D’un naturel discret, le Dr Shameem Jaumdally s’est retrouvé au-devant de la scène lors de la pandémie de COVID-19 en 2020. Présent dans pratiquement tous les médias locaux en tant que virologue, il a contribué à mieux faire comprendre le virus. Rencontre avec un passionné de la recherche.
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En vacances à Maurice depuis la fin de décembre dernier, le Dr Shameem Jaumdally est venu se ressourcer avec ses proches avant de reprendre l’avion pour Cape Town ce dimanche 7 janvier. C’est en toute simplicité qu’il accueille dans la maison de ses proches.
Virologue et responsable d’une équipe à l’Institut pulmonaire de l’Université du Cap, il a développé une affinité particulière pour la biologie au secondaire, en grande partie grâce à ses deux professeurs en la matière, à savoir Mme Pamela Ramasawmi et M. Jim Ah-Kioon. Il a fait ses études secondaires au Collège Royal de Port-Louis, qu’il a terminées en 2002. « J’avais aussi un penchant pour résoudre les mystères et relever de grands défis au niveau biomédical. Le choix était donc entre la médecine médico-légale ou la virologie », explique-t-il.
Il met le cap sur Cape Town, en Afrique du Sud, en 2004, avec pour objectif initial de faire une maîtrise et de se tourner par la suite vers l’Europe ou les États-Unis pour poursuivre ses études. Cependant, après des visites sur ces deux continents, il se rend compte que la vie en Afrique du Sud lui convient bien mieux. Âgé de 39 ans, cela fait maintenant 20 ans qu’il y est basé.
Selon lui, ce pays est propice à ce qu’il voulait accomplir dans la recherche sur les maladies infectieuses. Il considère également que l’Afrique du Sud est une destination d’études supérieures attractive compte tenu du bon rapport qualité-prix de l’éducation. « Il m’a fallu dix ans d’études continues à l’Université du Cap pour terminer mon doctorat, et par la suite, mon mentor de l’époque m’a convaincu d’entreprendre une maîtrise en santé publique pour devenir un chercheur plus translationnel », dit-il.
Ce type de recherche vise à faire le lien entre la recherche fondamentale (compréhension des mécanismes biologiques, moléculaires, etc.) et la pratique clinique (diagnostic, traitement, prévention des maladies chez les patients). C’est un processus qui vise à traduire les découvertes scientifiques en applications pratiques pour améliorer les soins de santé. Au terme de cinq années supplémentaires de formation postdoctorale, il décroche son premier emploi de chercheur.
Sa décision de faire des études en virologie découle également d’une expérience personnelle. C’était à l’époque où la pandémie du VIH/Sida était la plus grande cause de mortalité dans le monde. « Je me souviens que les antirétroviraux venaient tout juste d’être déployés à l’échelle mondiale et que la recherche d’un remède ou d’un vaccin efficace était une priorité », raconte le Dr Jaumdally.
Grâce à un réseau de travailleurs sociaux à Maurice, il a eu l’opportunité de rencontrer une jeune fille séropositive qui avait perdu ses parents à cause du Sida. Il se rappelle encore du moment où elle lui a demandé à quoi ressemblait la mort, car on lui avait dit qu’elle allait elle aussi bientôt mourir, comme ses parents. Cela a longtemps été sa principale motivation pour poursuivre ses études en virologie et tenter d’apporter sa propre contribution à l’éradication de la pandémie.
Pendant la pandémie, j’étais souvent la dernière personne à qui les patients gravement malades parlaient avant leur décès. Pour beaucoup d’entre eux, il y avait un sentiment de familiarité après avoir partagé des moments ou des repas avec eux auparavant»
C’est la pandémie de COVID-19 qui l’a propulsé malgré lui sur le devant de la scène. « Quel baptême du feu que de développer un profil public en pleine pandémie mondiale, surtout pour quelqu’un qui aime rester discret dans le domaine public en général ! » s’exclame le Dr Jaumdally.
