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Incidents à la Citadelle : crevons l’abcès afin de construire la nation mauricienne

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Les motivations réelles de la bande armée qui a interrompu le Gran Konser Solider organisé à la Citadelle, le samedi 21 octobre, ne sont toujours pas connues. En revanche, les incidents qui sont survenus mettent en évidence un malaise social, exacerbé par certains discours sur les réseaux sociaux. L’heure est venue de crever l’abcès.

Percy Yip Tong, artiste : « Après un demi-siècle de multiculturel, pensons maintenant à l’interculturel » 

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Percy Yip Tong

Il est né Anglais en 1960. À l’indépendance de Maurice en 1968, il obtient la nationalité mauricienne. Il grandit entouré de voisins de toutes les communautés, fait sa scolarité au Lycée Labourdonnais fréquentée majoritairement par des Franco-Mauriciens à l’époque, fréquente l’église presbytérienne où la messe est dite en anglais, et passe l’après-midi à China Town chez ses grands-parents. « J’ai vécu une enfance multiculturelle merveilleuse », dit l’artiste Percy Yip Tong.

C’est toutefois en France, où il était parti étudier, qu’il comprend « la chance » qu’il a d’être né à « Lil Moris ». « J’étais fier d’être mauricien. »

Et depuis, Percy Yip Tong se bat pour promouvoir le mauricianisme. Il l’a fait notamment avec le regretté Kaya, qu’il a encouragé, raconte-t-il, à écrire des textes sur le mauricianisme, notamment à une époque où le seggae et les rastas étaient confrontés au « communalisme ». 

C’était l’un des moments les plus forts de sa vie, dit-il : en 1990, à Rose-Hill, un concert de Kaya accueille plus de 40 000 personnes. « Plus de 40 000 personnes reprenaient en chœur ses chansons comme Ki to été twa, Zom dan Zil et Morisien to Rasinn pe Brile. C’était fantastique et émouvant de voir le public vibrer, danser et chanter l’unité et le vivre-ensemble dan nou ti zil », souligne Percy Yip Tong. 

Or, neuf and plus tard, ce concert historique est effacé par les violentes émeutes et graves tensions à la suite de la mort de Kaya à la prison d’Alcatraz. Et voilà que « 24 ans plus tard, l’île Maurice est choquée par les agissements d’un commando qui arrête violemment un concert en terrorisant le public de tous âges et de toutes communautés », s’insurge-t-il 

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Jasmine Toulouse

« Cette montée de petits groupes extrémistes, qui existent dans toutes les communautés, est très dangereuse pour la paix sociale. On ne peut pas laisser faire », martèle Percy Yip Tong. 

Comment « rebondir » après ce qu’il s’est passé à la Citadelle ? À cette question, Percy Yip Tong répond qu’il continuera de promouvoir encore plus intensément le mauricianisme et notre créolité insulaire à travers ses activités artistiques, culturelles et sociales. « C’est surtout le devoir de l’Etat de proposer des solutions concrètes et durables pour renforcer l’unité nationale. » 

Néanmoins, il constate que « la sauvegarde de la culture de nos ancêtres à travers les centres culturels français, indien, africain, chinois, tamoul, télougou, marathi et islamique domine l’émergence d’une identité mauricienne ». Ce n’est « pas normal », déplore-t-il, que le pays n’ait toujours pas de centre culturel mauricien. 

Pour lui, le « as one people, as one nation » de notre hymne national a perdu de sa valeur en 55 ans. « Nous le sommes moins aujourd’hui. C’est peut-être dû au fait que tous les partis politiques mènent leurs campagnes électorales sur des bases communales. Pour être Premier ministre à ‘Lil Moris’, on nous fait croire que le choix ne peut se faire que parmi un candidat d’une religion, d’une caste et même d’un nom de famille spécifique », se désole-t-il. 

Ainsi, Percy Yip Tong estime qu’après plus d’un demi-siècle de « multiculturel », il est grand temps de penser à l’« interculturel ». Il préconise la création d’un Centre culturel mauricien qui, selon lui, « aidera à cimenter la nation mauricienne pour que le drame de la Citadelle ne se reproduise plus jamais ».

