Maurice compte 1 200 foyers qui vivent sans électricité. Un service indispensable et que l’on peut considérer comme élémentaire en 2022. Qu’est-ce qui explique cette situation ? Éléments de réponse.
Publicité
Sans électricité depuis plus de deux ans : la vie de Pamelah et ses enfants
Cela fait deux ans depuis que Pamelah, une habitante de la région de Quartier-Militaire, vit sans électricité. Cette mère célibataire de trois enfants confie avoir, quelques jours après le tout premier confinement dû à la Covid-19, perdu son emploi. « Je bossais dans un snack qui a été contraint de fermer boutique et je me suis retrouvée sans emploi. Cela a généré d’autres problèmes, car sans salaire, il m’était impossible de payer le loyer », explique-t-elle.
Se retrouvant à la porte en plein confinement, Pamelah a, dans un premier temps, trouvé refuge chez certains amis et membres de la famille. « Mais on m’a très vite fait comprendre que je ne pouvais pas m’éterniser, car j’avais avec moi mes trois enfants. »
Elle passera de maison en maison afin de trouver un abri pendant pratiquement toute la période de la pandémie jusqu’à ce qu’elle tombe sur une maison abandonnée. « C’était vers la fin du confinement en 2020, au mois de juin. La maison était dans un coin complètement retiré et j’ai vu qu’elle était habitable, sans compter qu’il y avait encore quelques meubles. J’ai vu qu’avec un peu de nettoyage, il nous serait possible d’y élire domicile pour quelque temps. »
Cette maison est dépourvue de toute infrastructure électrique. Pamelah dit s’être fait une raison. « Je suis consciente qu’on ne peut pas tout avoir. Nous profitons autant que possible de la lumière du soleil et comme nous sommes actuellement en été, il fait noir plus tard. Grâce au soutien de quelques travailleurs sociaux de la région, nous avons petit à petit obtenu des spots de lumière rechargeables, ce qui nous dépanne. »
Quelques mois après le premier confinement, elle finit par trouver de l’emploi, ce qui lui permet d’améliorer les conditions de vie de ses enfants. Sauf que Pamelah a, par la suite, souvent dû changer de travail en 2021, lorsque le pays a de nouveau été frappé par une nouvelle vague de contaminations de la Covid-19. « J’ai à nouveau perdu ce nouvel emploi, mais heureusement j’ai pu mieux me débrouiller que lors du premier confinement. Certains restaurants et boutiques opéraient clandestinement et c’est comme ça que j’ai pu jongler entre quelques jobs çà et là, et avoir un peu d’argent pour nourrir mes enfants. J’ai aussi pu compter sur le soutien de certains bienfaiteurs », avance-t-elle.
Comment fait-elle pour tenir aussi longtemps dans une maison abandonnée ? « C’est une maison très retirée et pour y accéder, il faut beaucoup marcher. la route qui y mène est impraticable. Les véhicules ne peuvent pas y avoir accès. Mais j’ai bien fait comprendre aux enfants qu’il ne faut pas attirer l’attention. »
Cette situation précaire, Pamelah espère bientôt pouvoir la surmonter, car si les choses se passent bien, elle sera prochainement en mesure de louer une maison. « C’est l’objectif que je me suis fixée pour mes enfants. Mo zis espere pa gagn ankor konfinman », dit-elle en souriant malgré tout.
Comment se retrouve-t-on sans électricité ?
Les raisons pour lesquelles une personne est privée d’électricité à Maurice varient. Selon une source autorisée au Central Electricity Board (CEB), dans la plupart des cas, ces personnes ont été déconnectées du réseau car elles n’ont pas été en mesure de payer leurs factures.
Selon le dernier rapport annuel pour l’année financière 2020-21, le CEB comptait 3 868 déconnections à son réseau. Selon certains techniciens du CEB, certains abonnés, une fois déconnectés du réseau, préfèrent ne pas entreprendre des démarches pour une reconnexion en raison des frais, d’autant qu’il y a aussi la redevance télé de Rs 150 qu’il faut payer à la Mauritius Broadcasting Corporation.
L’autre raison pouvant expliquer la non connexion de certains foyers au réseau du CEB se trouve être les frais relatifs aux infrastructures du CEB. « Il faut généralement compter au minimum un budget de Rs 5 000, si un terrain dépourvu des facilités du CEB souhaite faire des démarches pour s’abonner au réseau d’électricité. Certains foyers peuvent être très retirés, ce qui fait que le CEB doit entreprendre de plus importantes dépenses et les frais de connexion sont chers. Il est déjà arrivé que ces frais de connexion dépassent Rs 1 million », nous explique une source au CEB.
