière claire et sans ambiguïté. 

Quelles seront les revendications de l'Ahrim?
Nous avons, depuis un moment, alerté le ministère du Travail sur les différentes problématiques de notre industrie. La priorité aujourd’hui, dans un contexte de reprise, est de trouver des solutions urgentes au manque aigu de main-d’œuvre pour la saison haute qui a déjà commencé. Il y a notamment le manque d’ambitions de l’École hôtelière Sir Gaëtan Duval, qui préoccupe fortement l’industrie ; nous avons du mal à comprendre comment on a pu en arriver là ! Il y a aussi le mouvement de nos employés vers les bateaux de croisière, même s’il s’agit de contrats à durée déterminée. Selon nous, il est impératif pour l’État de réclamer aux nouveaux employeurs que sont ces bateaux de croisière une participation à l’effort national de formation. Si nos structures nationales forment pour des emplois ailleurs qu’à Maurice, l’État doit pouvoir récupérer une partie de son investissement. Cela va de soi.

L’atelier de travail étant prévu le mois prochain, nul ne sait quand une décision sera arrêtée. Avec la saison haute qui approche, ne pensez-vous pas que la question méritait une attention urgente ?
Les questions urgentes sont traitées directement avec les différents ministères concernés. Cet atelier de travail est un pas nécessaire pour dégager des solutions convergentes et durables pour toutes les parties prenantes. Nous restons constants dans notre recherche de solutions pour l’industrie. Et le recours à la main-d’œuvre étrangère, tout de suite et pour pallier de manière temporaire le manque actuel de personnes dans l’industrie, est une de ces solutions. C’est crucial pour la cuisine et le service en salle.

Est-ce qu’entre-temps le service risque d’en pâtir ?
C’est déjà le cas. Certains « Guest Reviews » sont dures, malgré notre sourire. Il y a de la frustration par rapport à la baisse de la qualité. Nous ne pouvons faire comme si tout allait bien. C’est logique : si 10 personnes doivent faire le travail de 15 personnes, le service en pâtit, l’employé est davantage sollicité. Actuellement, ceux restés fidèles à l’industrie doivent compenser le manque de main-d’œuvre. Engagés et passionnés, ils s’accrochent, continuent à sourire. Jusqu’à quand ? Pour être juste envers eux, ne faut-il pas relâcher cette pression et leur permettre de garder leur sourire naturel face au touriste ? Nous avons urgemment besoin de 1 500 à 2 500 travailleurs étrangers pour conserver nos chances de réussite. Il faut faire confiance au jugement de l’hôtelier, qui saura affecter tout son personnel, composé de locaux et d’étrangers, dans les postes qu’il jugera appropriés pour maintenir la promesse au touriste. 

Surtout, il faut arrêter de ne mettre en avant que la dureté des métiers de l’hôtellerie, d’attiser un sentiment de négativité par rapport à ces emplois, de démotiver nos employés d’hôtels. On peut comprendre qu’une agence de recrutement qui a besoin de puiser dans notre bassin pour des postes à l’étranger ait tout intérêt à nourrir ce discours dénigrant. C’est son fonds de commerce. Mais il faut s’en protéger ; ce discours ne rend pas service au pays.   

En cas de refus du gouvernement, les hôteliers disposent-ils d’un plan B ?
Le plan B, c’est contrôler le nombre de clients à tout moment dans l’établissement. Il est déjà activé à divers degrés. Les équipes commerciales ne vendent pas toutes les chambres. Cela peut créer des conflits entre équipiers dans chaque hôtel car chacun a ses propres indicateurs de performance. Mais comment reprocher à un opérateur économique, dont la réputation est au centre de la valeur de son business, de vendre un produit ou un service qu’il n’est pas en mesure d’offrir ? Donc, malheureusement, ce plan B, c’est de plafonner des réservations, au plus fort des pics, comme l’ont fait bien d’autres opérateurs dans d’autres pays, et non des moindres.

