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Forum-Débat : préambule à un projet de société

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Le tant attendu forum-débat, co-animé par Nawaz Noorbux et Malenn Oodiah, a eu lieu le mercredi 4 juillet à l’hôtel Labourdonnais. Les quatre invités, Kevin Ramkaloan, Chief Executive Officer (CEO) de Business Mauritius, Vidula Nababsing, ancienne chargée de cours et politicienne, Jean-Éric Wong Cheong, jeune entrepreneur, et Catherine Gris, ancienne CEO de l’Association of Mauritius Manufacturers, ont lancé les premières pistes de réflexion pour la construction d’un projet de société qui doit se faire sur 25 mois, à raison d’un sujet par mois. Cette fois, il s’agissait du thème-préambule « Le vert, l’humain et le moderne ». Rendez-vous est donc pris le 1er août pour le prochain forum sur le thème de révolution culturelle.

Catherine Gris : «Pourquoi ne pas viser 50% d’énergies renouvelables?»

Catherine Gris
Catherine Gris

Pour assurer la transition vers un modèle de développement soutenable, il faut avant tout abandonner le modèle basé sur l’hydrocarbure, estime Catherine Gris. « Il faut passer aux énergies renouvelables. La Réunion nous devance sur ce sujet », a-t-elle assuré. Selon elle, avec le soleil, la mer et le vent, Maurice a largement de quoi construire une société verte du point de vue énergétique.

Il faudrait à coup sûr revoir les ambitions du pays à la hausse pour atteindre cet objectif, selon elle. « On a placé la barre à 35 %, mais pourquoi ne pas viser 50 % d’énergies renouvelables ? » se demande-t-elle, avant d’ajouter : « Avec la technologie, aujourd’hui, nous en avons les moyens. » Le coût de l’énergie verte a chuté ces dernières années et avec les économies que devrait faire le gouvernement sur l’importation des carburants et du charbon, d’autres projets comme la protection du patrimoine pourraient être financés.

Sur le plan politique, Catherine Gris estime que si Maurice est une démocratie solide, il n’est plus possible que les partis politiques n’aient pas d’existence légale officielle en dehors du contexte électoral. « Il s’agit d’une étape importante. Les partis politiques doivent devenir des entités redevables envers la société. On ne peut avoir de société à deux vitesses. » Parmi les changements préconisés par Catherine Gris figure l’interdiction du financement par les entreprises, préférant plutôt le financement par les citoyens.

Mais l’ancienne cadre de l’Association of Mauritius Manufacturers réserve des mots plus durs à la classe politique : « La politique, c’est un business pour beaucoup. Il y a deux business : celui du secteur privé et un autre où on monnaye sa capacité de décision. » Le plus triste dans l’histoire ? Que l’électorat ne semble pas prêt à sanctionner de telles attitudes…

Kevin Ramkaloan : «Les entreprises peuvent faire Rs 400 M d’économies sur l’énergie»

Kevin Ramkaloan
Kevin Ramkaloan

Kevin Ramkaloan se montre plutôt optimiste en ce qui concerne la politique de développement durable du pays. « Il y a des projets en ce sens », assure-t-il. Il se réfère notamment à la Sustainability and Inclusive Growth Division créée par Business Mauritius et qui concerne des centaines de sociétés. « Elles mènent un audit énergétique pour mieux répondre aux besoins environnementaux. Il y a un Implementation Plan et les entreprises peuvent faire Rs 400 millions d’économies sur l’énergie », explique le CEO de Business Mauritius.