De son côté, la chanteuse Jasmine Toulouse fait ressortir que le monde artistique est partagé entre colère et incompréhension à la suite des événements du samedi 21 octobre. « Cet acte est inacceptable, surtout quand on parle de cette île Maurice multiculturelle qui est un exemple pour beaucoup. Cette force peut devenir une faiblesse si certaines personnes malveillantes en tirent avantage. Donc, vigilance. Je vous recommande la chanson ‘1 sel’ de Blakayo », dit-elle. 

Certes, concède-t-elle, le monde connaît des événements « très difficiles ». « Chacun apporte son soutien de différentes manières, que ce soit en postant des photos, en prenant la parole, en envoyant des messages de soutien, en participant à une marche de solidarité, ou simplement à travers ses prières », précise Jasmine Toulouse. 

Néanmoins, elle est catégorique : la violence n’a pas sa place. « Il ne s’agit pas de dire non à la violence en utilisant la violence ! Encore moins de traumatiser les gens lors d’un concert de solidarité, quel que soit l’endroit où se déroule le concert.Déjà que la musique disparaît de plus en plus lentement de notre paysage, avec de plus en plus de difficultés pour obtenir des permis de concert, la communauté artistique est déstabilisée, c’est quand même leur gagne-pain. Il faut ajouter à cela ce sentiment d’insécurité », déplore-t-elle.

La chanteuse fait appel au bon sens des Mauriciens. « Qu’ils puissent faire preuve de discernement et préserver cette unité qui est nécessaire et précieuse pour bien vivre ensemble. » 

Des artistes murés dans le silence 

Nous avons tenté de contacter plusieurs artistes pour une réaction. Cependant, certains d’entre eux ont clairement indiqué qu’ils préfèrent ne pas être associés à la situation actuelle. Au sein de la communauté artistique, il est question de l’installation de la peur en raison des récents événements.

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Sécurité : un tel incident aurait pu être évité si…

Plutôt que d’attiser la polémique ou de critiquer l’organisation du concert de solidarité qui a eu lieu à la Citadelle, un ancien agent d’une société de sécurité privée soulève quelques interrogations. Notamment sur l’effectif des agents de sécurité présents ce soir-là et sur les dispositifs mis en place pour garantir la bonne tenue de l’événement.

« Il y a certainement eu une faille dans la sécurité. Un événement de cette ampleur nécessitait plus d’agents de sécurité et de policiers. Cela aurait dissuadé les perturbateurs et assuré une meilleure protection en cas d’incident », juge notre interlocuteur qui a requis l’anonymat. Une présence renforcée des agents aux points d’accès de la Citadelle aurait évité toute intrusion, car les perturbateurs auraient été stoppés à l’entrée, affirme-t-il. 

Il se demande aussi combien de policiers étaient chargés de la sécurité de l’événement et quel était leur rôle. Selon lui, pour un concert de cette taille, il aurait fallu compter entre 25 et 50 agents de sécurité, en plus des policiers, répartis aux points d’accès et aux endroits clés pour la sécurité des spectateurs, ainsi qu’autour de la scène et en coulisses pour la sécurité des artistes. 

Il reproche également aux policiers le fait de n’avoir pas su empêcher une trentaine d’individus de pénétrer dans le bâtiment, alors qu’ils auraient dû les intercepter aux points d’accès. « Un groupe aussi nombreux aurait dû éveiller leur vigilance. S’ils avaient été repérés à l’entrée, les agents auraient pu fermer les accès et ainsi bloquer les perturbateurs. »

Fort de son expérience d’agent de sécurité, il imagine les conséquences si les intrus s’en étaient pris aux spectateurs, provoquant peut-être une rixe collective. « Avec un nombre suffisant d’agents et de policiers, un tel incident aurait pu être évité », insiste-t-il. 

Un malaise social bien enfoui sous les valeurs communes

MusarratDe nombreuses personnes ont été « traumatisées » par les événements de samedi dernier. Cependant, Musarrat Seekdaur, psychologue-thérapeute, estime qu’il ne faut pas essayer d’effacer le traumatisme subi, mais plutôt en profiter pour oser aborder les malaises sociaux. 

« Nous devons parler de reconstruction. Nous ne connaissons pas les causes exactes de tels actes mais par mesure de précaution, il faut prôner le dialogue entre les chefs religieux pour réinstaurer la tolérance et le respect comme des valeurs de base, voire des valeurs religieuses » dit-elle. 

