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Indépendance de Maurice : des réformes économiques proposées pour un meilleur avenir

La diversification de l'économie reste une priorité pour les spécialistes.

À l’heure où Maurice célèbre les 56 ans d’indépendance, beaucoup de chemins ont été parcourus pour son développement. Cependant, des réformes économiques sont nécessaires pour les prochaines décennies, ce qui permettra au pays de franchir un nouveau palier. Tel est l’avis de plusieurs économistes. 

Le 12 mars prochain marquera les 56 ans de l’indépendance de Maurice. Depuis, le pays a connu une croissance annuelle oscillant autour des 5 % entre 1980 et 2010 et environ 3,5 % par an entre 2010 et 2015. Toutefois, comme le souligne, l’économiste Kevin Teeroovengadum, le pays a fait face à divers défis. La crise de Covid-19, intervenue en 2020, a été suivie de divers problèmes dans la chaine d'approvisionnement mondiale l'année suivante, ce qui a considérablement influencé le coût du fret. Un an plus tard, c'est la guerre russo-ukrainienne qui a entraîné d'autres défis économiques. Toujours au chapitre des conflits, il parle aussi de l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023, qui a débouché sur des contre-attaques d’Israël dans la bande de Gaza, entre autres. 

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De plus, ajoute Kevin Teeroovengadum, « l’année dernière a été marquée par le problème de logistique au Canal de Suez. Alors que nous sommes au troisième mois de cette nouvelle année, plusieurs pays, surtout en Europe, parlent d'économie de guerre ». Une situation qui pousse l’économiste, Sameer Sharma, à dire que Maurice se trouve à un moment critique, nécessitant des réformes économiques globales pour relever les défis posés par la quatrième révolution industrielle et les mégamenaces mondiales. Ces dernières englobent les défis économiques, démographiques, géopolitiques et environnementaux et à cause de celles-ci, il craint que la prospérité sans précédente du pays ne stagne. 

Il estime que si ces menaces ne sont pas maîtrisées, elles pourraient s'aggraver et entraîner un ralentissement de la croissance et aboutir à une inflation supérieure à la tendance dans les décennies à venir. « Les pays qui réussiront seront ceux qui sont productifs, encouragent la libre concurrence sur le marché et maintiennent des amortisseurs budgétaires, monétaires et extérieurs élevés. En d’autres termes, les pays qui épargnent seront en mesure de mieux gérer les nombreux chocs suivants dans l'économie mondiale », indique-t-il. 

Il conviendrait ainsi de tenir compte du contexte actuel international afin d'établir la direction à suivre s'agissant des réformes économiques à prendre pour Maurice. Kevin Teeroovengadem considère que le pays est ouvert et impacté par la situation internationale. « Je réitère mes propos. Nous vivons dans une décennie où le monde est instable. Chaque année, voire tous les deux ans, une nouvelle instabilité surgit. En tant qu'État insulaire, il faudrait se demander comment naviguer dans cette décennie de turbulences provoquées par une restructuration du monde international », poursuit-il. La restructuration, dont il fait référence, se traduit par un monde multipolaire qui était autrefois dominé par l'Occident. « Il y a également les deux géants asiatiques, en l'occurrence, la Chine et l'Inde. Du côté du sud global, les pays émergents affutent leurs stratégies internationales », avance-t-il. 

Des réformes seraient, de ce fait, importantes pour permettre à l’économie mauricienne de passer à la prochaine étape de son développement. Toutefois, déplore Kevin Teeroovengadum, les réformes sont les mêmes depuis 15 ans dans les secteurs de l’éducation, la productivité, ainsi que la diversification des piliers existants comme le sucre, le tourisme, le secteur financier et manufacturier. Or, Sameer Sharma affirme que la mise en œuvre proactive de ces réformes sera essentielle pour garantir la résilience économique et la prospérité de l'île au cours de la prochaine décennie.

Autosuffisance alimentaire et énergétique 

Kugan Parapen trouve déplorable qu’après 56 ans d’indépendance, le pays soit encore très loin d’une autosuffisance alimentaire ou énergétique.  « La valeur de notre roupie nationale est tributaire de la demande de produits et services étrangers. On ne peut envisager un pays où il ferait bon vivre sans régler notre forte dépendance à importer presque tout ce qu’on consomme », souligne-t-il. 

