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Gassen Dorsamy, Managing Director de la CHCL : «Quelle entreprise peut prospérer avec un taux d’absentéisme de 30 % ?»

Deux mois après son retour à la tête de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), Gassen Dorsamy dresse un bilan sans détour. Face à un port qui était au bord du naufrage, il a imposé une discipline stricte, réduit drastiquement l’absentéisme et rétabli une gestion rigoureuse des opérations. Résultat : un temps d’attente des navires ramené à zéro, des compagnies maritimes rassurées et un climat de travail transformé. Mais le défi ne s’arrête pas là. Avec une vision claire, il veut faire de la CHCL un « Smart & Green Port », misant sur l’automatisation, la fluidité du trafic et la formation des opérateurs.

Après un premier passage marqué par des résultats remarquables, vous revenez à la tête de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL) après sept ans. Était-ce un retour attendu de votre part ?
Honnêtement, non ! Cette nomination a été une surprise totale. Depuis mon départ en 2017, j’ai continué à suivre de loin l’évolution du port, mais jamais, je n’aurais imaginé qu’on me rappellerait pour y remettre de l’ordre. J’ai pris le temps de la réflexion et, après avoir consulté ma famille, j’ai décidé d’accepter ce défi avec conviction et enthousiasme. Cette nomination est une marque de confiance que j’accueille avec beaucoup d’humilité.

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Pourquoi ce temps de réflexion ?
Parce que ce n’est pas une mission facile. L’état de la CHCL exigeait un redressement en profondeur et un engagement total. Mais en constatant l’ampleur des défis à relever et le rôle stratégique que joue notre port dans l’économie nationale, j’ai ressenti une obligation morale et professionnelle d’agir.

Obligation, dites-vous ?
À mes yeux, c’est à la fois un devoir et un honneur que le Premier ministre, Navin Ramgoolam, me fasse confiance. Je suis pleinement déterminé à contribuer activement à la modernisation de notre port, un levier essentiel pour le développement économique du pays.

Je ne suis pas revenu pour faire de la figuration. Il fallait un leadership fort, une vision claire et la capacité de prendre des décisions difficiles. J’ai donc décidé d’accepter ce défi avec la ferme intention de remettre la CHCL sur les rails.

Qu’avez-vous découvert en reprenant les commandes ?
J’ai été sidéré. Une entreprise au bord du naufrage. Tout ce qui avait été mis en place lors de mon précédent mandat pour moderniser et structurer les opérations avait été complètement démantelé. J'avais contribué à l'élaboration du dernier Business Plan de la CHCL, et malheureusement, depuis mon départ, aucun progrès concret n'a été réalisé. Pire encore, certaines pratiques archaïques avaient refait surface.

Le constat était accablant :

  • L’attente des navires atteignait jusqu’à sept jours, alors que nous étions auparavant parvenus à une fenêtre d’accostage fluide.
  • Plus de 2 000 conteneurs destinés à Maurice avaient été déchargés dans d’autres ports de la région, paralysant l’approvisionnement local, notamment en pleine période festive.
  • Des compagnies maritimes menaçaient d’imposer des surtaxes de USD 500 à USD 1 000 par conteneur, un surcoût exorbitant pour les importateurs et l’économie locale.
  • Certaines compagnies maritimes avaient cessé d’accepter les réservations d’exportation, mettant en péril la compétitivité de nos entreprises exportatrices.
  • Plusieurs grands acteurs du shipping se détournaient de Maurice au profit d’autres hubs régionaux.

Ce n’était pas simplement un problème de mauvaise gestion. C’était une véritable catastrophe industrielle et économique, qui aurait pu être évitée avec un minimum de rigueur et de discipline.

La productivité est identifiée comme le talon d’Achille de cet organisme. C’est la principale plainte des partenaires du secteur maritime. À quoi l’attribuez-vous ?
La productivité des opérations portuaires repose sur deux indicateurs clés. D’une part, la productivité moyenne des portiques, qui mesure le nombre de mouvements par heure et sur laquelle est basé le bonus de productivité des employés. D’autre part, la Vessel Productivity, qui constitue le critère essentiel pour les compagnies maritimes, car elle reflète la rapidité avec laquelle un navire est chargé, déchargé et surtout le temps qu’il passe à quai.

Pour répondre aux attentes du secteur, ces deux aspects doivent fonctionner en parfaite synchronisation. Une amélioration durable de la productivité portuaire passe nécessairement par un alignement des incitations internes avec les impératifs de performance globale du terminal.