La psychologue-thérapeute souligne que les organisations religieuses et politiques ont beaucoup à faire pour aider à la reconstruction de l’harmonie sociale. « Que tous les groupes religieux condamnent fermement cet acte. Qu’il y ait un service d’écoute et d’aide à la disposition de ceux qui sont affectés par cet acte. Mais surtout, profitons de ce triste moment pour faire un pied de nez à ceux qui profiteraient de la haine entre les communautés en nous montrant plus solidaires que jamais », lance-t-elle.

Le fait est que « les incidents qui sont survenus indiquent un malaise social bien enfoui sous les valeurs communes. La violence sert souvent de paravent pour une frustration plus profonde. » Un regard sur les réseaux sociaux permet, selon elle, de constater que depuis quelques années, plusieurs pages sont déjà des vecteurs de haine raciale et que les différences grandissent à travers des « posts » provocateurs. 

Elle est d’avis qu’il ne faut cependant pas céder à la tentation de tout confondre sans preuve car la plupart des Mauriciens, de toutes communautés, condamnent vivement cet acte. La psychologue fait également ressortir qu’il faut faire attention à ne pas créer une paranoïa collective. 

« Cette forme violente d’action doit faire l’objet d’une enquête qui fera la lumière sur le pourquoi. Il ne faut surtout pas faire d’amalgame, comme les médias occidentaux. Une prise de position trop rapide est dangereuse et pourrait enflammer les esprits », ajoute la psychologue-thérapeute. La majorité des Mauriciens de foi musulmane condamnent cet acte qui ne reflète en aucun cas l’Islam, rappelle Musarrat Seekdaur. 

Pense-t-elle qu’il pourrait s’agir d’un phénomène de radicalisation, de violence ? 

« Il est difficile de se positionner sans preuve, mais tout porte à croire qu’à ce stade, nous devons resserrer les liens entre les communautés religieuses et nous rappeler de tout ce qui nous a unis pendant tout ce temps », répond Musarrat Seekdaur. Plus nous allons vers des théories de radicalisation sans preuve, plus nous risquons de nous retrouver au centre des théories du complot qui vont engendrer la peur et la réactivité au lieu de désamorcer les tensions, explique-t-elle.

La psychologue-thérapeute plaide plutôt pour un travail approfondi, à la fois accompli par les autorités pour s’assurer de la sécurité des citoyens, mais aussi par la société. Il faut connaître la cause exacte de l’incident mais aussi, en général, savoir ce qui crée les fauteurs de troubles : « Il faut comprendre la psychologie derrière un tel acte. Qui sont ces gens qui sont plus enclins à commettre de tels actes ? Quels profils sont prisés par des gens malveillants qui commanditent ce genre d’actes ? » 

Elle cite notamment une vulnérabilité psychologique qui peut ne pas être liée à une cause religieuse, pauvreté, traumatismes (violences, abus etc.), chômage, relations compliquées avec les parents ; en particulier ceux qui cherchent des repères. Selon elle, nombreux sont les groupes qui se sentent aujourd’hui malmenés par la montée des prix, par exemple, et se sentent des victimes impuissantes. Si tel est le cas, le suivi par des travailleurs sociaux peut repérer les gens à risque et travailler étroitement avec les autorités concernées. 

Et si des groupes se sentent lésés dans leurs droits, que ce soit la pratique religieuse ou autres, que des dialogues soient possibles pour qu’ils puissent véhiculer leurs doléances sans avoir à avoir recours à la violence, exhorte Musarrat Seekdaur.

Questions au…

Dr Jonathan Ravat, directeur de l’Institut Cardinal Jean Margéot : «Il ne faut pas arrêter de construire la nation mauricienne»

jonathanLe pays s’est réveillé dans la stupeur en apprenant les incidents survenus la veille, samedi 21 octobre, à la Citadelle. Vous étiez présent au Gran Konser Solider. En tant que défenseur du vivre-ensemble, quelle a été votre réaction ? 
Comme j’étais à la Citadelle pour assister au concert, je suis resté sur place pour suivre et être un peu le témoin de ce qui se passait. Il faut dire qu’il y avait une violence verbale et c’est un peu normal que les gens aient préféré s’en aller. 

En restant sur place, j’ai pu vivre l’expérience différemment comme témoin, ce qui m’évite de tomber dans des stéréotypes ou des préjugés. Cela me permet aussi de voir les choses avec un peu plus de recul.