Il a cependant lancé une mise en garde contre tout excès d’idéalisme qui ignorerait certaines réalités, notamment celle que « Maurice n’est pas une bulle » et que l’économie du pays est essentiellement une économie d’exportation. Il faudrait, selon lui, s’assurer que les projets verts qui sont mis sur pied apportent des bénéfices économiques réels. « Il faut veiller à ce qu’il y ait des gains globalement. »

Intelligence artificielle

Il ne faut pas parler de l’intelligence artificielle au futur, selon Kevin Ramkaloan. « L’intelligence artificielle n’est pas dans le futur. Elle est dans le réel », déclare-t-il. Il a cité l’exemple concret de Google Assistant qui peut remplacer un secrétaire et peut remplir diverses fonctions, comme indiquer un endroit pour aller déjeuner, etc. Face à des changements aussi drastiques, l’essentiel c’est la planification, selon lui. « Dans notre mémo soumis au ministre des Finances pour le Budget, Business Mauritius a demandé la création d’un Council for the future of work. Espérons que le conseil annoncé sur l’intelligence artificielle réponde un peu à ce besoin. »

Le CEO de Business Mauritius estime que face à l’automatisation grandissante des métiers, il faudra se concentrer sur les compétences pouvant apporter une valeur ajoutée. « Ce que l’être humain peut mieux faire que le binaire c’est tout ce qui est lié à l’émotion, la connexion avec les gens… » Sur une note plus positive, Kevin Ramkaloan est d’avis que l’accès à Internet permet d’abattre de nombreuses frontières. La mobilisation sociale à travers les réseaux sociaux, le concept de crowdfunding pour le financement de projets, ainsi que la création de nouveaux métiers liés au numérique sont autant d’opportunités à saisir, selon lui.

Jean-Éric Wong Cheong : «Il faut remettre en question notre ‘business model’»

Jean-Éric Wong Cheong
Jean-Éric Wong Cheong

Jean-Éric-Wong Cheong s’est à peine excusé pour son intervention en faveur de la remise en question du business model du pays. Le jeune entrepreneur s’est d’abord appesanti sur le concept eco-friendly qui doit être au centre de toute activité humaine afin de laisser un héritage sain aux générations futures.

Se félicitant de l’objectif du forum, qui souhaite proposer des solutions, il a aussitôt embrayé sur les moyens nécessaires pour réussir la transition écologique. Citant l’exemple de Rodrigues où les bouteilles et sacs en plastique sont échangés contre Rs 3, il fait ressortir que cette modique somme rapporterait une fortune à Maurice où des millions de ces déchets sont jetés dans la nature.

Les critiques du jeune entrepreneur sont toujours équilibrées par des suggestions. Il propose ainsi la création d’un centre qui décernera des prix pour l’invention d’un mécanisme destiné à initier la population au recyclage des déchets, une entreprise à laquelle seraient dévouées des sociétés artisanales.

Quant au développement de l’intelligence artificielle, Jean-Éric Wong Cheong le place dans la ligne des réseaux sociaux qui permettent de prendre des décisions plus rapidement, donnant lieu à une révolution industrielle et signant dans la foulée la fin du traditionnel business model.

Le vivre-ensemble évoque chez lui l’image d’un cyclone de classe 4 qui survient chaque cinq ans et où se déploie une campagne électorale axée sur le « noubanisme ». « C’est le moment où les partis politiques jouent leur va-tout », fait-il observer. Concernant le financement de ces partis, il rejoint la proposition de Catherine Gris pour que l’État prenne en charge cet aspect déterminant des élections.

« Je ne vois pas comment un parti pourra limiter ses dépenses durant une campagne électorale. Tout va bien se passer si l’État joue le jeu et met sur pied une plateforme pour organiser des débats », déclare-t-il. Jean-Éric Wong Cheong plaide aussi pour un seul vote, « une seule croix », dans les 60 circonscriptions afin de « diminuer la pression du communalisme ».

Carte biométrique

Comme il l’a fait observer au début de son intervention, Jean-Éric Wong Cheong avance que Maurice a raté de nombreuses transitions dans son développement, mais il accueille sans l’ombre d’un doute la création de la carte d’identité biométrique, qui a son utilité, « sauf pour ceux qui ont quelque chose à cacher ». À l’étranger, grâce à cette carte, des démarches sont faites en quelques minutes. Toujours dans le domaine des nouvelles technologies de l’information, il fait un vif plaidoyer en faveur du crowdfunding qui permet à un individu souhaitant créer son entreprise de trouver des fonds rapidement en lui évitant de rembourser prématurément.

S’il appelle à plusieurs reprises à la remise en question du business model, c’est parce qu’il ne voit aucun entrepreneur engagé dans la confection des « achards » atteindre la dimension d’un « gros commerçant ». « Est-ce qu’il existe à Maurice un comptoir dédié à l’exportation, comme on en trouve en Chine ? » se demande Jean-Éric Wong Cheong. Évoquant la fermeture de plusieurs centaines d’entreprises, il fait valoir que c’est la façon de les financer qui pose problème. « Je voudrais bien savoir combien de grants ont été donnés », lâche-t-il.

Vidula Nababsing : «L’absence de débats fait que la population ne comprend pas les décisions du GM»

Vidula Nababsing
Vidula Nababsing

Sans langue de bois, ni phrases toutes faites. Les propos de Vidula Nababsing, présentée comme « figure de proue du MMM », ex-chargée de cours à l’Université de Maurice et « travailleuse sociale » ont surtout été contextualisés, avec souvent des rappels au passé où elle a participé à des activités comme celle de mercredi, à l’hôtel Labourdonnais, ou comme parlementaire.

Le passé des années ’70, explique-t-elle, a été celui des réflexions mais il a rapidement été confronté à la réalité des contraintes au sein du gouvernement et à d’autres intérêts. Elle a aussi mis l’accent sur les contours du forum de mercredi en mettant en exergue sa nature de réflexion citoyenne sans aucun engagement alors que le gouvernement a une obligation de « redevabilité ».

Une des thématiques majeures qui reviendra dans les propos de Vidula Nababsing est l’absence de consultations entre les gouvernants et la population. « L’absence de débats fait que la population ne comprend pas toujours les décisions du gouvernement. Il y a un certain nombre de bonnes décisions qui ont été prises mais qui ne font pas partie des objectifs que le gouvernement aurait dû fixer. »

Replongeant dans les années ’70, elle évoque un système autoritaire qui prévalait ainsi que l’emprisonnement de beaucoup de personnes. « Mais on dirait que c’était une période de joie. Aucun jeune ne songeait à quitter Maurice, car le sentiment d’appartenance était fort. Il y avait l’espoir, même si celui-ci nourrit quelque peu les imbéciles », sourit-elle.

Aujourd’hui, l’exclusion de la population de la prise des décisions lui donne le sentiment que ce gouvernement n’est pas le sien. « En ce moment, il n’y a aucun débat. Lorsqu’il y en a, les gens pensent qu’il n’est pas dans leur intérêt », ajoute Vidula Nababsing.

Accès à l’information

S’agissant de ce qu’elle appelle la « révolution numérique », elle fait valoir que celle-ci participe à l’élargissement de la démocratie en permettant aux femmes au foyer d’accéder à l’information. Le secteur des télécommunications et des technologies offre plus d’avantages que d’inconvénients. Il se présente comme un outil des sans-voix. Toutefois, nuance-t-elle, il exclut aussi certains pans de notre population qui résident dans les cités et les bidonvilles. « Il faut mettre sur pied une stratégie qui inclut tout le monde et qui examine les dangers auxquels ces personnes, surtout les jeunes, sont exposées », suggère-t-elle.

Société

Abordant la thématique du « vivre-ensemble », Vidula Nabasing fait ressortir l’héritage historique concernant la stratification de la population mauricienne, mais celle-ci, dira-t-elle, coupe à travers toutes les communautés. Concernant l’embauche, elle explique comment le backing ou le fait de bénéficier d’une influence pèse sur le marché de l’emploi.

Certes, ajoute-t-elle, un individu qui se sent lésé peut saisir la justice, mais les frais d’un homme de loi ne l’encouragent guère. Vidula Nababsing rapporte une conversation qu’elle avait eue avec feu sir Veerasamy Ringadoo, alors ministre des Finances, concernant la création des organismes parapublics. « Il m’avait répondu que ces établissements avaient été créés pour éviter un conflit social parce que ces personnes n’avaient pas accès au secteur privé. »

 

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