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Entre ambitions et contraintes : le bilan du gouvernement trois mois après l’alternance

Au bureau du Premier ministre, on précise que le principal défi reste « l’héritage catastrophique » laissé par l’ancien gouvernement.

Cela fait trois mois que l’Alliance du Changement est au pouvoir. Si cette période lui a permis de poser des bases pour un changement tant espéré, elle met aussi en lumière les ajustements nécessaires pour tenir les promesses électorales. Entre réformes audacieuses et frustrations populaires, l’équilibre reste fragile. Le gouvernement, lui, est confronté à la réalité de gouverner un pays marqué par des attentes élevées et des défis complexes. 

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Ce mardi 11 février 2025, cela fait trois mois que l’Alliance du Changement (composée du Parti travailliste - PTr, du Mouvement militant mauricien - MMM, de Nouveaux Démocrates - ND et de Rezistans ek Alternativ - ReA) a remporté les élections générales de 2024. Le soir du 11 novembre, les nouveaux dirigeants affichaient des visages radieux, portés par l’ambition de tourner la page d’une ère marquée par le favoritisme et la concentration des pouvoirs. La campagne promettait un renouveau démocratique, une gouvernance plus transparente et un État « plus proche du citoyen ». 

Trois mois plus tard, qu’en est-il vraiment ? Entre attentes populaires et contraintes institutionnelles, entre volontarisme politique et inertie du système, le gouvernement se heurte à des réalités complexes. Un trimestre semble être un délai suffisant pour poser les jalons d’une nouvelle gouvernance, mais trop court pour transformer un pays. 

Économie

Le Dr Rama Sithanen, nouveau gouverneur de la Banque de Maurice et Chairman de la Financial Services Commission (FSC), a succédé à Harvesh Seegolam. Le conseil d’administration de la Banque de Maurice a été reconstitué à la mi-janvier en vertu des dispositions de l’article 12(2) de la loi de 2004 sur la Banque de Maurice. 

Mais sur le terrain, la population attend des améliorations concrètes. Pour l’observateur Jocelyn Chan Low, il ne faut pas s’attendre à une baisse des prix de sitôt. « Le gouvernement lui-même, dans son State of Economy, a reconnu la mauvaise santé de l’économie. Une situation qui laisse présager que certaines promesses électorales ne seront pas tenues. Parmi elles, le 14ᵉ mois, finalement calculé uniquement sur le salaire de base, et le prix de l’essence, qui reste élevé. Autant d’éléments qui nourrissent une déception grandissante de la population », souligne notre intervenant. 

Éducation 

Dans le secteur éducatif, un tournant a été pris avec l’assouplissement des critères d’accès au Grade 12. Désormais, trois Credits suffisent au lieu de cinq. Une dérogation exceptionnelle permet même à certains élèves d’être promus avec seulement deux Credits ou un Grade C dans deux matières, à condition d’avoir réussi en anglais. Une réforme qui concernera entre 4 500 et 5 500 élèves.

« Le système éducatif était dans un gouffre. J’ai hérité d’un désordre pédagogique laissé par l’ancienne ministre de l’Éducation », affirme le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, dans une déclaration téléphonique. 

Il souligne également avoir « remis de l’ordre, notamment en réglant le conflit entre la Private Secondary Education Authority et la Fédération des collèges privés ». Selon lui, les tensions ont été apaisées. « Pour ce qui est de l’Extended Programme, c’est terminé. On en n’entendra plus parler », dit-il. Il ajoute qu’en moins de deux mois, son équipe a travaillé assidûment. 

Parmi les réformes annoncées : l’introduction du Kreol Morisien (KM) en Lower VI dès cette année. « Dès mon arrivée, j’ai obtenu du Conseil des ministres le déblocage de Rs 100 000 par collège et Rs 75 000 par école primaire pour aménager les établissements avant la rentrée », précise Mahend Gungapersad.

Pouvoir d’achat

Face à une inflation persistante, le gouvernement affiche sa volonté d’agir. Dans son discours-programme du 24 janvier, lu par le président de la République, l’exécutif a promis des mesures strictes contre les pratiques abusives de certains commerçants. Une législation sera introduite pour interdire le stockage spéculatif de produits destinés à être revendus à des prix exorbitants. La State Trading Corporation (STC) pourrait également renforcer son rôle en important certains produits en vrac et à prix réduits, afin d’en garantir l’accessibilité à tous.