La main-d’œuvre étrangère dans nos hôtels ne fait pas l’unanimité. Certains estiment que c’est l’accueil et le sourire des Mauriciens que les touristes cherchent avant tout. Qu’en pensez-vous ?
C’est bien d’entendre ce genre de compliment et je pense que c’est largement justifié. Mais sans service, le sourire ne vaut rien et peut même être totalement contre-productif. Nous avons d’abord un problème de nombres, et il faut une solution de nombres. Le reste suivra, car il repose d’abord sur des personnes physiquement présentes. Comme je vous l’ai dit plus haut, nous sommes en train de compromettre le sourire mauricien, en travaillant avec moins de personnel. 

Pensez-vous que des étrangers soient en mesure d’offrir le même niveau de service que des Mauriciens ? 
Oui, largement. Le tourisme est la première industrie globale, des écoles hôtelières de qualité ont fleuri en Asie, au Moyen Orient, en Afrique. Je ne crois pas que cette question soit pertinente en 2022.
Dans le contexte économique actuel, les opérateurs sont-ils en mesure de proposer des conditions plus favorables pour attirer, d’une part, et maintenir, d’autre part, des Mauriciens dans l’hôtellerie ?

Dans leur grande majorité, les opérateurs hôteliers ont fait des efforts pour améliorer les conditions de travail, apporter plus de flexibilité, de formation, de « welfare » et d’avantages sociaux. Par ailleurs, nos efforts sur le salaire et les autres conditions de travail restent limités. La sortie de crise, l’inflation sur les coûts d’opération et l’incertitude économique de 2023 pèsent sur notre capacité économique. Vous devinez bien que toutes les difficultés qu’un ménage peut rencontrer, du prix de l’essence à celui de l’huile, ce sont les mêmes pour l’hôtelier, en 10 ou 100 fois plus grands. 

Par contre, si nous initions certaines mesures nous permettant de mieux aménager la compétitivité de la destination, au niveau des prix, oui, pourquoi pas ? Par exemple, il est connu que notre billet d’avion, plus cher que pour les autres destinations, nous force à vendre nos chambres moins chères que les autres. Nous payons tous les facteurs de production au prix fort, l’électricité, l’eau, la gestion des ordures, le loyer de bail, etc. Nous payons aussi 0,85 % de notre chiffre d’affaires au titre de l’Environment Protection Fee. La situation est différente pour d’autres secteurs. Puis, le Catering and Tourist Industry Remuneration Order ainsi que la Workers Rights Act encadrent les conditions de travail de telle manière que les forces du marché ne peuvent faire grand-chose pour hisser les salaires. Ce sont les économistes qui le disent ; les forces du marché dictent le cheminement et l’État intervient pour corriger des anomalies et prévenir les abus. Dans notre cas, on fait l’inverse…

Comment rendre plus attractifs les métiers du tourisme ?
L’amélioration des heures de travail et du salaire passe d’abord par une main-d’œuvre suffisante, en nombre et en qualité. Cela dit, tout choix de rester ou de partir est d’abord individuel. Chaque employeur a son identité, sa culture et son comportement. Et il y a suffisamment d’employeurs et d’employés pour assurer un équilibre productif et non éphémère. 

Par contre, quand des agences viennent recruter avec une promesse économique d’un autre monde, l’employeur qui perd ses salariés doit pouvoir lui aussi aller chercher des solutions ailleurs. Cela s’appelle un « level-playing field ». Refuser cet effort de l’employeur mauricien est contre-productif. 

Les emplois dans le tourisme restent très attractifs et il faut les proposer à des personnes qui sont prêtes à les prendre, comme on l’a fait déjà pour le textile, la construction, la boulangerie et le secteur des TIC. Ces personnes, tout Mauricien peut les voir dans les stations-service, les fast-foods, à la caisse des supermarchés.