Quelles mesures fortes peuvent être prises pour renforcer le vivre-ensemble, alors que le tissu social semble avoir été fragilisé ?
Tout le monde ne va pas aimer ce que je vais dire, mais je suis catégoriquement contre l’annulation des activités ou événements culturels en ce moment. C’est un très mauvais signal que de tout annuler parce que c’est prêter flanc à la confusion, à la peur. C’est aussi donner raison, quelque part malheureusement, à une poignée de personnes et leur permettre de s’approprier l’espace public ou commun et ainsi faire un peu leur propre jeu. 

Je pense que tous les acteurs citoyens dans le domaine de la culture devraient plus que jamais continuer à se produire car la culture est belle et relève du génie mauricien et elle rassemble les Mauriciens. Cela doit aller de pair avec ce que je n’ai pas arrêté de dire : il faut renforcer tout ce qui mène à l’interculturalité et tout ce qui peut nous permettre de nous rassembler, rassembler les communautés. 

Mais pas juste les rassembler sur le plan du partage de gâteaux ou quelques slogans. II faut le faire à partir de nos différences et non pas se dire qu’on est tous Mauriciens. Nous devons assumer nos parts de différences et avoir un dialogue à partir de cela. Il faut promouvoir, encore à différents niveaux, dans les écoles et collèges ainsi qu’à l’université et les lieux de travail, le concept de l’interculturalité. 

Il faut aussi consolider le modèle démocratique mauricien en renforçant le régime du droit, le régime du droit de l’homme. C’est cela qui va nous souder comme des citoyens de la République autour d’institutions fortes qui respectent le droit, les droits de l’homme et la loi.

La construction de la nation mauricienne semble être un éternel recommencement…
Ce qui s’est passé samedi peut être vu comme une opportunité pour se rappeler que ce vivre-ensemble a toujours des crises, des mutations et des virages que nous prenons. C’est peut-être un éternel recommencement mais je dirais que cela ne s’arrête pas. 

Ce qui s’est passé est la preuve qu’il ne faut pas arrêter de construire la nation mauricienne et dire qu’on est arrivé à bon port. Ce n’est pas l’ordre d’une destination mais d’une construction perpétuelle qui est inlassablement compromise, mais en même temps, promue. Il ne faut jamais se dire qu’on est arrivé à destination, il faut rester toujours en mouvement car c’est toujours du domaine de la co-construction. Il ne faut jamais prendre les choses pour acquis mais rester vigilant. 

Il y a eu ces événements de samedi dernier, mais il y a aussi beaucoup d’initiatives qui sont porteuses d’espérance. Il y a beaucoup de lieux où les Mauriciens vivent des choses exceptionnelles au même moment. Ce qui s’est passé est comme un « doux rappel », ou un rappel brutal, qu’il y a aussi des brèches et des problèmes mais également de belles choses. Il faut donc continuer à être en marche ou en mouvement.

Qu’est-ce qui peut être fait pour estomper le traumatisme que ces incidents ont causé chez ceux qui étaient présents à la Citadelle et les Mauriciens en général ?
L’initiative du groupe Véranda et Attitude par rapport à la collaboration avec Action for Integral Human Development (AIHD) pour une cellule de suivi psychologique est excellente. Sans vouloir donner des leçons, j’aurais « tué » la bête en étant un peu frontal en réorganisant ensemble une fête avec le groupe Attitude. « Nou bizin manz ar li pou touy problem-la dan dizef », comme on dit. 

Il faut, je pense, crever l’abcès afin de reconstruire, comme cela a été fait par Cassam Uteem un mois après les émeutes de février 1999, à la suite du décès du chanteur Kaya. Ce sera une façon de montrer que nous disons non comme un corps, par le fait d’être ensemble.

Les discours de paix comme antidote à la haine

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Me Fezal Boodhoo

Une certitude : rien ne peut justifier les incidents survenus samedi à la Citadelle. « Si chacun se fait justice soi-même quand il n’approuve pas le comportement d’autrui, quel avenir pour le pays ? » s’interroge l’avocat Fezal Boodhoo, qui diffuse régulièrement des vidéos portant un message de paix sur les réseaux sociaux. 

