Le Dr Soobaraj Sok Appadu, directeur de l’hôpital ENT, s’exprime sur les critiques auxquelles son établissement fait régulièrement face et maintient que tout est encore sous contrôle, malgré le nombre de décès enregistrés.
Les autorités ont, la semaine écoulée, décidé de revoir le protocole de l’hôpital ENT. Pouvez-vous nous expliquer la logique de cette démarche ? Est-ce une décision bien inspirée, au vu de la situation de la pandémie à Maurice, qui sera appelée à se détériorer selon plusieurs experts, surtout avec la présence du variant Delta ?
Je dois d’abord tirer cela au clair. L’hôpital ENT reste un établissement dédié au traitement contre la Covid-19 et les membres du public ne pourront toujours pas y avoir accès. La seule chose qui devient normale, c’est la routine du personnel soignant. Ceux qui étaient affectés à l’ENT devaient y travailler pendant toute une semaine et c’est au bout de ces sept jours qu’ils étaient autorisés à rentrer chez eux. Il faut aussi savoir que cela fait environ 20 mois que notre personnel soignant travaille à ce rythme. Cela concerne quelque 200 Nursing Officers. Nous avons décidé d’introduire cette mesure dans le but de soulager le personnel, qui a besoin de repos. Maintenant, en ce qui concerne l’autre partie de votre question autour du variant Delta, je dois dire qu’il n’est pas vraiment différent du virus original. C’est vrai de dire que la quantité de virus produit par le variant est beaucoup plus importante, mais cela ne veut pas dire que tout le monde développera des formes de maladie grave avec le Delta. Ceci dit, il ne faut tout de même pas oublier que Maurice dispose d’un record concernant le taux de diabète et d’hypertension. Ce qui veut dire que nous sommes une population avec de lourdes comorbidités. C’est pour cela que les autorités ont décidé de mettre toute la population dans une bulle pendant environ sept mois. Nous sommes, par la suite, passés à la vaccination, où nous sommes parvenus à vacciner 90 % de la population adulte. Permettez-moi aussi d’ajouter que cela fait 20 ans que je travaille dans le système de la Santé et lorsque nous avons décidé de mettre en place ce protocole, nous avons d’abord effectué un audit, et nous avons établi que le niveau de système permettra au personnel d’être plus concentré dans sa tâche.
Mais avec ce nouveau système de rotation, les membres du personnel hospitalier ne vont-ils pas se retrouver à exposer leurs proches davantage au virus ?
C’est un risque qui existe. Mais il faut aussi savoir que la dernière contamination d’un de notre staff remonte à plus de trois mois. Notre personnel a également su développer un sens de la discipline et suit le protocole sanitaire rigoureusement.
C’est vrai de dire que la quantité de virus produit par le variant est beaucoup plus importante, mais cela ne veut pas dire que tout le monde développera des formes de maladie grave avec le Delta»
L’hôpital ENT enregistre en moyenne un décès au quotidien. Où se situe le problème ? Est-ce que votre personnel est en train d’être de plus en plus dépassé ?
Lorsque nous avons décidé de passer l’ENT à la nouvelle phase de notre preparedness plan, nous avons décidé que l’hôpital allait uniquement assurer la prise en charge des patients qui présentent des symptômes liés à la Covid-19. Il faut aussi savoir que, dans plusieurs hôpitaux à l’étranger, le taux de survie des patients admis ne dépasse pas 50 %, alors qu’au niveau de l’ENT, 70 % des malades arrivent à être guéris de la Covid-19. Il ne faut donc pas voir que le nombre de morts, mais aussi les chiffres dans leur globalité. Mais il faut malheureusement aussi dire qu’il y a beaucoup trop de comorbidités à Maurice.
Le protocole concernant l’hôpital ENT a régulièrement été amendé. Ce qui pousse plusieurs personnes à se demander si les autorités se contentent uniquement de réagir, sans avoir la capacité de bien anticiper les difficultés….
