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Hector Tuyau : «Je ne comprends pas vraiment la raison d’être de la SST»

L’ancien assistant surintendant de police (ASP), ancien membre de l’Adsu et ancien chef enquêteur de la commission d’enquête sur le trafic de drogue, Hector Tuyau, estime que pas assez est mis en œuvre pour combattre le trafic. Il parle aussi de l’affaire Bissessur et affirme ne pas comprendre le pourquoi de l’existence de la Special Striking Team. Hector Tuyau lève également le voile sur certains aspects du monde de la drogue.

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Mardi dernier, l’avocat Akil Bissessur a été arrêté une nouvelle fois. Cette fois-ci après un « controlled delivery » à Dreamton Park, où se trouve son appartement. 1 022 comprimés d’ecstasy se trouvaient dans un paquet que livrait un policier déguisé en facteur. Me Bissessur a refusé de prendre réception, mais a quand même été arrêté. Cet exercice a soulevé beaucoup de commentaires de part et d’autre. Quelle est votre avis sur la question ?
Je ne vais pas commenter sur cette affaire, mais j’ai regardé la vidéo faite et postée sur Facebook par Akil Bissessur au moment où le facteur voulait lui remettre le colis. J’apprends aussi que le facteur est un policier. De mon point de vue, ce n’est pas une procédure exceptionnelle qu’un policier se déguise. Souvent, la police utilise de telles tactiques quand il s’agit, par exemple, de faire ce genre d’exercice dans les résidences. Il n’y a rien d’anormal en soi. Par contre, je ne peux pas me prononcer sur l’enquête en soi pour dire s’il a commandé ou pas commandé ces pilules depuis l’Allemagne. L’enquête et la cour détermineront ce qui est vrai ou pas.

Est-ce que la police a comme habitude de quitter des colis contenant ce qu’elle pense être de la drogue chez ceux qui sont soupçonnés d’être les destinataires, ou bien la procédure veut que les destinataires se rendent à la poste centrale pour prendre livraison et y être arrêtés ? 
Ça dépend. Ça dépend des méthodes de l’équipe en charge de l’opération. Ça dépend aussi de la grosseur du colis. Si c’est maniable, ce n’est pas inhabituel qu’un facteur ou un policier déguisé en facteur vienne quitter le colis à domicile.

Il y a beaucoup d’interrogations par rapport au fait que c’est la Special Striking Team (SST) qui a mené l’opération et non pas l’Adsu…
Je dis haut et fort que je ne suis pas d’accord qu’il y ait une unité parallèle à l’Adsu. Ça prête à confusion. Pour moi, c’est l’Adsu qui aurait dû monter une opération de ce genre.

Est-ce que vous savez comment les officiers de l’Adsu vivent cette situation, où c’est la SST qui mène ce genre d’exercice ? 
La SST provoque de la frustration au sein de l’Adsu. Ce n’est pas la première fois qu’il y a une unité telle que la SST. Plusieurs unités similaires ont fait concurrence à l’Adsu et toutes ont arrêté d’opérer après quelque temps.

Quel est le danger d’avoir des unités parallèles ?
Ce n’est pas un danger en soi. Mais ça peut provoquer du découragement au niveau de l’unité qui est là pour combattre le trafic de drogue. Elle se sentira inefficace, car c’est une autre équipe qui prend les choses en main. Ça aura comme conséquence une baisse d’efficacité de l’Adsu sur le terrain. Je ne dis pas qu’une équipe autre que l’Adsu, telle qu’une équipe d’une station de police, ne peut pas travailler sur des dossiers sur la drogue. D’ailleurs, ça se fait. Mais ça ne peut pas se faire de manière régulière, comme le fait la SST. Ça fait désordre.

Il n’y a pas de baron des barons»

La SST provoque beaucoup de réactions, qui sont parfois négatives, au niveau du public…
Je ne comprends pas vraiment la raison d’être de la SST. 

La commission d’enquête sur la drogue, dont vous avez été le chef inspecteur a, dans son rapport datant de 2018, recommandé la dissolution de l’Adsu et la création d’une National Drugs Investigation Commission, censée mener des enquêtes, intercepter des colis suspects, procéder à des arrestations, émettre des mandats de perquisition, enquêter sur le blanchiment d’argent, entre autres. Est-ce que vous pensez toujours que ça devrait être la solution pour une lutte efficace contre le trafic de drogue ? 

Certainement. Quand plusieurs unités, telles que l’Adsu, la douane, la MRA ou encore la Financial Intelligence Unit, travaillent ensemble, les choses peuvent avancer plus vite. Au lieu de prendre un an pour faire une enquête et au lieu d’avoir des rivalités ou conflits entre départements, une seule grande équipe avec toutes les expertises nécessaires à son bord permettrait une lutte bien plus efficace. On n’invente pas la roue, car ce mode de fonctionnement a été adopté dans beaucoup de pays avancés avec un certain succès.

