Interview

Inondations – Vasantt Jogoo, urbaniste : «Les drains à eux seuls ne sont pas la solution»

L’urbaniste explique au Défi Plus sa lecture de ce qui cloche en termes de gestion d’eau de pluie à Maurice. Il parle de dysfonctionnements de la toute jeune Land Drainage Authority et de l’absence de planification dans le développement urbain.

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Quand le Master Plan sera prêt, il y a des chances qu’il soit dépassé

Deux jours de pluies et deux jours d’inondations pour Fond-du-Sac. Quelles leçons faut-il en tirer ?
C’est peut-être une coïncidence que la pluie ait persisté dans une même zone. C’est malheureux. Il faut surtout mettre l’accent sur le fait que les inondations découlent d’une combinaison de plusieurs facteurs. Le gouvernement et certaines personnes ont tendance à simplifier la problématique en disant qu’on ne peut contrôler la nature. Il y a la nature, certes, mais il y a aussi l’action de l’homme. Les gens de Fond-du-Sac ne se souviennent pas de telles inondations dans le passé alors que la topographie s’y prête. Cela signifie qu’il y a eu des développements qui ont apporté ce résultat. L’action de l’homme a imperméabilisé le sol et cela accentue le ruissellement de l’eau. C’est la politique que le gouvernement a choisie, cette urbanisation diffuse où on dit de construire où bon vous semble tant que vous apportez de l’argent. En sus, avec l’agriculture, on prépare des champs de manière mécanique, on enlève les pierres et on nivelle les terrains. Cela détruit le réseau important de drains naturels.

Anil Bachoo a accusé le gouvernement d’avoir annulé un contrat déjà lancé pour la construction de drains dans la région. Est-ce la cause de ces inondations selon vous ?
On n’a pas tous les détails du projet, mais cela aurait peut-être pu réduire l’impact, même si on n’aurait sans doute pas pu arrêter totalement ce qui s’est produit. Le ministre Gungah a aussi dit que c’est l’ancien gouvernement qui a annulé le contrat. Mais de toute façon, si pense résoudre le problème en termes de drains seulement, on fait fausse route.

La Land Drainage Authority indique que son Land Drainage Master Plan sera prêt dans six mois. Cela sera-t-il la solution ?
Je ne suis pas très sûr. On place trop d’espoir dans ce Master Plan. La façon dont la Land Drainage Authority est gérée laisse à désirer de toute façon. La responsabilité personnelle du Premier ministre est engagée. Cette autorité est sous la tutelle de la National Development Unit et le PS responsable de la NDU préside le Conseil d’administration de la Land Drainage Authority ! C’est une aberration, cette personne est juge et partie dans l’affaire. Il aurait fallu des compétences techniques à la tête d’une instance qui aura la responsabilité de projets dans lesquels il faudra investir des milliards. Même un haut cadre a été parachuté d'un ministère. On peut légitimement se demander s’il a les compétences pour mener à bien un projet de réalisation de drains. Nous avons pourtant des compétences en ingénierie dans ce pays.

La loi permettant de créer la Land Drainage Authority a été votée en 2015. Elle était décrite comme une priorité, pourtant, après quatre ans, cette institution commence à peine son travail. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est de l’amateurisme, comme je vous le disais. Et c’est grave concernant une institution appelée à jouer un rôle aussi important dans la vie des Mauriciens. On parle de ce Master Plan, mais l’Officer-In-Charge a dit, mardi, sur Radio Plus, qu’il sera prêt en 2020, mais qu’il est conscient qu’il y a plusieurs facteurs sur lesquels il n’a pas autorité ; l’urbanisation par exemple. Ce Master Plan va être préparé à partir de photos prises un jour donné. En attendant que le plan basé sur ces photos soit prêt, il y aura eu des évolutions que le gouvernement ne maîtrise pas. L’urbanisation sauvage, les Smart Cities qui poussent n’importe où. Un Master Plan se dessine basé sur des données et on ne les a pas. Comment planifier quand on ne sait pas combien de IRS ou de Smart Cities vont pousser dans un endroit particulier ? Il n’y a pas de plan d’aménagement. Dans certains cas, on va même enlever la nécessité d’un EIA en avançant l’argument de l’intérêt public. Le gouvernement donnera des instructions pour donner les permis et les fonctionnaires n’y pourront pas grand-chose. Quand le Master Plan sera prêt, il y a des chances qu’il soit dépassé. Il faut l’accompagner d’un plan de contrôle d’urbanisation.

Vous avez mentionné le fait que la Land Drainage Authority répond de la NDU. Les Parliamentary Private Secretaries ont un rôle à y jouer. La tentation du clientélisme électoral a-t-il pu détourner les priorités ?
C’est clair qu’il y a une politisation à outrance de la NDU, mais je ne crois pas que les PPS y aient grand-chose à faire. Rien ne se fait sans l’aval du bureau du Premier ministre dans notre système. Parfois, il faut l’autorisation de ses Senior Advisers qui sont aussi puissants que lui, qui président des réunions pour lesquelles ils ne sont pas mandatés. La Land Drainage Authority n’a pas les dents nécessaires. L’important, c’est de réaliser qu’on ne s’occupe pas d’une inondation le jour que cela arrive. Il faut se préparer en amont.

Vous avez mentionné l’urbanisation comme problème. Pourtant, d’autres pays le font sans pour autant être inondés à la moindre averse, comme le Singapour par exemple…
On aime beaucoup se comparer à Singapour, mais la topographie est différente. Les hauts de Maurice sont au centre et c’est là qu’il pleut le plus. L’eau dévale alors les pentes vers l’océan. Le Singapour est plus ou moins rattaché à un grand pays, la Malaisie, et ils n’ont pas cette eau qui dévale en passant par des maisons. Sans doute ont-ils aussi un système plus efficace. Mais le Singapour a été une ville planifiée, avec un schéma directeur pour l’aménagement du territoire. 25 % du territoire mauricien sont urbanisés, donc plus ou moins imperméabilisés. C’est très important quand nous avons une île qui doit être autonome. Nous sommes un État-île et non une cité-État. Il faut prévoir d’autres solutions comme la constructions de bassins de rétention d’eau. Dans les morcellements qui sont construits, pourquoi ne pas exiger des bassins d’eau ? Il faut aider l’eau à ruisseler vers les rivières.

 

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