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Insécurité routière : scepticisme face au virage répressif

Une marche s’est tenue dans les rues de Rose-Hill ce samedi 22 novembre, à l’initiative du Mouvement pour la sécurité et la justice routière.

Face à l’hécatombe, résultant de l’insouciance sur nos routes, Maurice compte durcir son arsenal législatif. Mais pour les experts du terrain, la répression, seule, ne changera pas la donne.

«L’insouciance sur nos routes tue, et l’insouciant est un criminel. » La formule du ministre du Transport et du Light Rail, Osman Mahomed, lors de l’émission Au cœur de l’info le 21 novembre, ne laisse guère de place au doute. Il annonce vouloir soumettre « le plus vite possible » une série d’amendements au Road Traffic Act pour sanctionner plus sévèrement les comportements dangereux. Ces amendements, visant à encadrer plus strictement la notion de « vehicular negligence » et d’introduire des circonstances aggravantes, pourraient même permettre de requalifier l’homicide involontaire en manslaughter dans des cas bien définis.

Cette volonté de durcir la législation s’appuie sur un constat : la nature des accidents a évolué. « Avant, c’était la vitesse. Aujourd’hui, ce sont surtout l’alcool et la drogue qui causent des accidents », affirme le ministre. Les chiffres semblent lui donner raison : 2 700 conducteurs ont été interpellés pour conduite en état d’ivresse cette année, et 700 pour conduite sous l’emprise de stupéfiants. D’où son interrogation : « Est-ce encore un accident quand on conduit sous substances prohibées ? »

Alain Jeannot, président de Prévention Routière Avant Tout (PRAT), apporte un éclairage statistique nuancé. « Le nombre d’accidents en général augmente en fonction du nombre de véhicules. Le taux d’accidents causant morts et blessés, lui, n’augmente pas, mais il ne baisse pas non plus. Il est plus ou moins stable depuis ces trois dernières années », précise-t-il.

Ce qui interpelle, c’est la nature de plus en plus spectaculaire des accidents, ayant souvent pour toile de fond la drogue, l’alcool et la vitesse excessive. À cela s’ajoute une tendance au « je-m’en-foutisme » où la vie des autres n’est plus respectée, ni même la loi. Les chiffres des délits de fuite en témoignent : si leur nombre total a baissé par rapport au début des années 2000, les cas impliquant véhicules et piétons ont bondi de 133 % en quatre ans. « Cela montre qu’il n’y a pas ce respect humain et qu’il y a un problème avec les relations humaines », analyse Alain Jeannot.

Autre indicateur préoccupant : le « fatality index » - nombre de morts par 100 victimes incluant blessés et morts – a progressé de 11 % par rapport aux quatre années précédentes. Cet indicateur témoigne notamment de la vitesse excessive lors des collisions. « Plus la vitesse est grande lors d’une collision, plus les conséquences sont graves. Cela indique que les automobilistes roulent de plus en plus vite sans respecter la limite de vitesse », constate le président de PRAT.

L’application des lois existantes en question

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Le président de PRAT dénonce 
la tendance au « je-m’en-foutisme » sur les routes.

Face à l’annonce du durcissement législatif, les acteurs de terrain expriment leur scepticisme. « Si les autorités ont des problèmes à faire respecter les lois existantes, je ne vois pas comment l’apport de nouvelles lois va changer quelque chose », objecte Sanjeev Mewasingh, militant pour la sécurité routière. 

Pour lui, le problème n’est pas l’arsenal législatif, mais son application. Avant de durcir les textes, il préconise d’abord le respect mutuel entre usagers de la route et envers les forces de l’ordre. « La route étant un espace de partage, chacun devrait se respecter mutuellement. Quand il n’y a pas ce respect, la loi devrait être appliquée », souligne-t-il.

L’activiste dénonce une « vigilance devenue comme une passoire » : motocyclistes circulant sans casque ni gilet rétroréfléchissant, rallyes illégaux sur certaines artères donnant lieu à des accidents. « À croire qu’ils ne voient ni n’entendent pas », déplore-t-il à propos des forces de l’ordre. 

Il pointe également un manque crucial de moyens et d’effectifs pour traquer les contrevenants. « Il est temps de taper du poing sur la table et d’user de toutes les forces disponibles comme la Special Supporting Unit et la Special Mobile Force, et de faire des Road Block pour décourager ce genre de pratique », insiste-t-il, regrettant que nous soyons en période de pic des accidents mais que les contrôles policiers « brillent par leur absence ».

Sanjeev Mewasingh suggère que la police utilise des moyens modernes comme des drones pour pister les amateurs de vitesse et les prendre en flagrant délit. Plutôt que de se limiter aux opérations nocturnes ou de week-end, les forces de l’ordre devraient travailler selon les informations disponibles en temps réel et adapter leur vigilance en conséquence. Il appelle également à une synergie entre la police et le Bureau du Directeur des poursuites publiques, car en cas de défaillance, c’est tout le système qui flanche.

Le cas du jeune conducteur sans permis ayant provoqué la mort de Muzammil Hossenbocus à Camp-Levieux début novembre illustre ces dysfonctionnements systémiques. « Les proches du jeune qui a pris le volant et même la personne qui a loué le véhicule auraient dû savoir qu’il n’avait pas de permis de conduire. Il y a eu une lacune au niveau de la location de la voiture. Ces véhicules devraient être dotés d’un système de limitation de vitesse », relève l’activiste, pointant la responsabilité collective et les failles dans le système de location.