Cette situation vient confirmer la dégradation de notre classement par la Banque mondiale, n’est-ce pas ?
Nous aurions certainement pu faire mieux. Toutefois, il est important de souligner que la méthodologie adoptée par la Banque mondiale n’est pas nécessairement exacte. Comme dirait l’Anglais, « It is important to compare like with like ». Notre port, avec plus de 50 % de transbordement, ne peut pas être comparé équitablement à des ports qui n’en font pas.

Deux mois après votre retour, la situation semble s’être améliorée. Comment avez-vous redressé la barre en si peu de temps ?
Il faut comprendre une chose : le chaos n’est jamais une fatalité, il est le produit d’une mauvaise gestion. Dès notre arrivée, mon adjoint, le capitaine Noël, et moi avons mis en place une stratégie de choc reposant sur trois piliers : la mobilisation du personnel, la rigueur disciplinaire et l’efficacité opérationnelle.

La remobilisation des équipes a été menée en concertation immédiate avec les cinq syndicats pour leur exposer la gravité de la situation et proposer une approche pragmatique. Elle s’est aussi concrétisée par notre présence constante sur le terrain, dès 7 heures du matin, y compris les week-ends et jours fériés, afin de rassurer, encadrer et motiver les employés.

À quel point le rétablissement de la discipline a-t-il été nécessaire ?
Dites-moi, quelle entreprise au monde peut-elle prospérer avec un taux d’absentéisme de 30 % ? Lorsque les employés ont compris que « We mean business », ce taux est tombé à 10 % en moins de deux mois. Certains salariés s’absentaient jusqu’à 100 jours par an sans justification ! Nous avons mis fin immédiatement à cette pratique. Le nombre d’employés en congé maladie a chuté de 120 à 10.

Nous avons également réinstauré la discipline, car un laisser-aller s’était installé depuis plusieurs années en raison de l’absence de management sous l’ancien régime. La première recette de l’échec pour une direction, c’est de tolérer le relâchement. Ce principe s’applique à toute organisation, mais il est encore plus crucial dans un port, une zone stratégique où toutes sortes de trafics peuvent se produire. Nous ne pouvons faire aucune concession sur la discipline.

Est-ce cela le secret des premiers résultats prometteurs ?
Effectivement ! Ce climat de travail rigoureux nous a permis d’optimiser nos opérations et de faire fonctionner tous nos portiques et équipements aux heures critiques. À tel point que :

  • le temps d’attente des navires a été réduit à zéro et la fenêtre d’accostage est revenue à la normale ; 
  • les 2 000 conteneurs détournés ont été rapatriés avant le 31 décembre 2024 ;
  • trois des quatre compagnies maritimes ont annulé les surtaxes prévues ;
  • les exportations ont repris normalement et les compagnies maritimes demandent désormais d’augmenter les volumes de transbordement ;
  • la semaine dernière nous avons reçu un courriel de la direction de la MSC nous félicitant pour notre performance durant les deux derniers mois et informant l’introduction d’une ligne directe Port-Louis/Beira (Mozambique) qui va améliorer considérablement le service. Les conteneurs qui prennent plus de 40 jours pour arriver à destination vont prendre 5/6 jours à partir du 20 mars prochain. Cela aura un impact sur nos exportations et viendra booster notre économie.

Malgré ces améliorations, le syndicat portuaire vous accuse de méthodes brutales…
C’est un classique. Partout dans le monde, lorsqu’une direction impose une discipline stricte après des années de laxisme, il y a forcément des frictions. Mais ce que je n’accepte pas, ce sont les attaques personnelles, notamment de la part d’individus qui ont été contraints de quitter la CHCL pour fautes graves. Ces attaques n’ont rien à voir avec le bien-être des employés ni avec l’avenir du port.

Nous avons le soutien de la majorité des employés, et c’est cela l’essentiel.

L’homme de fer, comme on vous décrit, a-t-il pu s’imposer facilement ?
L’homme de fer ne s’est pas imposé facilement. Mon parcours, commencé au bas de l’échelle, a été marqué par des défis et des résistances. Mais c’est précisément ma force de caractère et ma détermination sans faille qui m’ont permis de gagner le respect et la confiance nécessaires pour m’affirmer durablement.

Y a-t-il vraiment eu des recrutements superflus, au point que la CHCL compte deux fois plus d’employés que ce qui est généralement nécessaire dans l’industrie de la manutention ?
Il y a un paradoxe. Selon les accords en vigueur (SRC), il semble qu’il y ait un manque d’effectif. Toutefois, si l’on se réfère aux normes internationales et à la comparaison avec d’autres ports, certains secteurs peuvent effectivement être en sureffectif.

La situation est complexe, car le syndicat défend les acquis des employés, ce qui rend tout changement structurel particulièrement délicat. Néanmoins, la direction travaille actuellement sur un plan visant à trouver une solution amiable et acceptable pour toutes les parties prenantes.

