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Intempéries et travail : comment protéger les employés sans paralyser les activités économiques?

La disparité entre les travailleurs du secteur public et ceux du privé engendre la confusion et la frustration.
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La gestion des intempéries à Maurice révèle une inégalité entre les secteurs public et privé. En l’absence de protocoles clairs, employés et employeurs naviguent entre incertitude et exposition aux risques. Face à cette situation, syndicats et représentants du patronat appellent à la mise en place de directives précises, adaptées aux spécificités de chaque secteur. Ce qui garantira la sécurité des travailleurs tout en préservant la continuité des activités économiques.

Ashvin Gudday, syndicaliste.
Ashvin Gudday, syndicaliste.

Les épisodes de fortes pluies sont devenus une réalité récurrente à Maurice et posent un défi constant pour les employés et pour les employeurs. Alors que le secteur public bénéficie de directives claires en cas d’intempéries, le secteur privé est souvent dans une zone grise. Les décisions reposent sur les politiques et les exigences spécifiques des entreprises. Cette disparité engendre la confusion et la frustration parmi les travailleurs. Les averses torrentielles du 30 avril ont une fois de plus mis en lumière l’urgence de repenser les protocoles et les mesures à adopter pour concilier la sécurité des employés et la continuité des activités économiques.  

Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress.
Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress.

Le syndicaliste Ashvin Gudday, de la General Workers Federation (GWF), dénonce la gestion des ressources humaines lors des pluies torrentielles à la veille de la fête du Travail. Selon lui, les autorités n’ont pas retenu les leçons du 15 janvier 2024, quand deux travailleurs sont morts dans le sillage de la tempête Belal. Il salue la décision de protéger les fonctionnaires, mais juge inacceptable que près de 550 000 travailleurs du secteur privé aient dû attendre plusieurs heures pour obtenir l’autorisation de rentrer chez eux. « C’est comme s’ils étaient imperméables », dit-il. Il critique le fait que des décisions cruciales soient laissées à Business Mauritius, au détriment des travailleurs. Pour lui, la solution est claire. « Dès qu’un communiqué officiel est émis en cas de danger extrême, il doit s’appliquer à tous les travailleurs, sans distinction. Ce qui nécessite un amendement à la Workers’ Rights Act », avance-t-il. Il plaide aussi pour que les comités de gestion de crise lors des intempéries incluent des représentants syndicaux. Il préconise un plan de gestion des risques, avec une attention particulière aux personnes vulnérables. 

Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress, déplore l’absence de mesures concrètes pour protéger les employés du secteur privé face aux aléas climatiques. « Les appels au bon sens des employeurs restent souvent lettre morte, car la logique du profit prime », avance-t-il. Selon lui, les fonctionnaires sont mieux protégés en cas d’intempéries, tandis que les travailleurs des services essentiels restent exposés sans couverture adéquate. Il recommande une assurance gratuite pour ces derniers. Face aux effets du changement climatique, il réclame une politique nationale de protection pour tous les travailleurs et leurs familles. « Il faut favoriser le télétravail, revoir les horaires et réduire temporairement les jours de travail selon les conditions climatiques », propose-t-il. Pour lui, l’économie ne doit pas l’emporter sur la vie humaine. « On peut rattraper les retards, mais pas remplacer une main-d’œuvre perdue », fait-il observer.

Commerce : Un système d’alerte et d’information en temps réel via SMS ou une application mobile recommandée 

Dominique Filleul, président de la General Retailers Association.
Dominique Filleul, président de la General Retailers Association.

La General Retailers Association constate que, de manière générale, les commerçants s’efforcent de respecter les consignes émises par les autorités et la météo en période d’intempéries, en particulier lors d’alertes cycloniques ou de fortes pluies. « Cependant, des disparités peuvent subsister dans l’application des mesures de protection des employés dans certains secteurs », explique Dominique Filleul, président de l’association. Dans le commerce, dit-il, les grandes surfaces appliquent généralement les consignes de sécurité officielles. Il y a l’arrêt des activités en alerte 3, des dispositifs d’évacuation et pour s’abriter.

Tandis que les petits commerces, souvent à court de ressources, peinent à mettre en œuvre des mesures efficaces. « En l’absence de lignes directrices claires pour les alertes de niveau inférieur comme les pluies torrentielles, les décisions sont prises au cas par cas. Ce qui peut exposer certains employés à des risques évitables », explique notre interlocuteur. Selon lui, il est essentiel d’adopter une approche plus structurée. « Premièrement, mettre en place un protocole national clair pour tous les niveaux d’alerte, incluant des recommandations spécifiques pour le secteur du commerce », suggère-t-il. 