Sur papier, cette idée est jolie, mais est-ce vraiment faisable dans la pratique ?
Pourquoi pas ? Dans le passé, il y avait déjà une équipe conjointe douane/Adsu et elle a livré de bons résultats. Mais cette collaboration a été arrêtée. Quand la douane et la police travaillent ensemble, ça apporte des résultats. Moi-même, j’ai plusieurs fois travaillé avec la douane et ça a apporté des résultats. Mais c’est aux décideurs de prendre les décisions qui s’imposent. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi de telles décisions n’ont pas encore été prises.

Dans les extraits des bandes sonores diffusés par TéléPlus au début du mois, on entend des supposés policiers s’exprimer sur des connexions entre policiers et trafiquants de drogue. Des noms de policiers sont d’ailleurs cités. Comment réagissez-vous face à ce genre de propos ? Ça renforce la perception qu’il y a beaucoup de corruption au sein de la police. 
Beaucoup est un grand mot. C’est une poignée de policiers, que ce soit au sein de l’Adsu ou ailleurs, qui est corrompue. Ils peuvent être identifiés et si la volonté est là, ils peuvent être écartés de la force policière. Car, il y a déjà des soupçons sur certains. Par contre, que des policiers reçoivent de la protection money de la part de trafiquants, je n’y crois pas. Qu’il y a des policiers qui refilent des renseignements en échange et à ce moment-là, ils reçoivent quelque chose. Il ne faut pas oublier que l’Adsu arrête des gens tous les jours, mais on n’en entend pas nécessairement parler. Ce n’est que quand il y a une grosse prise qu’on en entend parler.

Il n’y a pas assez d’efforts dans la lutte contre la drogue»

Il y a une perception que l’on attrape les petits poissons, alors que les grands barons restent intouchés...
Ce n’est pas vrai. Plusieurs caids sont derrière les verrous. Je pense notamment à Peeroomal Veeren ou “Very Good”. C’est au niveau de ceux qui blanchissent l’argent qu’il y a un souci. La police n’a pas nécessairement l’expertise pour traquer ces gens-là et ce serait encore un aspect où cette National Drug Investigation Commission serait très utile. Les moyens de l’Adsu ne lui permettent pas de remonter vers les blanchisseurs. l’Adsu peut arrêter un baron, mais celui-ci utilise un mécanisme souvent sophistiqué pour planquer son argent ou pour blanchir son argent. Et pour ce faire, il a l’appui de tierces personnes, de facilitateurs. Nous n’avons pas cette expertise pour enquêter à ce niveau. Enquêter sur l’aspect financier n’est pas la spécialité de l’Adsu.

Vous avez été dans l’Adsu pendant plus de 25 ans. Que répondez-vous à ceux qui disent que des policiers se laissent acheter par des trafiquants ? 
Un trafiquant est par essence très prudent. Je le vois mal approcher un policier pour lui dire qu’il est un trafiquant et qu’il est prêt à lui donner de l’argent. Par contre, un trafiquant identifiera ceux qui sont vulnérables, c’est-à-dire des officiers qui ont des dettes, les parieurs invétérés, ou encore ceux qui ont plusieurs maîtresses. Tout comme la police a son intelligence, les trafiquants aussi ont leur réseau d’informateurs. Ils savent qui sont ces policiers vulnérables et ce sont ceux-là qui seront approchés.

Y a-t-il souvent des rencontres entre policiers et trafiquants ou encore des trafiquants qui donnent des renseignements pour faire couler la concurrence ?
 De mon temps, ce n’était pas une réalité. Je ne crois pas que ce soit quelque chose qui se fait vraiment. Ce ne serait pas éthique pour un trafiquant de dénoncer un autre trafiquant. Si un policier le fait, il faillerait à sa tâche. En ce moment, on entend parler de ce genre de choses, mais pendant tout le temps que j’étais à l’Adsu, je n’ai jamais entendu parler d’un trafiquant qui donne des informations pour dénoncer un autre. Admettons que ça arrive. Ne croyez-vous pas que le trafiquant qui a été dénoncé saura qui l’a fait ? Ceci mettra, du coup, le dénonciateur en danger.
Et cela pourrait provoquer une guerre des gangs…

Il n’y a pas de gangs à Maurice. Il y a des dealers, des jockeys, des martins, mais de gangs ; il n’y en a pas ici.

Mais il n’y a pas de territoires ?
Non. Ça n’existe pas. D’ailleurs, il y a des endroits à Maurice où plusieurs dealers qui se fournissent à différents endroits se côtoient, un peu à l’image de prostitués qui se partagent le même trottoir.

Maurice n’est pas partagé par plusieurs gros barons ? Y a-t-il un grand baron qui les domine tous ?
Le territoire n’est contrôlé par personne. Il n’y a pas de baron des barons. Certains sont dans le business de manière constante. D’autres sont des opportunistes, qui vont importer de la drogue lorsqu’ils en ont l’occasion. Parfois, les trafiquants s’entraideront pour faire venir une ou plusieurs cargaisons. Maurice n’est pas comme Marseille, par exemple, où des gangs se bagarrent pour avoir le contrôle de tel ou tel territoire.

Nous avions identifié des dizaines de policiers»

Mais les barons se connaissent entre eux ?
Ils se connaissent, oui.