Les négociations entourant la compensation salariale démarreront bientôt. Le secteur hôtelier redoute-t-il cet exercice dans un contexte inflationniste ?
Redouter est un terme un peu fort. Il y aura compensation, et la capacité individuelle de payer déterminera s’il y aura sourire ou grincements de dents, chez tous les opérateurs économiques et pas seulement l’hôtellerie et la restauration.

Selon les dernières statistiques, sur les trois derniers mois, Maurice a enregistré un taux de récupération de 81 % des arrivées touristiques par rapport à 2019. Est-ce satisfaisant ?
Très satisfaisant. L’objectif est de parvenir à 72 % pour l’année. Nous en sommes déjà à 66 % pour les neuf premiers mois, contre seulement 58 % pour le premier semestre. La progression est donc constante et stable.

Les revenus par touriste en dollars ont augmenté de 35 % alors que le séjour moyen à Maurice a grimpé de 15 %. Pouvons-nous nous réjouir que les voyants soient pratiquement tous au vert ou devrions-nous nous montrer prudents ?
Certainement. Il faut cependant reconnaître que le profil actuel du voyageur est légèrement plus élevé. Ce qui est parfaitement compréhensible vu le contexte économique. Donc, si les hôtels font bien, par contre on en sait moins sur les autres opérateurs d’hébergement hors hôtel. Les observations sur le terrain indiquent une progression plus lente dans la reprise de leurs activités.

Toutefois, certains observateurs s’attendent à une baisse du nombre de touristes en 2023. Une conséquence de la perte du pouvoir d’achat en Europe et en Asie. Est-ce que cela se reflète déjà dans les réservations pour l’année prochaine ?
Non pas vraiment. Mais les appréhensions sont bien réelles et il faudra se préparer à affronter ces scenarios moins réjouissants. Nos marchés étant très diversifiés nous permettent tout de même de mieux résister à ce genre de situation.

La MTPA multiplie ses efforts à l’étranger et le ministre du Tourisme a promis plus de déplacements. Est-ce suffisant, selon vous, pour attirer plus de touristes ?
Il y a du travail constant qui est accompli depuis des années et qu’il ne faut pas arrêter de faire. Nos concurrents innovent, nos clients deviennent plus sophistiqués et quelque fois moins tolérants, il faut continuellement diversifier nos marchés, notre produit doit maintenir son identité, le service doit suivre derrière avec le sourire – toujours tenir la promesse et se dire que c’est d’abord un marché de prescription où le meilleur vendeur est celui qui a déjà visité Maurice. Il y a tout à faire dans ce domaine et les ressources ne seront jamais suffisantes. Oui, tout le monde s’y met, les autorités, les lignes aériennes, les opérateurs et les partenaires à l’étranger…

Partagez-vous l’optimisme du ministre du Tourisme qui est d’avis que Maurice pourra se rapprocher de l’objectif d’atteindre un million de touristes d’ici fin 2022 ?
Oui, tout indique que nous allons y parvenir si nous nous en donnons les moyens.

Maurice bénéficiera de l’apport de la Banque mondiale pour la rédaction d’un plan stratégique pour le secteur du tourisme pour les 10 prochaines années. Quels devraient être les grands axes de cette étude ?
Je pense que notre positionnement entre une destination de vacances de rêve et une économie florissante d’investissement et d’affaires reste un challenge qu’il nous faudra gérer et orienter dans la bonne direction. Puis, il y a la question du dimensionnement, du scoping ; nous voulons un tourisme de quel niveau et de quelle envergure, pour quelle taille d’aéroport, quelles formations, quelle capacité d’accueil des bateaux de croisière et quelle taille de population étrangère que nous voulons attirer et intégrer comme résidents ici. Il faut chiffrer et mettre des proportions. Il y a enfin la question de tourisme durable. L’impact et l’acceptabilité des vols long courrier, la fragilité de nos zones côtières et de notre biodiversité, et la faiblesse de notre agenda de ‘sustainability’, notamment le décalage trop visible entre les hôtels et le reste du territoire national.

 

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