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Hector Tuyau : «Akil Bissessur a-t-il des preuves que la police a 'planté' de la drogue ?»

Accuser la police de dissimuler de la drogue au domicile de quelqu’un n’est pas quelque chose de nouveau. C’est l’avis de l’ancien haut gradé de police, Hector Tuyau. S’il pense qu’il n’y a pas eu de cas avérés en ce sens, il dira cependant que la police n’a pas toujours su se montrer convaincante devant un tribunal sur la provenance de la drogue saisie chez un suspect.  
 
L’arrestation d’Akil Bissessur et de sa compagne Doomila Moheeputh fait des vagues. Cela vous surprend-t-il ?
Cette affaire est médiatisée, car la personne est un avocat, proche d’un parti politique et de certains leaders politiques. Sans compter qu’il n’a pas la langue dans sa poche. Il a l’habitude de prendre position sur certaines choses. C'est pour cela que beaucoup est dit dans cette affaire. 

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La méthode de la Striking Team de l’Adsu est déplorée par les avocats. De par votre expérience, ont-ils fauté lors de la perquisition à la résidence de Doomila Moheeputh dans la soirée du 19 août 2022 ?
Par rapport aux vidéos que j’ai visionnées, j’ai vu que la police était en train de réclamer l’accès à l’intérieur de la maison. Les occupants, semble-il, faisaient de la résistance. Zot [la police] pe dir ‘ouver, ouver...’ ek zot ti pe kas vit. Il faut savoir que lorsque l’accès est refusé et que si la police estime que les suspects vont détruire certains éléments qui peuvent constituer des preuves, la loi autorise la police à forcer l’accès à l’intérieur du bâtiment. Sa li kler sa.  

Certains se demandent pourquoi la Striking Team a-t-elle attendu que le couple soit à la maison pour la perquisition, alors qu’elle pouvait l’intercepter lors du trajet Tamarin-Palma ?
C’est la personne qui était en charge de l’opération qui peut dire avec exactitude pourquoi elle a fait ce choix. Il se peut qu’elle ait estimé que c’était le meilleur moment pour lancer l’opération, alors que si j’étais à sa place, j’aurai pu choisir un autre moment. Je pense que lorsque l’affaire sera prise en cour, la personne aura la possibilité de s’expliquer sur cette question. 

De par votre expérience, quelles sont les raisons qui peuvent avoir motivé une telle décision ?
Il m’est arrivé de prendre un suspect en filature et de le laisser rentrer chez lui avant d’intervenir, car j’estimais que c’était plus facile pour moi dans le sens où le risque à la sécurité est moindre, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de membres du public. Ena zis li, nou pli kapav gagn li. Un autre facteur à prendre en considération est le moyen de transport dans lequel se trouve le suspect. Il se peut, s’il est à moto ou à pied, que cela soit plus facile pour la police de l’intercepter que s’il est dans une voiture. Il y a de nombreux facteurs qui peuvent influencer une telle décision.  Ek desizion la toultan li repoz lor sef lekip. 

La Striking Team aurait-elle dû être plus pointues dans l’opération vu que ces arrestations auront une connotation politique ?
Personne n’est au-dessus de la loi. Par exemple, lorsque j’avais été désigné par la commission d’enquête [sur la drogue], j’ai enquêté sur de nombreuses personnes, même celles considérées comme étant des proches du gouvernement ou de l’opposition. Un policier n’est pas tenu de prendre en considération l’appartenance [politique] de qui que ce soit. Il doit tout simplement agir, comme je l’ai d’ailleurs fait lorsque j’étais à la CID Nord, j’avais convoqué un ministre pour une affaire ayant trait à la National Transport Authority. Mo pa krwar ki kan enn sispe pros ek enn parti politik, polisie bizin met legan. 

Même si la personne est proche du gouvernement du jour ?
Oui ! Le policier est tenu de traiter la personne comme n’importe quel autre citoyen. Je l’ai fait très souvent dans le passé. Dans l’affaire Deelchand, j’avais arrêté un parlementaire qui était au gouvernement. Et il n’y avait pas que lui. Si un policier a peur d’arrêter une personne qui est considérée proche du pouvoir ou de l’opposition, il ne mérite pas d’être policier. 

C’était peut-être plus facile pour vous qui étiez connu pour être quelqu’un qui n’a pas toujours été dans les rangs, n’est-ce pas ?
De nombreux policiers ont parfois peur d’agir parce qu’ils pensent avant tout à leur famille, ils craignent d’être transférés ou ils ont peur des représailles. Mais comme je l’ai dit, il ne faut pas avoir peur de faire son travail. Ils doivent faire ce qu’il faut quand il le faut et laisser les choses suivre leur cours. En ce qui me concerne, j’ai toujours agi ainsi. Ce qui m’a valu quelques transferts, certes, So what ? 