Les cas de fraude sur le réseau du CEB peuvent aussi expliquer pourquoi plusieurs foyers ne sont pas connectés. On indique, en effet, que certaines personnes préfèrent délibérément détourner de l’électricité d’un autre compteur. « Au lieu d’être dans les règles, certaines personnes préfèrent la voie de la tricherie », dit-on au CEB.
Selon les chiffres qui nous ont été communiqués, le CEB compte chaque année des millions de roupies de fraude sur son réseau. De 2018 à 2021, pas moins de Rs 21 802 983 de fraudes ont été enregistrées sur le réseau du CEB.
Le CEB se dit toutefois conscient des difficultés de plusieurs de ses abonnés à payer leurs factures d’électricité. Raison pour laquelle un tarif social a été mis en place. Sans compter les nombreuses mesures prises lors des deux confinements liés à la Covid-19 en 2020 et 2021.
« Ceux qui étaient éligibles au tarif social avaient été exemptés de factures en mars et avril 2021 », fait-on ressortir.
Edley Maurer, Manager de l’ONG Safire : « Dimoun nepli kapav viv san kouran »
Edley Maurer, manager de l’ONG Safire, fait ressortir qu’il doit y avoir une ou deux maisons dépourvues d’électricité depuis plusieurs mois dans chaque poche de pauvreté située dans les faubourgs du pays. « Kan kouran koupe bann dimoun-la viv dan nwar ziska zot abitie », fait comprendre le travailleur social.
Mais comment font-ils pour mener leur vie, sachant que leurs logis sont dépourvus d’électricité ? « Dans la pratique, ces gens ne conservent rien dans leur réfrigérateur. Ils n’ont pas de radio et ne sont donc pas au courant de l’actualité. Ils ont tendance à alimenter leur batterie de portable chez leurs voisins. »
Le travailleur social n’en démord pas : « Une telle situation est révoltante, car nous sommes en 2022. Dimoun nepli kapav viv san kouran. » Le gouvernement parle d’énergie verte et de production énergétique à travers l’utilisation du gaz liquéfié, dit-il. « En parallèle, nous constatons que des gens sont en train de vivre à la lumière d’une bougie. On aurait pu trouver un moyen pour alimenter ces foyers », se désole Edley Maurer.
Le manager de Safire demande au gouvernement de remédier à cette situation. « Maurice est perçu comme étant un pays développé dans cette partie de l’Afrique, mais il y a des laissés-pour-compte qui vivent toujours sans électricité. Je préfère les qualifier d’exclus de la société. Ces gens, qui n’ont d’autre choix que de se replier sur eux-mêmes, sont condamnés à être confrontés à une dure réalité. Je pense que le gouvernement doit répondre à ce problème. C’est un travail de longue haleine qui nécessite le coup de main de tous. Y compris des exclus. »
Alain Aliphon, CEO de la NEF : « Certains doivent des centaines de milliers de roupies au CEB »
Le CEO de la National Empowerment Foundation (NEF), Alain Aliphon, précise que moins d’une dizaine de foyers classés sur le registre social sont dépourvus d’électricité. L’organisme, ajoute-t-il, fournit des unités de logement pourvues d’électricité.
« Nous sommes conscients qu’il y a quelques familles de bénéficiaires vivant à la lueur d’une bougie. Nos enquêtes démontrent que certains doivent, hélas, des centaines de milliers de roupies au CEB. Ils ne peuvent honorer cette somme en raison de leurs salaires. La NEF étudie actuellement ces cas afin de trouver des solutions », fait ressortir Alain Aliphon.
Il se dit désolé de savoir que certains bénéficiaires doivent vivre à la lueur d’une bougie. « Mais ils ont fini par se résigner à ce mode de vie. Ils savent qu’ils devront se plier en deux, voire en quatre, afin d’honorer la somme due auprès du CEB. Je dois reconnaître que ces malheureux sont en train de fournir des efforts. Mais ils ont besoin qu’on leur tende une perche. Sans assistance morale et encadrement, ils ne pourront jamais s’en sortir et se construire un autre lendemain », fait comprendre Alain Aliphon.
Quid du rôle du gouvernement ? « Le gouvernement fournit les encadrements nécessaires. Mais certains en profitent et d’autres non. Au sein de la NEF, nous pensons que c’est une question de volonté. Certains veulent se sortir de cette situation et d’autres non. ce qui est dommage… »
Le Dimanche/L’hebdo a tenté d’avoir une déclaration de la ministre de l’Intégration sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo. Elle a été sollicitée à trois reprises samedi après-midi. Mais en vain.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !