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Forum-débat : la population doit réfléchir au modèle de société auquel elle aspire

Le deuxième rendez-vous mensuel du forum-débat animé par le tandem Nawaz Noorbux et Malenn Oodiah était axé sur la « Révolution culturelle » à faire pour les 10 à 30 années à venir.

Les invités à l’hôtel Le Labourdonnais au Caudan étaient Nalini Burn, ancienne chargée de cours à l’Université de Maurice et consultante pour des agences onusiennes sur l’économie et les genres, Saffiyah Chady-Edoo, citoyenne engagée, Edley Maurer, manager de l’ONG Safire, et Viken Vadeevaloo manager de l’ONG Anfen.

De l’avis des intervenants, il faut une évolution des mentalités pour apporter le changement nécessaire pour transformer le pays. Selon Malenn Oodiah, qu’avec la complexité de la problématique liée à la crise sociétale que traverse Maurice, les quelques semaines que dureront les forum-débat ne suffiront pas ne suffiront pas pour s’attarder sur les mutations qui ont bouleversé la société mauricienne. Le prochain rendez-vous est fixé au 5 septembre.

Les quatre Intervenants : Edley Maurer, Saffiyah Chady Edoo, Nalini Burn et Viken Vadeevaloo.
Les quatre Intervenants : Edley Maurer, Saffiyah Chady Edoo, Nalini Burn et Viken Vadeevaloo.

Modèle de société

« À Maurice, nous vivons bien ensemble, mais ce qui est malheureux, c’est que nous ne réfléchissons ni n’agissons pas assez ensemble », estime Viken Vadeevaloo. La question de crise identitaire à laquelle Maurice est confrontée a ainsi été soulevée. Ce qui fait qu’il est encore difficile de dessiner le modèle de société mauricien.

Selon Shaffiyah Chady-Edoo, c’est la culture mauricienne qui va aider à créer une identité mauricienne. Mais la crise identitaire fait qu’à l’étranger, certains se disent « Mauriciens », alors qu’à Maurice, c’est la communauté qui passe avant tout.

Avec la crise identitaire, il y a aussi le modèle de société auquel aspirent à vivre les Mauriciens. Cette question n’est pas souvent abordée, selon Nalini Burn qui a fait le parallèle entre le développement économique et le développement de la société.

« L’économie dépend de la société et ce qui est fait dans l’économie a un impact sur la société, la nature et l’environnement ». Selon la consultante, le rapport entre les gens est en train de changer surtout avec la femme qui s’est engagée davantage dans le monde du travail depuis l’avènement de la Zone franche.  

Edley Maurer a, lui, fait ressortir que l’économie mauricienne a certes évolué, mais que nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à s’adapter à ce développement. Ce qui a laissé la place aux inégalités qui sont la source de nombreux problèmes sociétaux. Viken Vadeevaloo a ainsi souhaité plus d’actions communes et une population proactive.

L’impact de la mondialisation

Selon Nalini Burn, nous sommes déjà des produits de la mondialisation, étant un peuple de migrants. Mais pour un meilleur vivre-ensemble, il faut passer de l’identité multiple à l’identité mauricienne.

Edley Maurer s’est demandé si notre île est vraiment indépendante, 50 ans après son accession à ce statut. « Maurice doit s’ouvrir au monde. Mais on ne peut subir les pressions de la mondialisation ». Pour lui, ce n’est pas à la Banque mondiale de donner des instructions sur la politique monétaire de Maurice. « Nous n’impliquons pas assez la masse de la population dans les phases de décision et nous dépendons trop des décisions extérieures pour décider de l’avenir du pays ».

Un avis partagé par Viken Vadeevaloo. « Il faut une démocratie participative afin de mieux faire face aux défis de la mondialisation ». Pour lui, la population doit réfléchir au modèle économique qu’elle souhaite en établissant un dialogue avec ses élus.

Mais pour Shaffiyah Chady-Eddo, la mondialisation a apporté une standardisation des choses. Cependant, à force de faire ce que font les autres pays, « nous risquons de perdre notre identité ». Elle craint l’impact des réseaux sociaux sur les jeunes. « Nous sommes un petit pays, nous devons recentrer notre regard et inclure particulièrement les jeunes dans les prises de décision ».

Nawaz Noorbux et Malenn Oodiah.
Nawaz Noorbux et Malenn Oodiah.

Redécoupage électoral

Afin que les politiciens n’aient pas tous les pouvoirs entre leurs mains, Viken Vadeevalloo préconise « un redécoupage électoral afin de combattre le ‘communalisme’ qui gangrène notre société » et qui empêche la population d’évoluer. « Avec le redécoupage électoral, les votes seront différents, tout comme les échanges avec les politiciens », a-t-il affirmé.

Pour casser cette politisation à outrance, il faut, selon l’intervenant, « revoir notre système éducatif ». Le vrai changement viendra avec l’éducation. Mais, selon Edley Maurer, il y a beaucoup d’analphabètes et d’exclusion. « Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à s’adapter au système éducatif proposé », dit-il.

Définition idéologique

Est-ce que le modèle de développement mauricien est-il encore viable et quelles sont les mutations qui les ont mis à l’épreuve ?

À cette question, Nalini Burn fait ressortir qu’il convient de définir le terme « modèle économique », pour  s’émanciper de la définition idéologique que lui attribue la Banque mondiale. Il faut tenir compte, dit-elle, de la réalité environnementale dans les projets économiques, des indicateurs sociaux qui font apparaître des différences qualitatives. Faut-il seulement se contenter de fixer des ‘objectifs’ comme une ‘High Income Economy’ pour se satisfaire, quand bien même ils mettent en péril nos ressources naturelles ? « Est-ce là notre projet de société ? » s’interroge Nalini Burn.

S’agissant des réseaux sociaux, ce sont des plateformes qui favorisent des actions citoyennes, fait-elle valoir dans un autre ordre d’idées. Mais encore faut-il que les citoyens disposent des leviers de communication pour transmettre leurs idées et propositions, ou encore leurs critiques. C’est à cette problématique que tente de répondre Shaffiyah Chady-Edoo, en faisant ressortir « la nécessité d’un mécanisme permettant aux habitants des quartiers de faire remonter leurs doléances des administrations locales jusqu’aux plus hautes instances de l’État ».

Pour elle, la source de notre incapacité à nous refondre se situe dans notre système éducatif, qui doit être ‘déconstruit’. « Est-ce qu’on a déjà posé des questions aux écoliers et collégiens pour connaître, entre autres, leurs réflexions sur notre société ou pour les amener s’impliquer dans des actions sociales », se demande Shaffiyah Chady-Edoo. Le terme ‘deconstruction’ reviendra constamment dans ses propos, comme un préambule à toute action. Lieu de la formation de l’esprit et du corps, l’espace pédagogique a souvent occupé une place prépondérante dans la réflexion sociologique. Le sociologue français Pierre Bourdieu ne décrit-il pas lui l’université comme des institutions qui redoublent « les inégalités sociales en pérennisant une véritable aristocratie scolaire ».

L’ascension sociale de l’enfant

Mais l’école à elle seule ne peut être la clé aux inégalités sociales à Maurice, l’espace de vue commun, lui aussi participe à l’ascension sociale de l’enfant, fait observer avec force Edley Maurer. Or, Maurice, poursuit-il, semble être parti pour le compartimentage social et économique avec la construction des ‘smart cities’, favorisant davantage l’exclusion. Viken Vadeevalloo, tout comme Shaffiyah Chady-Edoo, fait valoir la nécessité d’un projet de société issu d’une participation citoyenne, pour en finir avec des élus qui n’estiment n’ayant aucune obligation de ‘redevabilité’. « C’est aussi à nous de réfléchir au type de société que nous souhaitons, non aux 60 seuls parlementaires », dit-il.

Sur ce sujet, Nalini Burn fait observer que notre modèle de société n’incite nullement à la participation des citoyens, avec un Parlement ayant lui-même perdu ses principales capacités. Pourtant, enchaîne-t-elle, tout n’est pas qu’échec, car un courant progressiste semble émerger de la mondialisation avec la promotion des droits humains, entre autres.

L’édification d’une société civile se heurte à des problématiques de différents ordres, tant de nature communautariste que socio-économique. Une des propositions pour enrayer le ‘communautarisme’, selon Viken Vadeevaloo, est de redessiner les contours des ‘circonscriptions’ pour en finir avec le ‘noubanisme’, et de mettre fin à la pratique de quêter du travail auprès des parlementaires. Mais, cette démarche, convient-il de le souligner, est elle-même alimentée par la classe politique, tellement enthousiaste à promettre le ciel et la terre pour remporter les élections. Il faut réfléchir à poursuivre les débats jusque dans les quartiers et petit à petit, il en ressortira un façonnement de l’esprit, des mentalités. Il faut cesser de rendre les armes devant le premier échec, « il est important de dire ‘non’ devant l’inacceptable », explique Viken Vadeevaloo.

Esprit patriotique

Il faut sans doute s’imprégner d’un véritable esprit patriotique pour parvenir à faire prévaloir les intérêts nationaux sur ses ambitions personnelles. Or, pour y arriver, fait ressortir Saffiyah Chady-Edoo, il faut qu’il existe une forte appartenance à Maurice, et aux critiques devenues trop récurrentes, il faut aussi soumettre des propositions. Or, dit-elle, il semble que chaque avancée démocratique et participative se heurte à des obstacles, comme celui rencontré par ‘La marche des fiertés’, et ‘tout se casse’.

La révolution numérique

Pour la panéliste, l’heure est au questionnement des politiciens, aux responsabilités qui leur ont été assignés, car notre quotidien a été politisé de façon outrancière, à l’instar de la récupération des fêtes religieuses. « Il nous faut nous demander quelles sont les valeurs que nous attendons de notre classe politique », déclare Saffiyah Chady-Edoo.

Faut-il tirer des conclusions de ces exposés ou se présentent-elles comme des pistes à approfondir ? Malenn Oodiah résume parfaitement la complexité de la problématique liée à la crise sociétale que traverse Maurice. Aussi dira-t-il que quelques semaines ne suffiront pas pour s’attarder sur les mutations qui ont bouleversé la société mauricienne depuis ces 30 dernières années, sans doute marquées par la révolution qu’est celle du numérique, qui participe et influence déjà les traits que prendra la ‘révolution culturelle’ en gestation. Mais les défis qui s’imposent dans le sillage de l’économie digitale ne doivent pas accentuer les inégalités. C’est sans doute cette préoccupation majeure qui est au centre de ce qu’on désigne désormais comme la ‘fracture numérique’, à laquelle les pays du Sud, dont ceux de l’Afrique, sont confrontés.

 

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