Le mandat de perquisition présenté pour l’opération au domicile de la compagne de Me Bissessur a fait polémique. Cela, du fait qu’il a été signé par un ACP et non par un magistrat. Est-ce une procédure courante ?
It’s not an issue. In case a delay may cause prejudice to a case, a police officer not below the rank of ASP (Assistant Superintendent of Police) may sign the warrant. C’est la Police Act qui lui confère ce pouvoir qui est le même que celui d’un magistrat. C’est une fausse polémique. 

La police est-elle habilitée à effectuer des vidéos lors des perquisitions ?
Certainement. Ce n’est pas mentionné dans la loi, certes, mais cela permet en quelque sorte de protéger l’officier qui effectue une fouille, par exemple. Lorsque je partais faire des raids, je demandais toujours à quelqu’un de l’équipe de filmer l’intervention. Touzour nou met nou dan ‘safe side’. Ce n’est pas dans la loi, mais rien ne nous empêche de le faire pour, par exemple, prouver notre bonne foi. Ce n’est pas illégal. Je me souviens que, lors d’une fouille, nous avions retrouvé plusieurs millions de roupies. J’avais demandé à ce que l’exercice de comptage soit filmé. Pou ki dime bann-la pa vinn dir ti ena plis ou ti ena mwins. 

La vidéo pourrait-elle être d’un quelconque usage par la suite au tribunal ?
Oui, du moment que vous avez déposé la vidéo comme preuve ou pièce à conviction. La vidéo pourrait être admissible ou contestée. Sans compter que la vidéo pourrait même jouer contre celui qui l’a déposée, s’il l’a manipulée, par exemple. 

Le rapport du Forensic Science Laboratory (FSL) a confirmé la présence de drogue, le 24 août, soit 5 jours après l’arrestation de l’avocat. Dans la plupart des cas, ce rapport se fait attendre… Est-ce que ce ‘fast track’ vous fait sourciller ?
Souvent, dans un cas de drogue où un rapport d’analyse du FSL est nécessaire, s’il y a une motion de remise en liberté conditionnelle, la police elle-même demande un ‘fast track’, car le rapport devra être produit au tribunal durant la motion. Cela a toujours été le cas.

C’est aussi rare, dans une affaire de trafic de drogue, que le suspect obtient la liberté sous caution après 18 jours de détention…
C’est la prérogative du magistrat d’accorder la liberté sous caution et à quel moment de l’enquête. Il faut savoir que le magistrat ne statue pas sur le cas, mais décide plutôt s’il peut se permettre d’accorder la liberté à un suspect tout en ayant la certitude que le suspect ne fera pas faux bond à la cour lorsque l’affaire sera prise sur le fond ou s’il ne va pas falsifier des preuves. Dans ce cas particulier, j’ai cru comprendre qu’un premier magistrat avait rejeté la motion de remise en liberté et que c’est après deux semaines que la demande a été agréée par un autre magistrat. Il se peut que ce dernier ait jugé qu’il n’y a pas de risque que les suspects falsifient des preuves ou qu’ils se sauvent. 

Les avocats de Akil Bissessur réclament le prélèvement des empreintes des officiers de la Striking Team. N’est-ce pas de bonne guerre ?
Je ne sais pas à qui la demande a été faite, mais un avocat ne peut demander à des policiers de soumettre leurs empreintes. C’est l’officier qui mène l’enquête qui peut le faire ou alors un autre Enquiring Body devant lequel une plainte a été déposée, par exemple. C’est quelque chose qui est déjà arrivé dans le passé, mais dans des circonstances différentes. Je crois savoir que c’est dans le cadre d’un « elimination process » que cette demande a été faite par ces avocats qui s’attendent peut être à ce que les empreintes des policiers ayant participé à l’exercice soient retrouvées sur les sachets de drogue saisis.  

Pensez-vous que la Striking Team est sur la défensive depuis l’annonce que l’ADN de l’avocat Bissessur n’a pas été retrouvé sur les drogues saisies ? 
Je ne suis pas au courant des éléments de l’enquête, mais dans ce cas si, la police va devoir poursuivre son enquête et venir dire qui aurait pu avoir ‘tamper’ ou détruit les empreintes, si cela a été le cas. Et c’est à la cour de décider si l’absence des empreintes d’Akil Bissessur sera acceptée ou pas.

Dans le sillage de cette affaire, il est beaucoup question de « drogue plantée ». Intriguant, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas la première fois qu’un suspect allègue que la police a « planté » de la drogue chez lui. C’est quelque chose d’assez fréquent même, je dois dire. Encore une fois, ce sera au tribunal de choisir d’admettre une telle possibilité ou pas. Sans compter que le suspect pourra être appelé à produire des preuves de ce qu’il avance. Est-ce qu’Akil Bissessur a des preuves ? Je ne sais pas. Autant que je sache, il n’y a pas eu de cas avéré où la police a « planté » de la drogue. Mais il est arrivé, dans de rares cas, que la police ne parvient pas à convaincre le tribunal sur l’endroit où elle a retrouvé la drogue saisie. 