Au-delà, un consensus émerge : la crise de la sécurité routière reflète une crise sociale plus profonde. « Ce qui se passe sur nos routes reflète l’état de la conscience populaire », estime Alain Jeannot. « Une moyenne de 9 000 agressions par an n’indique pas une mentalité composée et calme. »

Le président de PRAT souligne également que l’environnement physique influence les comportements. Il est nécessaire non seulement de revoir les infrastructures mais aussi de les entretenir. « En dehors de leur fonction de guider, informer et avertir, ces infrastructures et mobiliers inspirent le respect de l’usager de la route. Des infrastructures négligées encouragent une négligence égale chez l’usager », explique-t-il. Il regrette que la sensibilisation ciblée fasse défaut à Maurice et que les moyens technologiques modernes soient sous-utilisés.

Refaire l’éducation sociale

Face à cette dérive comportementale, militants et experts plaident pour une refonte éducative profonde. Sanjeev Mewasingh est convaincu qu’il faudrait réintroduire des cours d’éducation civique pour favoriser plus de civilité et de courtoisie sur les routes. « Nous devons refaire notre système de comportement social, que ce soit pour les automobilistes, les piétons et l’ensemble des usagers de la route », dit-il. 
Il suggère qu’un code de conduite soit établi pour les piétons et autres usagers, à l’instar du code de la route pour les automobilistes. « C’est malheureux de le dire, mais il faudrait refaire l’éducation sociale des enfants pour que demain soit des jours meilleurs », observe-t-il.

L’activiste estime également que les décisions concernant la sécurité routière ne devraient plus être prises « dan biro » entre quelques fonctionnaires et policiers, mais impliquer toutes les parties prenantes. Il plaide pour des ateliers de travail et des journées de réflexion permettant de vraies prises de conscience. « Plus il y a de têtes pensantes, le mieux cela sera pour trouver des solutions. La sécurité ne devrait pas être l’affaire du ministère concerné et de la police uniquement, mais l’affaire de tout le monde », insiste-t-il.

Alain Jeannot partage cette vision à long terme. Si le président de PRAT prône des lois sévères dans un premier temps, il estime qu’à moyen et long terme, « le temps est plus qu’opportun pour instaurer un service civique obligatoire à Maurice. Ce qui ne servira pas que la route mais la société en général ».

La carotte et le bâton : une approche combinée

Barlen Munusami, expert en sécurité routière, tente de réconcilier ces différentes approches. Il rappelle qu’il est possible de réglementer le comportement et de corriger l’attitude de certains usagers par deux méthodes : la loi représente la méthode forte, l’éducation et la sensibilisation représentent la méthode douce. « Il y a des fois où l’éducation et la sensibilisation sont utilisées mais cela ne porte pas de fruits », constate-t-il. Pour lui, c’est « la méthode de la carotte et du bâton » qu’il faut préconiser en parallèle.

« Quand on durcit la loi, il faut le faire selon le principe de ‘general deterrence theory’ », précise Barlen Munusami. Sous cette théorie, il faut s’assurer que la loi est sévère et que la punition est plus lourde que la récompense. Les pénalités doivent être suffisantes pour qu’il n’y ait pas de récidive et que cela serve de leçon à d’autres.

La théorie de la dissuasion générale repose également sur le principe de certitude de la sanction. « La loi doit faire développer une crainte qu’à tout moment un usager de la route peut être sanctionné et qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures, que certains soient sanctionnés et que d’autres passent entre les mailles du filet », explique-t-il.

Pour Barlen Munusami, aussi longtemps que les principes de la théorie de la dissuasion – sévérité, rapidité et certitude – sont respectés et que la loi est appliquée, un durcissement de la législation apportera alors un changement de comportement et d’attitude sur les routes. 

Contraventions routières : bond de 130 % en un an 

Les dernières statistiques officielles montrent un contraste frappant : alors que les crimes et délits diminuent en 2024, les contraventions routières, elles, explosent. Selon les chiffres publiés en juin par Statistics Mauritius, le taux total de contraventions pour 1 000 habitants a plus que doublé, passant de 114,0 en 2023 à 261,5 en 2024.

Le phénomène est particulièrement visible sur la route. Les contraventions routières bondissent de 105,8 à 254,6 pour 1 000 habitants. Cette hausse spectaculaire est surtout liée à deux facteurs : l’augmentation d’infractions spécifiques comme le non-affichage de la licence du véhicule, et l’intégration en 2024 des contraventions émises sous forme de fixed penalty notices.

À l’inverse, les infractions plus graves suivent une tendance baissière. Le taux de crimes recule légèrement, de 5,6 à 5,4 pour 1 000 habitants, celui des délits passe de 41,1 à 37,4, tandis que les infractions liées à la drogue affichent une très légère hausse (de 3,3 à 3,5).

En somme, si Maurice enregistre moins de crimes et délits, l’envolée des contraventions routières fait grimper le taux global d’infractions, porté par un durcissement des contrôles et l’arrivée des nouveaux fixed penalty notices.

Taux d’infractions pour 1 000 habitants par type en 2023 et 2024

Types d’infraction 2023 2024
Crimes 5,6 5,4
Délits (misdemeanours) 41,1 37,4
Taux d’infractions (hormis les contraventions) 46,6 42,8
Infractions liées aux drogues 3,3 3,5
Contraventions 114 261.5
Source: Statistics Mauritius

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