Une réindustrialisation axée sur le social et l’humain 

Bhavish Jugurnath affirme que face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19, le gouvernement, les organisations économiques et les institutions doivent adopter une approche axée sur la résilience, l'inclusion et les opportunités.  « Cela implique de repenser l'industrie pour rendre les secteurs de base moins sensibles aux chocs économiques et encourager ceux avec un potentiel de croissance après la pandémie », fait-il comprendre. Ainsi, il est d’avis qu’un processus de « réindustrialisation » viserait  à renforcer les avantages compétitifs existants et à élaborer de nouvelles politiques pour les secteurs prêts à innover et à investir dans les travailleurs pour les années 2024-25.  Pour lui, la réindustrialisation  doit mettre un accent particulier sur les impacts sociaux et humains. 

Réformes monétaires et fiscales

Notre pays est confronté à des choix difficiles en raison du vieillissement de sa population. De l’avis de Sameer Sharma, la prise en charge d'une main-d'œuvre inactive plus nombreuse nécessite davantage de recettes fiscales, mais de multiples secteurs clés de l'économie dépendent encore beaucoup d'une fiscalité faible. Une situation qui, selon lui, pousse le gouvernement à opter pour la solution de facilité, à savoir une forte dépendance à l'égard de l'inflation qui gonfle les recettes fiscales, mais exacerbe aussi les inégalités et donne naissance au populisme. Pour y remédier, il estime qu’il est impératif de mettre en place un régime fiscal plus équilibré et durable. Il s’agit d’un système fiscal plus progressif de centre droit qui fait la distinction entre les bénéfices distribuables et non distribuables, en imposant des taxes sur les terres non agricoles inutilisées et les dividendes par exemple, tout en s'abstenant de taxer les plus-values. « En influençant les comportements du marché par le biais de la politique fiscale, Maurice peut pénaliser les comportements de recherche de rente, tout en soutenant l'investissement et l'innovation et en maintenant l'impôt sur le revenu à un niveau bas afin d'encourager le travail  », explique notre interlocuteur. 

Les politiques monétaires et fiscales doivent être strictement alignées afin de garantir que le fardeau de la dette nationale, et plus spécifiquement le service de la dette, ne s'accroisse pas au point de priver les ressources financières qui pourraient être utilisées pour des améliorations sociales (éducation, santé, logement, etc.). C’est du moins ce qu’avance Ibrahim Malleck, Managing Partner d’Ebonia Capital et économiste. De plus, dit-il, étant donné l'augmentation de notre « ratio de dépendance » avec le vieillissement démographique, l’accent doit être mis sur les revenus productifs pour soutenir notre État providence. « Cela implique un ancrage plus serré des attentes en matière d'inflation  à long terme, ainsi qu'une politique fiscale qui tend vers une plus grande part de taxes sur la ‘richesse’», soutient-il.  Par ailleurs, l’économiste souligne qu’avec l'augmentation de l'incertitude géopolitique, la stabilité de la roupie et les déficits budgétaires doivent être surveillés.

Pour stimuler la croissance économique, le gouvernement doit, selon Sameer Sharma, donner la priorité à l'immigration qualifiée, en particulier dans le domaine de la fintech. L'amélioration de la qualité du système d'éducation et de santé et la promotion d'un environnement compétitif attireront les entrepreneurs de la fintech. « Les réformes visant à améliorer les compétences de la main-d'œuvre sont essentielles, spécifiquement à la lumière de la révolution de l'IA, qui aura un impact sur les emplois répétitifs peu qualifiés », avance l’économiste. 

Diversification du modèle économique 

« Qui dit résilience dit capacité à subir des coups et à se relever », déclare l’économiste  D’un point de vue économique, dit-il,  cela signifierait que la perte de vitesse d’une industrie quelconque pourrait être absorbée par le reste de l'économie.  « On a vu le degré de dépendance sur le secteur touristique dans le sillage de la Covid-19 et la fermeture prolongée de nos frontières », fait-il ressortir. Selon lui, un modèle économique plus diversifié, avec un poids réduit pour le tourisme, est souhaitable. L’économiste Bhavish Jugurnath abonde dans le même sens. D’après lui, il est important de comprendre le développement économique après la pandémie de Covid-19 afin de mettre en place des politiques industrielles qui favorisent une croissance à long terme, tout en étant capables de résister aux fluctuations et aux chocs économiques à venir. « De telles politiques peuvent également ouvrir des perspectives d'emploi avec des salaires compétitifs et des possibilités de progression basées sur les compétences et l'expérience », indique-t-il. 

Favoriser la concurrence 

La réforme de la Commission de la concurrence est essentielle pour permettre aux marchés libres de prospérer, car, l’explique Sameer Sharma, les oligopoles à Maurice entravent l'innovation et la croissance de l'emploi. En outre, poursuit-il, le pays doit reconstituer ses amortisseurs budgétaires et économiques externes, en passant d'un modèle de consommation axé sur la dette, qui entraîne des importations élevées, des déficits commerciaux et une monnaie plus faible, à un modèle qui favorise les investissements directs étrangers productifs, une plus grande concurrence sur le marché libre et une plus grande productivité. 