Il est souvent question de liens incestueux entre le pouvoir et la police. Certains policiers peuvent-ils descendre aussi bas ?
Si un policier ou un chef d’équipe prend des instructions de quelqu’un qui est en dehors de la force policière pour interpeller ou arrêter un individu, c’est considéré comme un complot. Je ne crois pas qu’un haut gradé de police soit aussi imbécile pour faire une telle chose. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais il faut être vraiment bête pour le faire. Et si une telle chose est possible, c’est effrayant. 

Akil Bissessur a formulé plusieurs allégations contre des policiers de la Striking Team. Ces derniers ont-ils les moyens de les réfuter ?
Certainement. Lorsque la police fait une intervention, ils sont plusieurs et un policier ne reste jamais seul. Les fouilles se font en groupe et ils constituent donc des témoins pour chacun. Mais bien sûr, ce sera au tribunal de choisir si ces témoignages seront acceptables ou pas. Mais personnellement, je pense que lorsqu’un cas est ‘genuine’ et que la police dispose de preuves scientifiques et d’autres éléments concrets, c’est très rare que le verdict de la cour lui soit défavorable. 

Les avocats réclament les enregistrements des caméras CCTV des jours précédant l’arrestation de Me Bissessur au moment qu’il aurait été sous surveillance. Est-ce la première fois que la défense fasse une telle demande ? 
C’est la première fois que je prends connaissance d’une telle demande de la défense. Car, en temps normal, c’est la police qui demande des images CCTV. 

La loi PACE comprend toute une procédure à suivre concernant les arrestations et perquisitions entre autres… N’est-il pas temps pour qu’elle soit introduite ?
Le Police and Criminal Evidence (PACE) Bill est évoqué depuis le début des années 90. La police avait alors commencé à opérer un peu de la même manière que préconisait le PACE dans l’optique de l’introduire dans sa totalité. Mais à ce jour, soit plus de 25 ans plus tard, ce n’est toujours pas le cas. Le PACE aurait permis de protéger à la fois la police elle-même ainsi que les suspects. It’s long overdue. 

Si de la drogue valant des milliards de roupies a été saisie ces dernières années, il se peut que le double ou le triple a pénétré le marché mauricien. C’est énorme pour une population de 1,2 million de personnes, n’est-ce pas ?
En effet, c’est beaucoup. Dans le passé, on a connu des saisies de 10 à 14 kilos seulement. 

Où sont les failles ?
Dans aucun pays du monde, on ne peut empêcher la drogue d’entrer. Kapav aret 10 kargezon, enn pu rantre ek enn la pou ase pu alimant marse. Dans le passé, une vingtaine d’année de cela, on connaissait des périodes dites ‘de sècheresse’. Par manque de drogue sur le marché, on voyait les toxicomanes se regrouper, par exemple. Me pena ancor sa, la sesres pa existe asterla. Surtout que les fréquences aériennes ainsi que le nombre de navires accostant le pays ont considérablement augmenté depuis. Sans compter que nous sommes entourés d’eau. Nos moyens ne nous permettent pas de veiller sur chaque centimètre du littoral. 

Et une fois à l’intérieur, de quels moyens dispose la police ?
Il est plus facile pour la police de maintenir un contrôle une fois les drogues sur notre territoire. Il y a de nombreux moyens pour cela, dont un est de ‘follow the money’ qui peut alors amener la police jusqu’au trafiquant. 

Mais il y a une perception que la police ne parvient jamais à mettre la main sur les gros bonnets, malgré des saisies record de drogue. Comment l’expliquez-vous ?
Ce n’est pas vrai. Nous avons arrêté des personnes à la tête de trafic dans le passé. Mais il faut faire la distinction entre celui qui fait le trafic et celui qui le finance. Li, li kapav pann touss ladrog zame li, li zis finanse. C’est plus compliqué de leur mettre la main dessus. Ou gagn CEO la me ou pa gagn Chairman la ek so Board  (rires)! Pour y arriver, comme l’a suggéré la commission d’enquête sur la drogue, il faut le concours de plusieurs unités et départements de l’État pour pouvoir suivre efficacement l’argent du trafic. 

Le rapport Lam Shang Leen avait recommandé le démantèlement de l’Adsu. Qu’en pensez-vous ?
Autant que je sache, la recommandation ne portait pas sur un démantèlement en tant que tel. Il avait été suggéré de placer l’Adsu ainsi que la douane, la MRA ainsi que d’autres départements sous l’ombrelle d’une autre entité. À ce moment-là, en sus de la répression, les actions seraient aussi portées sur le financement des trafics, etc. Si ti travay ansam, ti pou pli fasil koup sa bebet dis latet-la. Me l’Adsu kouma li ete la, li pa kapav al swiv tras lamone. Dan enn pake zafer li limite. 

Le mot de la fin…
Il y a une perception qu’il y a des pourris au sein de l’Adsu et de la police. Ena malpropte dan lapolis me li pa boukou, forse enn 10 %. La grande majorité travaille avec beaucoup de dévouement, dans des conditions difficiles. Avec peu de moyens, ils parviennent néanmoins à accomplir de grandes tâches. Il aurait fallu qu’on leur donne encore plus de moyens de sorte à ce qu’ils soient plus efficaces dans leur travail.
 

  • LDMG

 

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