Deuxièmement, poursuit-il, il faut encourager le télétravail administratif ou la rotation d’équipes lorsque c’est possible. « Enfin, il faut instaurer un système d’alerte et d’information en temps réel à destination des employeurs et des salariés, via SMS ou application mobile », ajoute-t-il. Pour lui, ces mesures permettraient de protéger la santé des employés tout en assurant une continuité des activités économiques. « La protection des employés ne doit pas être perçue comme un frein à l’économie, mais comme un investissement pour un modèle humain et durable », indique-t-il.

Construction : Chaque entreprise doit évaluer les risques selon les régions et la nature des travaux

Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association.
Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association.

La question de la continuité des activités dans le secteur de la construction revient après les récentes averses. Pour Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA), l’enjeu est de taille. Selon lui, il faut protéger les travailleurs sans paralyser ce secteur vital pour l’économie. Or, dit-il, aujourd’hui, aucun protocole spécifique n’encadre les décisions prises.

« Il n’y a pas de protocole vraiment établi pour le secteur privé, même si Business Mauritius travaille actuellement sur un cadre qui viserait à uniformiser les pratiques », explique-t-il. En attendant, avance-t-il, chaque entreprise dans la construction gère ses chantiers au cas par cas, en fonction des conditions météorologiques, des risques locaux et de la nature des travaux. Selon le président, les intempéries ont un impact direct sur les opérations, particulièrement pour les travaux extérieurs. « Le crépissage, la peinture ou des aménagements en extérieur sont forcément touchés. En revanche, certaines activités intérieures, comme la pose de carrelage, peuvent se poursuivre même sous la pluie », dit Ravi Gutty. Ainsi, dit-il, les entreprises doivent faire preuve d’anticipation et de discernement. « Chaque entreprise évalue les risques selon la région, les prévisions météo et la logistique disponible pour acheminer les travailleurs en toute sécurité. Il faut éviter les zones exposées aux accumulations d’eau, penser aux trajets et aux routes potentiellement inondées », déclare-t-il. 

La BACECA plaide pour une approche pragmatique, loin d’une solution unique. « Il faut évaluer chantier par chantier, activité par activité. On ne va pas arrêter tous les travaux alors que certaines tâches peuvent se faire sans risque », avance le président. Car les arrêts prolongés ont un coût. « L’impact financier d’un chantier à l’arrêt pendant plusieurs jours est énorme. La sécurité des employés reste prioritaire, bien sûr, mais elle doit s’inscrire dans une évaluation globale des risques », recommande-t-il. La BACECA est ainsi en faveur de la création de comités internes d’évaluation au sein des entreprises. « Ce sont eux qui doivent, très tôt, juger si les travaux peuvent continuer, partiellement ou non, et dans quelles conditions. Il ne s’agit pas de faire travailler tout le monde coûte que coûte, mais de maintenir l’activité là où elle peut se faire, en toute sécurité », dit-il.

TIC : Privilégier le travail à distance, en toute sécurité

Jenny Chan, présidente de l’Outsourcing & Telecommunications Association of Mauritius.
Jenny Chan, présidente de l’Outsourcing & Telecommunications Association of Mauritius.

La présidente de l’Outsourcing & Telecommunications Association of Mauritius (OTAM) Jenny Chan, appelle à une réforme pragmatique des politiques d’interruption d’activités en cas d’intempéries. Pour elle, une approche uniforme ne reflète pas les réalités opérationnelles d’un secteur numérique, résilient et largement structuré autour du télétravail.

Elle fait ressortir que le secteur des TIC opère dans un environnement numérique, ce qui lui permet de maintenir une continuité des activités même en période d’intempéries. « La majorité des employés peuvent travailler à distance, en toute sécurité, évitant ainsi les risques liés aux déplacements physiques. Or, l’application systématique des fermetures administratives impacte lourdement les entreprises technologiques. Cela crée une distorsion et une pression financière importante pour un secteur dont la compétitivité repose sur le télétravail et la performance continue sur des marchés internationaux très exigeants », déplore-t-elle.

Selon elle, Maurice souffre déjà de contraintes structurelles telles que le vivier de talents limités, coûts d’opération élevés, et concurrence féroce d’autres hubs offshore comme l’Inde ou les Philippines. Dans ces pays, le télétravail en cas de cyclones ou de moussons ne donne lieu à aucune rémunération additionnelle, tant que les conditions techniques sont réunies.