Mais pour Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association pour la protection des consommateurs (Acim), ces annonces restent insuffisantes. « Nous avons demandé la suppression des taxes sur certains produits de première nécessité ainsi qu’une intervention sur le prix des œufs, qui a flambé », rappelle-t-il. Il estime que le gouvernement doit aller plus loin en encadrant les marges des grandes entreprises et en protégeant davantage les consommateurs. « Les profits excessifs réalisés par certaines entreprises, notamment durant la crise sanitaire, doivent être mieux encadrés », dit-il.  

Law and Order

Le combat contre la drogue et la criminalité reste l’une des priorités du gouvernement. Sam Lauthan, ancien travailleur social et assesseur de la commission d’enquête sur la drogue (présidée par Paul Lam Shang Leen), a été désigné, il y a une semaine, pour diriger une agence nationale de lutte contre la drogue. L’annonce a été faite par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, mardi dernier, à l’Assemblée nationale. 

Mais pour Hector Tuyau, ancien assistant surintendant de police et membre de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), la situation reste inchangée. « C’est le statu quo en ce qui concerne la situation de la drogue », déplore-t-il. Ancien enquêteur en chef pour la commission d’enquête sur la drogue, il appelle à l’application intégrale des recommandations du rapport de cette commission. 

« Ce rapport a nécessité trois ans de travail acharné et c’est ainsi que nous devons mener le combat », affirme Hector Tuyau. Parmi les principales recommandations, il souligne la nécessité de démanteler l’Adsu. « Il faut également un débat ouvert sur le cannabis pour freiner le trafic et lutter contre la propagation de la drogue synthétique dans notre société », dit-il.

Travail

Reaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), adopte une posture acerbe envers le gouvernement actuel. « Quand un parti politique est dans l’opposition, il a une vision. Mais une fois au pouvoir, il a une télévision », dit-il. Une métaphore qu’il utilise pour dénoncer l’écart entre les promesses électorales et les actions gouvernementales. 

Le syndicaliste déplore surtout l’absence de consultations avec les syndicats dans le cadre des négociations tripartites relatives à l’augmentation salariale de Rs 610, qui touche une partie des travailleurs. « Je suis stupéfait que ReA, un parti de gauche membre de l’alliance gouvernementale, n’évoque pas cette question », ajoute-t-il. Face à ce silence, la plateforme syndicale prévoit une manifestation suivie d’une conférence de presse dans les jours à venir. 

Selon Reaz Chuttoo, la grande majorité des salariés n’a pas encore pris pleinement conscience des implications de la situation économique. Il exprime des inquiétudes sur un possible gel des salaires pour les années à venir et remet en question la viabilité du Contribution sociale généralisée (CSG), soulignant qu’il ne peut être déficitaire. « La CSG n’est pas un fonds, mais une taxe », insiste-t-il. 

Pour éviter des dérives financières et permettre une dynamique d’investissement privé, Reaz Chuttoo appelle à une réduction des dépenses publiques, qu’il considère comme un levier crucial pour relancer l’économie nationale.

En somme, ces trois premiers mois témoignent d’une volonté de changement, mais aussi d’un choc avec la réalité. Les réformes avancent, mais peinent à répondre aux attentes. Entre promesses à tenir et contraintes à gérer, l’Alliance du Changement est à la croisée des chemins… 

Trois mois après la débâcle du MSM-ML

Ce mardi marque également trois mois depuis la chute du régime MSM-ML-Linite Militan (Plateforme Militante-MPM), balayé par une défaite cinglante : 60-0. Du côté du Sun Trust Building, bastion de l’ex-pouvoir à Port-Louis, l’heure est au silence, malgré les sollicitations pour une réaction officielle. 

Le PMO : « Un héritage catastrophique » 

Au sein du bureau du Premier ministre (PMO), le constat est sans appel : les cent premiers jours du gouvernement ont été marqués par une activité intense. « Ce début de mandat a été particulièrement chargé. De nombreuses priorités ont été traitées, notamment l’état de l’économie, le dossier SADC, la Financial Crimes Commission Act et le dossier Chagos, qui mobilise énormément de temps », indique une source au Prime Minister’s Office (PMO). 

Mais le principal défi, selon les proches du pouvoir, reste l’état dans lequel le pays a été laissé par l’ancienne administration. « Nous avons hérité d’une situation catastrophique. Pas de temps pour le répit. Il y a du pain sur la planche », martèle-t-on. Si le gouvernement revendique déjà plusieurs avancées, il se garde toutefois d’afficher tout triomphalisme, insistant sur l’ampleur du travail encore à accomplir. « Le chantier est immense, mais le cap est fixé », assure la même source.

 

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