
Le gouvernement envisage d’instaurer à Maurice la semaine de 40 heures. Une mesure saluée par les syndicats pour ses bienfaits sociaux et familiaux, mais qui inquiète les entreprises quant à son impact sur les coûts et la compétitivité. Entre promesse de bien-être et défis économiques, la réforme divise.
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L’idée d’une semaine de 40 heures refait surface dans le paysage socioéconomique mauricien. Pour le gouvernement, il s’agit de repenser la place du travail dans une société où les rythmes professionnels s’intensifient et où les familles peinent à trouver un équilibre. Pour les syndicats, c’est une revendication de longue date qui pourrait transformer positivement la qualité de vie des travailleurs.
« La société mauricienne est en train de subir une dégradation familiale et sociale. Les jeunes tombent dans les fléaux comme la drogue, tandis que les aînés sont souvent laissés à l’abandon », alerte Reaz Chuttoo, président de la Confédération des Travailleurs des Secteurs Publique et Privé (CTSP). Pour lui, la cause est claire : « Les Mauriciens travaillent trop et n’ont plus le temps d’assumer leurs responsabilités familiales. La semaine de 40 heures est un must pour rétablir une balance entre vie professionnelle et personnelle. » Même son de cloche du côté d’Ashvin Gudday, négociateur de la General Workers Federation. Il évoque la règle du 3x8 — 8 heures de travail, 8 heures de repos et 8 heures de sommeil — qui, selon lui, reste un idéal encore trop souvent théorique. « Moins d’heures permettraient aux travailleurs de se ressourcer et d’améliorer leur santé, dans un monde globalisé et compétitif », dit-il, en rappelant que « plusieurs pays sont déjà passés à des semaines de 36 heures ou moins ». Mais du côté des entreprises, l’inquiétude grandit. Selon les employeurs qui participaient aux Assises du Travail et de l’Emploi en septembre dernier, la réduction du temps de travail pourrait entraîner une hausse des coûts de main-d’œuvre de 10 % à 20 %.
Les garanties à mettre en place
La grande question reste : comment mettre en œuvre une telle réforme sans fragiliser les entreprises ? Pour Reaz Chuttoo, il faut briser le mythe selon lequel moins d’heures de travail équivaut à moins de productivité. « En Norvège ou au Danemark, où la durée hebdomadaire se situe entre 33 et 36 heures, la productivité reste pourtant parmi les plus élevées au monde », avance-t-il. Le syndicaliste prône une approche plus intelligente du travail. « Il faut travailler smarter, pas plus longtemps. Les entreprises doivent investir dans la technologie et la formation pour maintenir leur efficacité. L’État, lui, doit soutenir ces investissements. »
Ashvin Gudday estime, pour sa part, qu’il faut un dialogue tripartite entre le gouvernement, les employeurs et les syndicats. « La classe syndicale ne tolérera pas un système à la pièce où les travailleurs seraient les perdants », dit-il. Il insiste sur la nécessité d’un cadre légal solide, de sanctions pour les employeurs récalcitrants et d’une protection accrue pour les travailleurs étrangers, souvent soumis à de longues heures et mal rémunérés.
De son côté, Ravish Pothegadoo, directeur de Talent On Tap, souligne l’importance d’un accompagnement économique. « Il est crucial de garantir que la réduction du temps de travail ne s’accompagne pas d’une baisse de revenus. Des mesures de soutien, comme des allègements de charges ou des aides à la réorganisation, seront indispensables, surtout pour les PME. » Selon lui, la loi devra également prévoir une flexibilité sectorielle. « Les modalités d’application devront être adaptées à chaque secteur via une concertation approfondie. Une approche uniforme serait contre-productive », ajoute-t-il.
Business Mauritius : Pradeep Dursun : « Sans évaluation préalable, on risque des perturbations et des retards »
Pradeep Dursun, Chief Operating Officer de Business Mauritius, appelle à la prudence. « La semaine de 40 heures est un combat syndical mondial, mais chaque secteur a ses spécificités. À Maurice, certains travaillent déjà 40 heures, d’autres 45 », dit-il. L’organisation patronale plaide pour la réalisation d’un Impact Assessment avant toute décision. « Certains systèmes de production reposent sur 45 heures. Sans évaluation préalable, on risque des perturbations et des retards », prévient-il. Néanmoins, Business Mauritius reste ouverte au dialogue. « Avec une concertation constructive, il est possible de trouver un juste équilibre entre bien-être des travailleurs et compétitivité économique », avance Pradeep Dursun.
Les secteurs les plus concernés
La réforme ne toucherait pas tous les secteurs de la même manière. Si certains travaillent déjà sur cinq jours par semaine, d’autres devront revoir leur organisation.
Construction et distribution
La plupart des entreprises fonctionnent déjà sur une base de cinq jours par semaine, avec neuf heures quotidiennes (soit 45 heures au total). Selon Reaz Chuttoo, réduire d’une heure par jour pour atteindre 40 heures « ne bouleverserait pas le fonctionnement de ces secteurs ».
Santé
Ce secteur dépasse régulièrement les 40 heures hebdomadaires et devront donc se restructurer. Ashvin Gudday cite notamment les caregivers.
« Les garde-malades travaillent bien au-delà des heures prévues par la loi actuelle. Cette réforme leur redonnerait du souffle.»
Tourisme et hôtellerie
Selon les intervenants, ces industries, fonctionnant souvent en continu, seraient parmi les plus touchées. « Les établissements devront adapter leur planning et, dans certains cas, recruter davantage de personnel pour maintenir la qualité du service », disent-ils.
Manufacturier
Les lignes de production, souvent calquées sur des cycles longs, devront être réorganisées. « Cela pourrait entraîner une hausse temporaire des coûts et une nécessité d’investissement dans l’automatisation.
Petites et moyennes entreprises (PME)
Ravish Pothegadoo met en garde. « Les PME pourraient avoir plus de difficultés à absorber les coûts supplémentaires ou à réorganiser leur production sans une assistance adéquate. »
Qu’en est-il dans d’autres pays ?
Reaz Chuttoo avance que dans plusieurs pays européens, la réduction du temps de travail a déjà fait ses preuves. « Par exemple, au Danemark, la semaine de travail est inférieure à 40 heures.
En Norvège, il faut compter entre 33 et 36 heures de travail par semaine »,indique-t-il.
Pour sa part, Ravish Pothegadoo ajoute qu’en France, la semaine de 35 heures a eu des résultats mitigés, combinant bien-être accru et défis de compétitivité pour certaines industries. « L’Allemagne et le Danemark ont réussi à augmenter la productivité tout en réduisant la durée de travail, grâce à l’innovation et à l’efficacité organisationnelle », dit-il.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), ces modèles montrent qu’une réduction du temps de travail ne nuit pas forcément à la performance économique, si elle s’accompagne d’une modernisation de l’organisation du travail, soutient le directeur de Talent on Tap.

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