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Judiciaire : le droit mauricien, entre tradition française et pragmatisme local

Me Manoj Appado explique que le droit français a également marqué notre cadre juridique.

Plus de trois siècles après l’arrivée du navire Diane en 1715, les lois françaises continuent de façonner la vie quotidienne à Maurice. De l’économie aux tribunaux, cet héritage colonial reste un pilier du système juridique.

1721

Les fondations françaises

Maurice possède un système juridique unique, mêlant influences françaises et anglaises. Me Manoj Appado, avoué, explique : « Les concessions de terres faites durant la colonisation française ont encore un impact aujourd’hui, , plus de 300 ans après, sur le plan juridique et politique. »

Tout commence en 1715, avec l’arrivée du navire Diane, dont les passagers s’installent près du Jardin de la Compagnie. 

Me Appado précise : « Certains disent que les Phéniciens ou les Arabes ont découvert l’île avant les Français. Mais les Portugais et les Hollandais n’ont laissé qu’un faible héritage juridique. »

Sous la domination française, le Conseil Provisoire Provincial et la Cour d’Appel sont créés, tandis que l’influence de Louis XIV et de son ministre Colbert se fait sentir jusqu’à Maurice. La Révolution française de 1789 marque un tournant : le droit devient plus laïc.

1805

Le Code Napoléon traverse les siècles

En 1805, le Code Napoléon arrive à Maurice, suivi du Code Decaen, du Code Noir (pendant l’esclavage), puis du Code Delaleu après l’abolition. Le Code de la procédure civile, le Code de commerce français et le Code pénal renforcent cette influence.

« Napoléon disait que son Code civil traverserait les siècles. C’est exactement ce qui s’est produit à Maurice », souligne Me Appado. Aujourd’hui, le droit des contrats repose sur ce Code, mais devant les tribunaux, c’est la Common Law anglaise qui s’applique : un paradoxe typiquement mauricien.

1810

Capitulation et continuité

Quand les Français capitulent en 1810, les Britanniques assurent une transition douce. Me Appado explique : « Le lendemain de la capitulation, tout est resté comme avant. Les Britanniques ont promis de garantir la langue, la religion et la culture françaises. »

La langue française, présente depuis 1715, est préservée, même si l’anglais devient progressivement la langue officielle pour les procédures judiciaires, en vertu du Courts Act. À l’Assemblée nationale, l’anglais est obligatoire, mais le français reste autorisé. Fait étonnant : la Constitution ne prévoit aucune langue officielle. L’avoué cite Auguste Toussaint, qui, dans son livre « Histoire de l’île Maurice » (publié en 1972), aborde cette polémique linguistique.

Un système hybride, mais efficace

Aujourd’hui, Maurice combine droit civil français et Common Law anglaise. Selon Me Appado, cette dualité présente des avantages et quelques défis. Il cite le professeur Jean-Baptiste Seube, de l’Université de l’île de la Réunion : « Étudier le droit ici est encore plus complexe qu’en France à cause de ce mélange. » 

D’autres législations internationales ont également influencé notre cadre légal, comme l’Insolvency Act, inspiré de la loi néo-zélandaise. La jurisprudence joue aussi un rôle essentiel : des affaires comme Rose-Belle Sugar State v Chateauneuf (1990) ou Ah-Seek v State (2023) montrent comment les juges adaptent le droit aux réalités locales.

Défis du XXIe siècle

Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, des contrats intelligents et des nouvelles technologies, le droit mauricien est en pleine mutation. Me Appado conclut : « Entre tradition française et pragmatisme local, notre système continue d’évoluer, fidèle à son ADN hybride. »

Quand Maurice devance la France

En 1980, Maurice introduit le droit d’usufruit du conjoint survivant, devançant même la France. Ce changement est le fruit de la vision de Sir Seewoosagur Ramgoolam, du professeur Robert Louis Garron et de Me Edwin Venchard.

L’émergence du droit mauricien est souvent négligée, constate Me Manoj Appado. Pourtant, chaque année, de nombreux textes de loi sont amendés pour soutenir l’économie : Finance Miscellaneous Act, Planning Development Act, Landlord Amendment Act (2022), Economic Development Act, Non-Citizen (Restriction) Act, et les projets Smart City. Mais l’aubaine demeure notre Constitution, la loi suprême du pays, qui garantit le « Rule of Law » et la « Separation of Powers ».

Un hybridisme qui dépasse les tribunaux

Le système hybride mauricien ne se limite pas aux salles d’audience. Il façonne l’économie, la société et la culture de l’île, créant un avantage compétitif unique dans la région.

La maîtrise du français, de l’anglais et du créole permet aux entreprises de négocier plus facilement et d’accéder à de nouveaux partenaires, renforçant ainsi la compétitivité globale, explique Me Appado. Un environnement multilingue favorise le développement de compétences linguistiques et interculturelles, essentielles pour l’innovation et la productivité.

Parler anglais et français rassure les investisseurs étrangers. La diversité linguistique et culturelle crée un climat propice aux investissements, offrant stabilité et ouverture, ajoute-t-il.

D’autre part, la coexistence de plusieurs langues et cultures stimule la créativité et permet de développer des produits et services adaptés à une clientèle mondiale. Elle réduit également les fractures sociales et favorise une participation économique plus large, pour une croissance équitable et durable.

« En résumé, le système hybride favorise le développement économique en créant un environnement propice à l'échange international, en renforçant les compétences des acteurs économiques et en stimulant l'innovation. Cette approche multilingue et multiculturelle se traduit par une plus grande attractivité pour les investissements et une meilleure capacité d'adaptation aux défis du marché globalisé », souligne l’avoué.

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