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Élections municipales : autopsie d’une abstention préoccupante 

Bien que certains citadins aient fait le déplacement dimanche pour exercer leur droit, le taux d’abstention est élevé.

Avec un taux d’abstention de 73,73 % lors du scrutin de dimanche, la démocratie municipale traverse une zone de turbulences. Fuite des urnes, perte de sens et désillusion politique… Le malaise est profond. 
Le chiffre donne le tournis. Le dimanche 4 mai 2025, près de huit électeurs sur dix ont boudé les urnes. Le taux d’abstention a bondi à 73,73 %, contre 64,39 % lors des élections municipales de 2015. Un phénomène qui soulève de nombreuses interrogations. Pourquoi voter quand les conseils municipaux semblent vidés de leur substance ? Ce refus de participer reflète-t-il un simple désintérêt ou est-il le symptôme d’une démocratie locale en état de mort clinique ?

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En comparaison avec les 79 % de participation enregistrés lors des législatives de 2024, ce désaveu massif ne peut être attribué à un oubli calendaire ou aux conditions météorologiques. L’abstention, dans ce contexte, s’apparente davantage à une protestation silencieuse mais délibérée. 

« Face à une participation aussi faible, les analystes voient des problèmes institutionnels », explique le politologue Yvan Martial. Il souligne comment les gouvernements successifs ont méthodiquement affaibli les pouvoirs des municipalités par une centralisation rampante. « La National Development Unit (NDU) et la Local Government Service Commission (LGSC) ont absorbé des compétences-clés. Les maires ne sont plus que des vases à fleurs et les conseils municipaux des chambres d’enregistrement », dénonce-t-il.

Une impuissance institutionnalisée

Dans ce paysage démocratique désertique, où même les allocations budgétaires sont décidées par le gouvernement central, les citadins ne voient plus l’utilité de leur bulletin de vote. « Il n’y a plus de projets ancrés, plus de dépôts visibles. Les gens s’abstiennent car ils savent que leur vote ne changera rien », avance, pour sa part, l’observateur Jocelyn Chan Low. Cette abstention record, poursuit-il, se manifeste aussi comme une forme de boycott politique, une grogne silencieuse face à une démocratie locale affaiblie jusqu’à n’être que l’ombre d’elle-même. 

L’avocat et constitutionnaliste Parvez Dookhy évoque une explication complémentaire : l’essoufflement post-législatives. « L’électorat a voté pour l’Alliance du Changement par défaut, pas par conviction. Une fois la transition obtenue, l’élan s’est émoussé. À cette fatigue s’ajoute le boycott du scrutin par deux poids lourds de l’opposition, le MSM et le PMSD. Sans l’Alliance Lepep, le scrutin a perdu en tension et en clarté », analyse-t-il. 

Quant aux partis émergents, poursuit-il, ils n’ont pas su occuper le vide, et ce malgré leurs discours de rupture. « Faute d’accords entre eux et d’implantation suffisante, ils n’ont pas pu présenter des candidats partout. Cela révèle une certaine impréparation, voire une incapacité à structurer une offre politique cohérente », souligne Me Parvez Dookhy.

Pour l’avocat et constitutionnaliste, cette abstention ne doit pas être lue comme un désintérêt apolitique. Elle révèle les limites d’un cadre institutionnel obsolète. « Les municipalités sont dirigées par des maires tournants, désignés chaque année. Il n’y a pas de chef de file élu pour cinq ans, porteur d’un projet. Impossible donc de suivre un programme ou d’évaluer un bilan », regrette-t-il. 

Ce manque de visibilité politique pèse sur l’intérêt du scrutin. « Vu que les municipalités ont des pouvoirs limités, il y a peu de débats sur les projets et donc peu de raisons de voter », ajoute l’avocat. La campagne s’est déroulée sans confrontation d’idées, propositions fortes et dialogue avec les habitants. Résultat : une mobilisation en berne. 

Un électorat volatil

Jocelyn Chan Low estime que cette abstention massive illustre aussi la métamorphose du corps électoral. « Ce n’est plus l’électorat d’avant. Il s’est émancipé. Il est devenu flottant », constate-t-il. Une volatilité nouvelle qui appelle une refonte de l’offre politique. « Il faut revoir le cadre légal, renforcer le rôle des collectivités locales et offrir une alternative crédible au statu quo », plaide-t-il. 

Parmi les pistes avancées : une refonte du calendrier électoral. Organiser les municipales comme des élections intermédiaires, à distance des législatives, permettrait d’en faire un rendez-vous politique à part entière. « Elles gagneraient en visibilité et en intérêt », estime Parvez Dookhy. 

Mais le changement ne saurait être seulement technique. Il doit aussi être incarné. « Il faut désigner un chef de file pour chaque municipalité. Les électeurs font plus facilement confiance à une personne qu’à un projet abstrait », soutient l’avocat et constitutionnaliste.

Vashish Horril : « C’est dû aux promesses non tenues » 

Il fait partie des rares électeurs à s’être déplacés dimanche pour glisser un bulletin dans l’urne. « Par principe », dit-il. Et par refus de laisser le champ libre. « ‘Pa sipoze ena 120-0’ ! Si tel était le cas, tout marcherait au ralenti, à leur guise. Le taux d’abstention est dû aux promesses non tenues par le gouvernement. À force de décevoir, les gens préfèrent s’abstenir », dit-il.

Jean : « La population a voulu envoyer un signal fort » 

Il n’a mis que quinze minutes pour atteindre le centre de vote. Mais Jean, résident de Curepipe, sait qu’il faisait partie d’une minorité dimanche. Et il comprend pourquoi tant d’autres ont préféré rester chez eux. « La population a voulu envoyer un signal fort », estime-t-il. 

À ses yeux, deux raisons expliquent cette abstention record : « D’abord, l’absence du MSM et du PMSD a vidé le scrutin de tout véritable enjeu. Ensuite, il y a une frustration grandissante. Les gens sont déçus par la lenteur du changement. Ils s’attendaient à ce que cela aille plus vite après les législatives. » 
 

 

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