S’il dit espérer que ces actes isolés ne se reproduiront pas, il concède néanmoins qu’il y a une angoisse latente dans notre inconscient collectif. En voyant la haine communautaire qui circule sur les réseaux sociaux et le ton qui est employé, cela nous donne des motifs d’inquiétude, souligne-t-il. Avant d’insister : nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait qu’à Maurice, certaines idéologies ont la vie dure. Elles visent à diviser et à instiller la peur. Elles sont relayées par des groupuscules qui tiennent des propos incendiaires et cherchent à semer la défiance entre certaines communautés.

Dans la foulée, Fezal Boodhoo regrette que les personnes influentes de notre société choisissent d’ignorer ces problèmes par crainte de froisser certaines sensibilités. Elles se taisent sur ces sujets délicats. « Si nous ne traitons pas ce ‘cancer’, il se propagera progressivement. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. C’est pourquoi je fais une vidéo quand je perçois une tension, pour tenter de la calmer. C’est ma façon de lutter », explique-t-il. 

Pour lui, il est essentiel de ne pas banaliser ces situations, car si la haine s’installe dans notre cœur et dans notre inconscient, nous courons à la catastrophe. Il faut être très vigilant. Selon lui, si la paix sociale s’effondre, tout perd son sens.

Ainsi, face à la haine, il existe un remède : les discours de paix. S’inspirant de la devise de Martin Luther King, Fezal Boodhoo invite la population à ne pas se résigner à son sort, mais à se demander ce qu’elle peut faire pour le pays. Il témoigne qu’après avoir posté une vidéo sur les réseaux sociaux, il a reçu de nombreux commentaires positifs, témoignant d’une prise de conscience de la chance d’habiter à Maurice. « Beaucoup aspirent à la paix mais ont besoin d’être encouragés », dit-il. 

Selon lui, nous sommes confrontés à une situation où ceux qui cherchent à diviser sont très virulents dans leur communication et très présents sur les réseaux sociaux. À l’inverse, ceux qui aspirent à la paix sont très discrets, ce qui donne l’impression que ceux qui veulent semer le trouble dominent le débat public, ce qui suscite alors la peur. « Il y a pourtant beaucoup de personnes sincères et bienveillantes. Ceux qui aspirent à la paix doivent oser exprimer leurs sentiments », l’avocat. 

Il regrette également que la société soit trop timorée pour célébrer la paix et tout ce qui va bien dans notre pays. L’avocat estime aussi que les médias sociaux et les médias en général accordent trop d’attention aux divisions. « On voit rarement des exemples de collaboration ou d’actions où toutes les communautés s’unissent pour une cause », déplore-t-il.

Selon lui, nous sommes un peuple cultivé, et beaucoup ont conscience qu’ils ont tout à perdre si l’harmonie sociale venait à se briser. « De nombreuses provocations n’ont pas réussi à embraser le pays car la plupart d’entre nous refusent la violence et la division », observe Fezal Boodhoo. Il est convaincu que les messages de paix peuvent toucher leurs destinataires, à condition de les diffuser avec conviction. Cela peut contribuer à apaiser les tensions que certains veulent attiser.

Oomandra Nath Varma, sociologue : «Le vivre-ensemble doit constamment être entretenu»

nathQuels sont les faits et les causes des violences qui ont éclaté à la Citadelle lors d’un concert de bienfaisance le samedi 21 octobre 2023 ?
Nous devons nous rappeler que nous avons maintenu avec fierté, au fil des années, une société pacifique où des personnes de divers groupes ethniques, ayant des croyances religieuses différentes, ont toujours vécu en harmonie. Certaines perturbations occasionnelles restent dans les mémoires comme des jours sombres à ne plus revivre. 

Cette caractéristique nous a valu des éloges et a même attiré de nombreux étrangers qui nous considèrent comme une société exceptionnelle qui n’a pas seulement la mer et le soleil, mais aussi une population exemplaire qui fait l’envie de beaucoup. Nous avons toujours cru à la coexistence, à l’acceptation de l’autre et au fait que nous n’avons pas le droit de porter un jugement sur autrui. 

Cependant, nous ne sommes pas à l’abri des influences et événements négatifs d’autres sociétés et d’une acceptation aveugle de la violence comme solution. Malheureusement, certaines personnes croient qu’elles devraient imposer leurs croyances et leurs valeurs aux autres. Lorsqu’elles recourent à la violence pour parvenir à leurs fins, cela peut provoquer de profonds troubles. 

