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Ibrahim Koodoruth, sociologue : « Beaucoup de travailleurs manuels font partie de la classe moyenne »

Ibrahim Koodoruth

Les sociologues font la distinction entre trois catégories de classe moyenne (classe moyenne inférieure, classe moyenne, classe moyenne supérieure). Dans le contexte mauricien, quelles sont les catégories socio-professionnelles qui se retrouveraient dans ces trois compartiments ?

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Le critère de la profession n’est pas un aspect valable pour décrire la classe moyenne. Prenons l’exemple d’un couple qui travaille dans l’enseignement. Il tombera dans la catégorie supérieure ou ‘middle middle class’ dépendant s’il est dans le primaire, le secondaire ou le tertiaire. Donc, ce critère n’est pas approprié. Il faut prendre en compte les revenus du ménage.

Il faut aussi décloisonner les blue-collar workers (travailleurs manuels) et les white-collar workers (employés de bureau). On a tendance à considérer qu’un white-collar worker fait automatiquement partie de la classe moyenne et qu’un blue-collar worker est un peu plus bas dans l’échelle. Ce qui est faux car beaucoup de blue-collar workers font partie de la classe moyenne. À l’instar des électriciens ou ébénistes dont le business marche très bien.

Avec la hausse du coût de la vie, beaucoup de produits et services deviennent plus chers, alors que les salaires restent plus ou moins les mêmes. "

Est-ce qu’il y a un phénomène de paupérisation de la classe moyenne ? Est-ce que celui-ci s’est accentué avec la crise ?
Oui ! Avec la hausse du coût de la vie, beaucoup de produits et services deviennent plus chers, alors que les salaires restent plus ou moins les mêmes. Du coup, le pouvoir d’achat diminue automatiquement. Et c’est là qu’on note une paupérisation de la classe moyenne, qui n’a fait que s’accentuer avec la crise.

Nous observons aussi un autre phénomène. La classe moyenne se fait de plus en plus soigner dans le privé. Elle a aussi recours à l’éducation privée. À titre d’exemple, beaucoup de parents envoient de nos jours leurs enfants dans des écoles privées. Ils ont les moyens de le faire, mais ces types de dépenses sont élevés.

Par ailleurs, cette tendance s’explique aussi par le fait que les Mauriciens ne font pas confiance aux institutions publiques et à la réforme de l’éducation.

C’est malheureusement la classe ouvrière qui souffre le plus du système éducatif. Avec les cinq « credits » obligatoires, on diminue les chances de réussite de la classe ouvrière et c’est vraiment triste.

D’aucuns disent que si la classe moyenne touche plus de revenus que la classe ouvrière, elle est aussi celle qui est la plus endettée. À quel point cela est-il vrai ?
La classe moyenne s’endette plus car elle a les moyens de s’endetter. Comme son salaire est plus élevé que celui de la classe ouvrière, les banques sont disposées à lui accorder plus de prêts. Outre le logement, beaucoup de familles de la classe moyenne investissent dans l’avenir de leurs enfants. Ils empruntent pour envoyer leurs enfants étudier à l’étranger et les incitent à faire leur vie là-bas. Ils croient bien plus à la mobilité sociale dans des pays étrangers qu’à Maurice où le népotisme domine.

 

Dr Kris Valaydon, analyste politique et démographe :« Un pays perd sur le plan économique s’il  néglige l’apport de sa classe moyenne »

Le Dr Kris Valaydon, analyste politique et démographe, est catégorique. « Il y a une dimension démographique conséquente, mais souvent négligée, lorsque la classe moyenne est mal à l’aise dans le pays », explique-t-il. Pour lui, le pays « perd sur le plan économique s’il  néglige l’apport de sa classe moyenne dans le développement du pays, son avenir, son destin ».

« L’avenir d’une classe sociale économique va dépendre de l’appréciation que fait cette classe, du moins des personnes qui la composent, de son droit à l’ambition. Cela est vrai pour la classe ouvrière tout comme pour la classe moyenne. Lorsque quelqu’un de la classe populaire, ouvrière n’a pas d’ambition pour lui ou pour ses enfants, il se laisse aller. Il se marginalise », souligne-t-il. De même, ajoute le Dr Kris Valaydon, lorsqu’on refuse à la classe moyenne son droit à l’ambition, elle refuse de faire des enfants. « Et si elle en fait, c’est pour les voir partir un jour, s’émigrer vers d’autres cieux où ceux-ci trouveront, comme on dit, leur  avenir », explique-t-il. Et d’ajouter : « la classe moyenne salariée aura une tendance dans le moyen terme et  même dans le très court terme de quitter Maurice,  et de commencer une vie ailleurs, là où le climat politique est plus propice, là où elle estimera que la méritocratie est respectée, mais aussi elle émigre pour ses enfants ».

C’est ainsi que plusieurs, souligne-t-il, prennent la décision d’envoyer leurs enfants étudier au Canada, en Australie ou en Europe « afin de ne pas retourner dans un pays qu’ils considèrent perdu,  ou réservé à une certaine  catégorie de personnes ». Pour Kris Valaydon, lorsqu’un pays arrive dans cette situation, il y a de quoi s’inquiéter. « Mais, à Maurice, personne ne s’en inquiète, du moins pas la classe dirigeante, parce que pour elle, l’exode des cerveaux n’est aucunement sa priorité », conclut-il.

 

Le saviez-vous ?

En France, la question de combien touche la classe moyenne fait débat. Cela, à la suite d’une phrase prononcée ce mois-ci par François Bayrou sur Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, à savoir « 4 000 euros (environ Rs 195 600) par mois, pour moi, c’est la classe moyenne ». Or, selon les données officielles en France, c’est quand une personne touche entre 1 390 euros (environ Rs 67 970) et 2 568 euros (environ Rs 125 575) qu’elle fait partie de la classe moyenne.

 

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