Pour concilier protection des travailleurs et viabilité économique, l’OTAM propose une approche différenciée, fondée sur l’analyse du risque par secteur d’activité. « Les métiers des TIC/BPO ne présentent pas le même niveau de risque que ceux exposés physiquement aux intempéries. Il est donc logique d’adopter une politique adaptée à cette réalité », avance-t-elle. 

Jenny Chan suggère également la mise en place d’un label de continuité qui serait attribué aux entreprises ayant prouvé leur capacité à assurer un télétravail sécurisé et efficace, incluant la résilience énergétique, la connectivité fiable, et la protection des données. Ces entreprises pourraient alors bénéficier d’un régime dérogatoire pendant les intempéries.

« Maurice ne peut se permettre des interruptions brutales d’activité, surtout dans des secteurs tournés vers l’international. L’indisponibilité, même temporaire, peut gravement nuire à notre crédibilité auprès des clients étrangers », fait-elle remarquer. Ainsi, adapter nos politiques est indispensable pour préserver à la fois la sécurité des employés et la réputation de l’île comme destination fiable d’externalisation.

Hôtellerie : Un secteur qui doit continuellement opérer 

Shakeel Nundloll, directeur de l’hôtel Le Grand Bleu.
Shakeel Nundloll, directeur de l’hôtel Le Grand Bleu.

Shakeel Nundloll, directeur de l’hôtel Le Grand Bleu, évoque la particularité du secteur hôtelier face aux intempéries. Il affirme que contrairement à d’autres secteurs économiques, les hôtels doivent continuer à fonctionner, même en cas de fortes pluies ou de cyclones. « Intempéries ou pas, les hôtels doivent opérer, car il y a déjà des touristes dans les établissements », explique-t-il.

Selon lui, le télétravail n’est pas une option viable dans ce secteur, mis à part pour quelques tâches administratives. Il explique : « Le cœur de notre activité repose sur le contact humain, l’accueil, le service en salle, la maintenance. Cela ne peut pas se faire à distance ».

Il indique que face aux aléas climatiques, des protocoles précis sont généralement mis en place dans les établissements hôteliers. « La direction doit notamment assurer le transport du personnel et veiller à ce que chacun puisse rentrer chez lui en toute sécurité », souligne-t-il. Dans son propre établissement, une règle est clairement établie. En alerte 3 cyclonique, les employées ne sont pas sollicitées. « Nous demandons uniquement aux hommes, surtout ceux qui résident à proximité de l’hôtel, de prendre le relais », précise-t-il.

Shakeel Nundloll s’interroge par ailleurs sur la pertinence des fermetures généralisées d’entreprises lors de fortes pluies. À ses yeux, ces décisions devraient être mieux ciblées. « Il faut appliquer l’arrêt des activités uniquement dans les régions à risque, comme Port-Louis. On ne peut pas pénaliser toute l’économie pour des intempéries localisées », indique-t-il.

Dans un secteur aussi sensible que l’hôtellerie, où le service ne s’arrête jamais, il appelle à une approche plus nuancée et adaptée aux réalités du terrain.

Manufacturier : À éviter les arrêts d’activités généralisés 

Ajay Beedasee, président de la SME Chambers.
Ajay Beedasee, président de la SME Chambers.

Ajay Beedasee, président de la SME Chambers, est d’avis que les mesures prises en cas d’intempéries mettent en péril un secteur manufacturier déjà fragilisé. Selon lui, les décisions d’arrêt généralisé des activités économiques lors d’avis de fortes pluies manquent de discernement. « La dernière fois, on a demandé aux employés de rentrer chez eux après l’émission d’un avis de fortes pluies. Or, il ne pleuvait presque pas dans la région où se trouve mon usine », déplore-t-il. 

Pour lui, les autorités devraient adopter une approche plus appropriée, tenant compte des zones réellement à risque et de la nature des activités économiques concernées. Il souligne que le travail en usine se fait dans un environnement sécurisé, à l’abri des dangers immédiats comme les inondations. De plus, la majorité des travailleurs étrangers résident dans des dortoirs situés à proximité ou dans l’enceinte même des usines. 

Ajay Beedasee estime que le véritable risque réside dans le fait qu’on les oblige à rentrer chez eux en utilisant les transports publics en pleine alerte météo. Il insiste sur l’impact économique de ces arrêts forcés, car un seul jour d’inactivité peut engendrer d’importantes pertes, perturber la chaîne de production et entraîner des retards de livraison. « Ces retards peuvent faire perdre des clients à l’export. Nous devons adopter une approche au cas par cas », affirme-t-il.

En guise de conclusion, il plaide pour une meilleure coordination entre les autorités et les acteurs économiques afin de concilier sécurité des travailleurs et continuité des activités dans le secteur manufacturier.
 

 

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