Nos dirigeants culturels et religieux doivent assumer leurs responsabilités pour rétablir l’équilibre, car nous ne devons pas suivre le même chemin que certaines sociétés où une interprétation erronée de la religion prime sur la raison. Nos priorités devraient être d’investir dans le bonheur des autres, et non de nuire aux autres en espérant que nous serons heureux par la suite. Il n’existe aucun exemple dans l’histoire où le mal ait engendré le bonheur.

Nous n’en avons pas fait assez pour comprendre la nécessité de garder notre peuple uni autour des valeurs fondamentales du mauricianisme»

Quelles sont les sources de la haine que certains groupes éprouvent envers le mode de vie des autres ?
Nous ne pouvons que spéculer sur diverses raisons. Nous avons probablement ignoré le fait que le vivre-ensemble doit être constamment entretenu par un effort conscient pour respecter les valeurs et les croyances des autres. Le fait est que tout le monde ne peut pas être pareil et que nous n’avons pas le droit d’imposer notre mode de vie ou nos valeurs aux autres. 

En outre, nous sommes un petit pays et nous ne pouvons ignorer ce qui se passe dans une seule partie de l’île. Ainsi, tout acte de violence ne peut être isolé dans un seul endroit.

Nous avons également besoin d’une éducation aux valeurs qui constituent le fondement de toute bonne société»

Quelle est, selon vous, la faille de notre société, au-delà de la seule question de l’éducation ?
Je dirais que nous avons de sérieuses failles parce que nous n’avons pas suffisamment de connaissances sur notre propre société, sur les luttes de nos ancêtres qui ont conduit à la paix et à la coexistence. Une société multiethnique mérite plus de compréhension, de tolérance et de respect de l’autre. 

Lorsque les gens perdent le sens de l’histoire, ils ne réalisent pas qu’ils sont tous issus de la même histoire d’inégalité, de lutte et de travail acharné. Il est important que nous apprenions notre histoire. 

Sans aucun doute, nous recherchons une éducation fonctionnelle pour obtenir un emploi, mais la réussite matérielle ne peut durer longtemps si nous ne parvenons pas à apprendre à maintenir notre bien-être social et culturel. Ainsi, lorsque nous sommes confrontés à des éléments de déséquilibre, nous ne pouvons espérer utiliser uniquement des moyens politiques ou juridiques pour redresser la situation. Nous avons également besoin d’une éducation aux valeurs qui constituent le fondement de toute bonne société. 

Nous avons parcouru un long chemin vers le succès. Nous avons appris à nous réinventer lorsque les piliers de l’économie ont changé et nous avons utilisé notre ingéniosité pour survivre dans un monde compétitif où personne ne nous doit aucune faveur. Malheureusement, nous n’en avons pas fait assez pour comprendre la nécessité de garder notre peuple uni autour des valeurs fondamentales du mauricianisme. 

Le fait que nous tirions nos valeurs de sources multiples et que nous ayons très peu de contrôle sur ce à quoi nous sommes exposés rend notre société plus compliquée et notre responsabilité envers la jeune génération plus exigeante.

Nos dirigeants culturels et religieux doivent assumer leurs responsabilités pour rétablir l’équilibre»

Comment faire pour maintenir l’harmonie ? 
C’est la responsabilité de tous. L’éducation, l’une des institutions les plus importantes de toute société, doit assumer une responsabilité accrue pour garantir que les gens soient éduqués dans certaines valeurs fondamentales transversales de partage, de respect et de travail acharné. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment insisté sur ce qui a fait notre succès. Et maintenant, alors que le danger des médias sociaux qui fournissent des informations exagérées, non censurées, biaisées et préjugées plane au-dessus de nos têtes, nous devons faire preuve de beaucoup plus de prudence. 

Il existe également plusieurs exemples de la manière dont la religion a été utilisée pour diviser et a causé des dommages irréparables dans de nombreuses sociétés. Il y aura toujours des éléments de déséquilibre dans toute société, et il deviendra de plus en plus difficile de ramener les gens à la raison. Malheureusement, nous devrons peut-être recourir à la force. Mais nous devons également nous efforcer de rattraper ce que nous avons manqué. Il est important que nous donnions à nos enfants la possibilité d’être éduqués dans les valeurs fondamentales d’une société multiculturelle.

 

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