D’ailleurs, avec l’augmentation prévue du volume de conteneurs, tout excédent de personnel sera naturellement absorbé.

Les heures supplémentaires sont considérées comme étant tellement sacrées que la direction ne s’aventure pas à les remettre en question. Quelle est la logique d’accorder des heures supplémentaires en présence d’un sureffectif ?
Il est important de rappeler que la CHCL est un service essentiel, opérant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les accords collectifs en vigueur depuis des années prévoient la rémunération des heures supplémentaires pour le travail effectué à partir du samedi soir, ainsi que les dimanches et jours fériés. Ainsi, même en cas de sureffectif potentiel, les heures supplémentaires restent structurellement inévitables.

Les salaires à la CHCL sont considérés comme étant trop élevés. Sont-ils disproportionnés par rapport à la productivité des employés ?
Le coût salarial à la CHCL est effectivement élevé et représente 55 % à 60 % du chiffre d’affaires, alors que la norme dans d’autres ports se situe entre 30 % et 35 %.

Toutefois, plusieurs facteurs doivent être pris en compte : la nature du travail, le niveau de risque élevé et les exigences d’un service fonctionnant en continu 24/7. Une part significative de cette rémunération provient des heures supplémentaires et du bonus de productivité. Il est à noter que ce bonus est directement lié aux performances : par exemple, en période de faible productivité, comme cela a été le cas entre novembre et janvier, les employés n’ont pas perçu ce bonus.

Le rapport de PwC avait recommandé une restructuration complète de la CHCL. Est-ce toujours d’actualité ?
Cette étude, financée par l’AFD, n’a malheureusement jamais été mise en œuvre, car son rapport est resté confidentiel sous le gouvernement d’alors. Nous pensons bien entendu à en examiner les recommandations afin d’évaluer leur pertinence dans le contexte actuel.

Vous avez toutes les raisons d’être confiant pour l’avenir ?
Absolument ! Nous avons posé des bases solides et avançons avec une vision claire, une rigueur sans faille et une équipe engagée. Le port est le cœur de l’économie mauricienne ; son avenir ne peut être laissé au hasard. Il est temps d’élever nos standards et de faire de la CHCL une entité digne des ambitions du pays.

Nous travaillons activement sur l'élaboration d’un Business Plan ambitieux, en misant sur la collaboration de nos employés et de l’ensemble des parties prenantes. Ce projet n’est pas seulement crucial pour l’avenir de nos collaborateurs, mais aussi pour le développement économique du pays. Avec le soutien du gouvernement, je suis pleinement confiant dans la réussite de cette initiative.

Et justement, quelle sera la ligne directrice de ce Business Plan ?
L’urgence est réelle. L’évolution rapide du transport maritime et des activités portuaires nous impose d’agir sans tarder. Maurice ne peut pas se permettre de prendre du retard. Comme l’a si bien dit Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. »

Les compagnies maritimes nous sollicitent pour augmenter le volume de transbordement dans les meilleurs délais, d’autant plus que l’agrandissement du port de Toamasina approche à grands pas. Nous devons donc agir vite.
Dans un premier temps, nous prévoyons de louer deux grues mobiles afin de pallier le manque de portiques, après le retrait de trois unités arrivées en fin de vie. Nous travaillons actuellement sur les spécifications techniques des nouveaux équipements à commander et comptons lancer les appels d’offres dès que possible.

Votre vision s’arrête-t-elle là ?
Bien sûr que non ! Notre objectif est de transformer le port de Maurice en un « Smart and Green Port ». Cela passe par :

  • l’automatisation des procédures et la transition vers un système paperless (sans papier) ;
  • l’amélioration de la fluidité du trafic au sein du terminal pour éliminer les temps d’attente des camions et les embouteillages ;
  • la mise en place d’une zone d’échange (Interchange Area), qui évitera l’entrée des camions externes dans l’enceinte portuaire. Ce modèle, déjà adopté dans plusieurs ports internationaux, permettra un meilleur contrôle des entrées et sorties du terminal et améliorera significativement la productivité.

Quelle place occupe la formation dans ce Business Plan ?
Nous sommes en pourparlers avec Polytechnics Mauritius pour établir un partenariat stratégique en matière de formation des opérateurs d’équipements tels que les portiques et les RTG (Rubber-Tyred Gantry cranes). Cette collaboration vise à renforcer les compétences locales et à garantir une exploitation optimale de nos infrastructures.

Nous sommes convaincus que cette approche globale nous permettra de positionner Maurice comme un hub portuaire régional de premier plan.

 

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