Pour lui, le gouvernement devrait se concentrer sur la création d'un environnement propice à la croissance et agir comme un arbitre neutre qui favorise la concurrence sur le marché libre, plutôt que de promouvoir une culture consistant à renflouer le secteur privé ou à lui offrir des avantages. « Cela conduit à un aléa moral dans l'économie. En outre, la réduction de l'empreinte du gouvernement dans la gestion des entreprises publiques, leur cotation progressive et leur privatisation favoriseront un paysage économique plus compétitif », fait-il comprendre. 

Indépendance des institutions

Le passage à une approche plus axée sur les données dans la prise de décision économique est essentiel. La numérisation de l'économie et le fait d'équiper les décideurs politiques pour qu'ils puissent prendre de meilleures décisions fondées sur les données, soutient Sameer Sharma, favoriseront une gouvernance informée et efficace, réduiront la corruption, amélioreront l'impact et diminueront les coûts. La promotion de l'indépendance et de l'efficacité d'institutions comme la banque centrale, et le système judiciaire serait impérative pour soutenir le développement économique de Maurice. « Au lieu de protéger les industries en déclin, le gouvernement devrait offrir des incitations fiscales et réglementaires pour encourager les investissements respectueux de l'environnement, en alignant ces politiques sur les objectifs mondiaux de durabilité », ajoute-t-il.

Productivité et innovation

Ibrahim Malleck explique que le pays doit entreprendre une dynamique de productivité ciblée, en particulier dans des secteurs tels que l'agriculture et les entreprises orientées vers l'exportation. « Il faut une refonte concertée des établissements éducatifs et de formation, pour créer de meilleures synergies avec les secteurs privé et public, et ainsi développer les compétences qui nous permettront d'avoir un chemin de développement durable », recommande-t-il. De plus, dit-il, l'innovation doit être encouragée pour stimuler la productivité et fournir l'impulsion nécessaire à des secteurs tels que l'agriculture, les services financiers, entre autres, souffrant d'un manque de capital humain à divers niveaux. « Avec l'avènement de l'IA, les cadres juridiques et opérationnels appropriés doivent être mis en place, ce qui atténuera un certain nombre de risques et encouragera les investissements directs à l'étranger (IDE) dans des secteurs autres que l'immobilier », poursuit-il.  

Une opinion que partage Bhavish Jugurnath. Selon lui, il y a un besoin de changer notre façon de penser pour créer un nouveau modèle économique pour Maurice, appelé « Industrie 5.0 ». Il explique : « Cela signifie que nous devons revoir notre plan économique pour attirer plus d'investissements étrangers dans de nouveaux secteurs comme la Fintech, le Metaverse, l'Agriculture intelligente, le tourisme médical et un secteur offshore amélioré avec des produits inédits à offrir ». Il cite pour exemple le Ferney Agri-Hub, récemment lancé. 

Attraction du capital humain 

Ibrahim Malleck  est d’avis que le pays manque actuellement de feuilles de route de croissance claires qui encourageraient la jeune génération à s'engager dans une forme quelconque de professionnalisation. Il déplore que bon nombre d'entre eux cherchent à déployer leurs compétences à l'étranger.  « À travers une éducation plus ciblée, des voies claires peuvent être créées via les secteurs et conduire à une utilisation plus efficace de notre capital humain », suggère-t-il. Il conviendra, selon Kevin Teeroovengadum, de réfléchir sur la manière adéquate pour attirer les talents, les retraités fortunés et les touristes de qualité à Maurice. En somme, fait-il ressortir, la réflexion devra être axée sur l'exécution de ces réformes. « Le moment est opportun pour que les autorités attirent les talents, surtout ceux de la nouvelle génération qui pourront exécuter les idées qui datent de plus de 15 ans. Il faudra une politique d’ouverture envers les talents », martèle l’économiste.  

Par ailleurs, selon  Ibrahim Malleck   l’attraction du capital humain placera Maurice également en tête en termes d'expansion régionale et bénéficiera de la mise en place de l’African Continental Free Trade Area (AfCFTA) dans les années à venir.

Jouer la carte diplomatique

Kevin Teeroovengadum explique que Maurice devra rester « smart » pour continuer de bénéficier de son statut de pays ami. Cela, précise-t-il, passera par le fait de jouer la carte stratégique, tout en restant neutre.

 

 

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