Tous les protocoles que nous décidons d’adopter sont revus et proprement étudiés par un groupe médical composé de divers spécialistes de différentes filières. L’ENT s’est retrouvé être au cœur de la maladie. L’épicentre, c’est l’ENT. Il y a quatre phases de preparedness. La première phase, c’était au tout début de la pandémie, lorsqu’on ne connaissait rien de la maladie. La deuxième, c’était la vaccination. Nous sommes actuellement dans notre troisième phase, qui consiste à accroître les mesures sanitaires et à éduquer la population. Nous constatons aussi que plusieurs compagnies à l’étranger sont aussi en train de développer des médicaments contre le virus et nous devons à notre niveau permettre au ministère de la Santé de trouver le juste milieu dans tout cela. Nous devons conseiller le ministère par rapport aux médicaments qu’il faut avoir, pour qu’on ne se retrouve pas avec un trop plein de médicaments sur le marché. Cela risque ainsi de provoquer une certaine confusion auprès de la population. Lorsque nous passerons à la quatrième phase, vous verrez que la Covid-19 finira par devenir un virus banal et que nous saurons comment vivre avec.
L’hôpital ENT a souvent été critiqué pour son incapacité à proprement informer les proches des patients sur leur état de santé, poussant plusieurs à reprocher au personnel d’un manque de considération humaine. Cela vous interpelle-t-il ?
On n’est pas sans savoir que la Covid-19 n’a rien d’une maladie normale, où l’on peut autoriser des visites dans nos wards et rencontrer les médecins traitants. Aussi, les patients qui y sont admis sont bien souvent dans une phase critique, où ils ont besoin d’oxygène, ce qui rend les choses difficiles pour eux de pouvoir communiquer avec les membres de leurs familles. Je ne peux non plus demander à mon personnel de prendre leurs propres portables pour mettre ces patients en contact avec leurs proches. Cependant, avec le système qui entrera bientôt en vigueur, nous allons mettre en place une équipe qui sera dédiée à la communication. Notre protocole est donc dynamique et nous faisons de notre mieux pour nous adapter à la situation.
Êtes-vous satisfait des conditions hygiéniques de votre hôpital ? Il y a récemment eu des photos qui ont été mises en circulation, faisant état de conditions déplorables…
Si des photos sont en train de faire état de l’absence d’hygiène à l’ENT, je me sens bien évidemment concerné. Mais concernant les photos qui sont en circulation, je dois dire qu’elles datent de longtemps, lorsque nous étions toujours en train d’accueillir des centaines de patients. Je dois reconnaître qu’il y avait alors ces problèmes. Mais ce sont des choses du passé. Notre personnel s’occupe des patients alités, car ils sont dans un état très critique et ne peuvent se déplacer. Je pense qu’il faut encourager notre personnel, qui est en train d’abattre un excellent travail au quotidien. Il y a des caméras dans les hôpitaux, qui me permettent de bien superviser la situation et je peux vous dire que l’hôpital est actuellement très propre.
Votre établissement a aussi été sévèrement critiqué pour le traitement accordé aux défunts. Ce qui pousse encore une fois à penser qu’en termes d’anticipation, votre établissement ne s’en sort pas bien…
Nous faisons notre maximum pour respecter les défunts, pour qu’ils puissent quitter ce monde dans la dignité. En 20 ans de carrière dans ce secteur, je peux vous dire que je n’ai jamais accordé de mauvais traitement à un mort, ainsi qu’à ses proches. Nous avons à présent décidé d’implémenter un nouveau système de chambre frigorifiée, ce qui aidera mieux à la préservation des cadavres.
Une des critiques revenant sans cesse contre l’ENT porte sur le manque d’équipements médicaux. Dans la semaine, Rama Valayden a affirmé que seuls six ventilators sont en bon état. Que répondez-vous à cela ?
En tant que fonctionnaire, je ne veux faire aucun commentaire politique. Je peux, en revanche, assurer que nous avons 26 ventilators, dont un en réparation. Nous ne nous sommes jamais retrouvés dans une situation où plus de sept patients ont dû être intubés. Je dois aussi dire que nos ventilators ont plusieurs options. Concernant les patients « invasifs », nous les intubons par la gorge, alors que pour les cas « non invasifs », les patients portent un masque pour avoir de l’oxygène. Nos ventilators sont les meilleurs au monde. Avec le nombre de malades que nous avons, nous sommes en mesure de gérer.
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