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Bernard Yen, actuaire et membre du comité d’experts : «Ne pas donner la pension aux personnes aisées figure parmi les propositions»

Jean Claude de l’Estrac estime que Maurice vit « au-dessus de ses moyens » et qu’une réforme ciblée serait inévitable à terme. L’avocat et militant, Dev Ramano, dénonce une réforme « imposée d’en haut », estimant que le gouvernement a perdu le lien avec le peuple. L’actuaire. Bernard Yen, souligne que le ciblage reste une option « inévitable » pour garantir la soutenabilité du système de pension.
  • Jean Claude de l’Estrac : «Le ciblage est un début de réponse»

Le gouvernement n’a encore rien confirmé, mais la probabilité d’un ciblage des pensions refait surface. Selon des sources proches du comité d’experts chargé de réfléchir à la soutenabilité du système, l’idée de ne plus verser la pension universelle aux ménages les plus aisés sera au menu des des discussions. Si cette piste demeure  une des voies à opter pour assurer plus d’équité, elle suscite déjà de vives discussions dans les cercles politiques, économiques et sociaux.

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Déjà, dans son discours mercredi, à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées, Paul Bérenger a fait savoir qu’il n’avait pas touché sa pension de vieillesse alors qu’il y avait droit dès l’âge de 60 ans. Il est aujourd’hui âgé de 80 ans.

Depuis le relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à 65 ans, la réforme de la pension divise. D’un côté, les partisans d’une approche plus ciblée estiment qu’il est temps d’adapter le modèle à la réalité économique du pays ; de l’autre, les défenseurs de l’universalité redoutent une fracture sociale et un recul de la solidarité nationale. Pour l’heure, aucune décision n’a été actée, mais le signal est clair : le gouvernement cherche des moyens d’alléger la facture d’un système qui représente plus de Rs 50 milliards par an, soit près d’un cinquième du budget national.

Pour Jean Claude de l’Estrac, ancien ministre et observateur politique, il était temps d’aborder frontalement la question. S’il s’avère que le ciblage est envisagé, il estime qu’il fallait commencer par là. « Le ciblage sera un début de réponse, non seulement pour la pension mais aussi pour les autres prestations. Ceci est la solution, on verra bien… », confie-t-il. 

Selon lui, Maurice ne peut échapper à cette mesure si elle veut éviter la fragilisation de son économie. Il met en garde contre la manière dont la réforme sera expliquée à la population : « Ce pays vit au-dessus de ses moyens depuis plusieurs années avec une politique de prestations sociales de pays riche alors qu’il ne l’est pas. Les Mauriciens ont été amenés à estimer que tout doit leur être donné gratuitement : l’éducation de leurs enfants, la santé de leurs familles, le transport, l’Internet et la télé. Même leurs prêtres doivent être financés… Il faudra communiquer en toute transparence. La communication, ce n’est pas une conférence de presse, mais savoir parler et expliquer aux électeurs. » 

Pour l’ancien rédacteur en chef et homme politique, l’enjeu n’est pas seulement budgétaire, il est aussi moral : il faut restaurer la confiance entre gouvernants et citoyens à travers une pédagogie claire.

Du côté du comité d’experts, le ton est plus mesuré mais tout aussi lucide. Bernard Yen, actuaire et membre du comité, confirme que la réflexion est bien engagée sur plusieurs scénarios de réforme, dont le ciblage. Il rappelle toutefois que rien n’est tranché et que tout se fera dans la concertation. « Le ciblage est un processus inévitable si l’on veut trouver une soutenabilité au projet. Ne pas donner la pension aux personnes aisées figure parmi les propositions et, avant de décider de la marche à suivre, il faudra en  discuter des implications », explique-t-il. 

Selon Bernard Yen, les consultations prendront plusieurs mois, mais l’urgence d’une solution adaptée à la conjoncture économique ne fait plus de doute. L’expert reconnaît néanmoins que l’exercice sera délicat : « Toute proposition ne fait pas des heureux. Il y aura des mécontentements et des grincements de dents. Mais le comité va respecter les principes d’égalité, d’équité et de solidarité. C’est clair que nous risquons d’être impopulaires, mais il faut trouver des solutions constructives et vite. »

Son propos traduit bien l’équilibre fragile entre responsabilité financière et acceptabilité sociale que devra trouver le gouvernement.

Pour Dev Ramano, avocat et militant engagé, cette réforme, même « croustillante » comme il la qualifie, ne parviendra pas à apaiser la colère d’une population déjà frustrée. Selon lui, le fossé entre le peuple et le gouvernement s’est creusé depuis longtemps : « Le gouvernement cherche à tout prix à sauver sa réputation, mais il est bien trop tard. La réforme de la pension a été le coup de grâce », déplore-t-il.

Le militant remet aussi en cause la composition du comité d’experts : « Comment mettre sur pied un comité qui ne contient que des actuaires ? Il n’y a mi syndicats, ni ONG, ni sociologues. Dès le départ, ceci a été un véritable faux pas. » Pour lui, la question du ciblage des riches est un écran de fumée : « Ne pas payer la pension de vieillesse aux riches semble être la solution, mais il faut aussi les taxer. On ne peut pas d’un côté leur faciliter la vie, et de l’autre, pénaliser les classes moyennes et populaires. Dire que dans quatre ans les promesses seront respectées est une excuse. La réforme de la pension ne figurait pas dans leur programme, pourtant ils ont eu le temps de démolir l’État-providence. »

À travers ces voix divergentes, le débat se précise. D’un côté, la nécessité économique d’adapter un système devenu coûteux et parfois inégalitaire ; de l’autre, la crainte d’une réforme qui érode la solidarité nationale. Pour nombre d’observateurs, l’enjeu dépasse la simple question des « riches » : il s’agit de repenser la philosophie même de la protection sociale mauricienne, longtemps fondée sur l’universalité et la dignité des aînés. Si le ciblage devait voir le jour, il marquerait un tournant historique dans la conception du modèle mauricien — un passage d’un État protecteur à un État sélectif. Une évolution que certains jugent nécessaire, mais que d’autres redoutent comme une remise en cause du pacte social. Rien n’est encore décidé. Mais une chose est sûre : le débat autour de la pension n’arrête pas là. Et à mesure que la conjoncture se durcit, la question du « qui doit payer pour qui » risque bien de devenir le prochain grand test  pour le pays. 

 

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