C’est un syndicat du crime ?
Non. Chacun opère de manière individuelle, même si quand une opportunité se présente, untel peut travailler avec untel, mais de syndicat du crime en tant que tel, il n’y en a pas. Par contre, il y a une différence majeure par rapport à avant. À l’époque, les trafiquants étaient peu nombreux. Lorsque nous procédions à une saisie importante à l’aéroport, cela était suivie d’une pénurie sur le marché. Maintenant, même lorsque 100 kilos sont saisis, la drogue reste disponible en abondance sur le marché. Ça veut donc dire que beaucoup de drogue entre et autrement que par l’aéroport. La pandémie de Covid-19, durant lequel les vols ont été interdits pendant une longue période, le prouve. Il n’y a pas eu de pénurie durant cette période. Ça veut donc dire que beaucoup de drogue entre par la mer, où il y a une faille au niveau de la surveillance. C’est une réalité.

Vous pensez que la situation s’est détériorée ?
Oui. Il y a beaucoup de drogue, mais peu de policiers et peu de moyens. C’est en corrélation. Ce dont dispose l’Adsu n’est pas suffisant. Elle doit travailler avec les moyens du bord. Les effectifs et les moyens sont insuffisants par rapport à l’ampleur du phénomène.

Pourtant, le gouvernement a dit et répété qu’une de ses grandes priorités était de « casse lerein trafiquants » ?
Il n’y a pas assez d’efforts dans la lutte contre la drogue. Pourquoi ne pas mettre en commun des éléments de l’Adsu, la douane, la MRA, la FIU et d’autres pour créer une grande agence pour combattre le trafic, comme l’avait recommandé la commission d’enquête sur la drogue ? Ce serait utile aussi de faire venir des experts de l’étranger pour aider dans des domaines spécifiques où nous n’avons pas suffisamment d’expertise. Je n’irais pas jusqu’à dire que nous avons failli, mais il n’y a définitivement pas assez de moyens. Je pense que nous pourrions, avec suffisamment de moyens, peut-être pas éliminer la drogue, mais au moins avoir un meilleur contrôle, car Maurice est petit. Avec suffisamment de moyens, on peut gagner ce combat contre la drogue. Il faudrait aussi arrêter la traque des petits consommateurs, car c’est une perte de temps et d’effectifs. C’est pourquoi je maintiens qu’il faut dépénaliser le cannabis. Cela permettrait de faire tomber la demande de drogue synthétique, qui est un mal qui tue notre jeunesse. Le cannabis est un moindre mal à côté du synthétique.

Certains veulent légaliser le cannabis…
Je ne parle pas de légaliser, mais de dépénaliser. Ce sont deux choses distinctes. Quand je parle de dépénaliser, je parle de donner des traitements ou du travail communautaire, au lieu de mettre en prison les petits consommateurs. Il ne faut pas comparer le cannabis avec le synthétique ou l’héroïne.

Sur Top FM, il y a une semaine, l’ASP Ashik Jagai, patron de la SST, parlait de narcopoliticiens, c’est-à-dire de politiciens à la solde de trafiquants. Votre avis sur la question ?
Je ne sais pas s’il a des preuves de ce qu’il avance. Je ne connais pas de politiciens qui sont à la solde de trafiquants. Peut-être qu’il fait référence aux politiciens qui, en tant qu’avocats, défendent des trafiquants présumés. Mais il faut savoir que toute personne est présumée innocente jusqu’à sa condamnation et que toute personne a le droit d’avoir un avocat pour se défendre. Des avocats qui sont aussi politiciens et qui défendent des trafiquants présumés, on en trouve dans tous les bords politiques. De là à parler de narcopoliticiens, si M. Jagai en a identifié, il est de son devoir de les arrêter.

Y a-t-il de gros trafiquants actifs depuis beaucoup d’années et qui ne sont jamais fait pincer ?
Il faut avoir des opportunités pour arrêter une personne. Parfois ça peut prendre du temps, mais tout trafiquant se fait prendre un jour où l’autre. Tôt ou tard, il passera à la trappe. 

Pensez-vous que derrière les trafiquants, il y a des financiers bien tapis dans l’ombre ?
Oui. Il y en a. On sait qu’il y en a. Mais ceux-là ne mettent pas la main à la pâte. La commission d’enquête en a identifié plusieurs. On a remis des noms aux autorités. Maintenant, y a-t-il eu un suivi ou pas, je ne sais pas.

Y a-t-il un financement depuis l’étranger ?
Non. Le financement est purement local.

La commission a-t-elle soumis des noms de policiers ayant des connexions avec le milieu et qui sont toujours actifs aujourd’hui ?
On a enquêté sur plusieurs policiers, mais nous n’avions pas eu suffisamment de preuves. Mais on a soumis des noms. Le rapport dit que nous n’avons pas eu assez de temps, de moyens et d’effectifs pour mener à terme certains aspects. Mais cela ne veut pas dire qu’il fallait arrêter le travail avec la remise du rapport. On aurait pu nous demander de continuer à enquêter, à explorer des pistes ou nous donner davantage de moyens. Mais ça n’a jamais été fait.

C’était une longue liste ?
Nous avions identifié des dizaines de policiers.

 

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