Durant cette période difficile, la plupart de ses collègues chercheurs et lui ont réalisé qu’ils étaient mal préparés à la communication de leur travail à la société civile. « Il m’a fallu revenir à l’essentiel et je pense que c’est là que ma formation en santé publique a joué un rôle », souligne-t-il. Il conseille ainsi aux étudiants de niveau universitaire de se préoccuper moins des notes et plus de l’impact de la traduction professionnelle qu’ils peuvent avoir dans un contexte réel.
Il se plaît à travailler en Afrique du Sud. « Je ne pense pas que la distance soit un problème de nos jours, puisque nous vivons dans un contexte où de nombreuses interactions sont virtuelles. » Ce qui lui confère en premier lieu l’indépendance de pensée, ou plus précisément, la liberté académique qui prime sur tout le reste dans son parcours de chercheur soutenu par des fonds publics.
« L’un des problèmes majeurs, sinon le plus important, auquel nous étions confrontés à l’époque était la politisation constante de la question de la COVID-19. En tant que scientifique indépendant, cela se résumait à marcher dans un champ de mines », dit-il.
Pour le Dr Jaumdally, la seule chose qui est garantie dans la vie c’est la mort, qui a toujours été au cœur de la façon dont il décide de vivre sa vie. « Pendant la pandémie, j’étais souvent la dernière personne à qui les patients gravement malades parlaient avant leur décès. Pour beaucoup d’entre eux, il y avait un sentiment de familiarité après avoir partagé des moments ou des repas avec eux auparavant », raconte-t-il.
Ce qui lui a fait dire à cette époque que, quel que soit son niveau d’intelligence, de puissance ou de richesse, lorsque son heure est venue, l’on est impuissant face à la mort. D’ailleurs, les derniers instants qu’il a vécus avec certains patients lui ont rappelé que l’être humain demeure un simple mortel dans le plus grand schéma des choses : la vie.
Confiance totale aux chercheurs biomédicaux
Bien informé de l’évolution de la COVID-19 à Maurice, le Dr Shameem Jaumdally est d’avis qu’aucune comparaison directe de la gestion de la pandémie entre l’Afrique du Sud et Maurice ne peut être faite. Cela est dû à l’expertise établie et aux sommes disparates investies dans la recherche entre les deux pays.
Il souligne cependant que ce qui a marqué l’Afrique du Sud, c’est la confiance totale accordée aux chercheurs biomédicaux pour guider le pays en toute sécurité à travers ces temps tumultueux.
« La ligne de communication a toujours été ouverte avec la société civile, et le gouvernement et le secteur privé ont également suivi l’expertise et l’expérience vécue de ces professionnels de la santé », affirme-t-il.
Tout n’était toutefois pas rose. Il y a eu également de multiples incidents de corruption présumée pendant la pandémie, qui ont poussé le ministre de la Santé à démissionner, mais dans l’ensemble, la plupart des entités biomédicales publiques ont travaillé de manière indépendante et équitable pendant cette période, souligne le Dr Jaumdally.
Health Ambassadors
Très occupé par son métier, le Dr Shameem Jaumdally accorde peu, voire pas de temps aux loisirs. Il affirme que son esprit bouillonne tout le temps et qu’il n’arrive pas à s’arrêter. Pour lui, être universitaire est une activité 24/7 pour son cerveau.
Toutefois, il parvient à accorder du temps à sa famille entre deux réflexions. « J’ai la chance de me retrouver dans une ville qui offre des paysages de montagne et de plage spectaculaires. Être dans la nature reste véritablement le meilleur moyen de se ressourcer, corps et âme », dit-il.
Il consacre également une bonne partie de son temps en dehors du travail à organiser des ateliers pour les enfants des zones défavorisées de Cape Town. Parmi, il y a son projet appelé « Health Ambassadors » ; les membres transmettent aux enfants les connaissances nécessaires sur un mode de vie sain. Ils deviennent ainsi des relais pour la dissémination de ces pratiques dans leur communauté.
Altruiste
Forger une carrière scientifique prend du temps et demande beaucoup de patience et de sacrifices, fait savoir le Dr Jaumdally. « Si vous choisissez le chemin que j’ai emprunté dans le monde universitaire, vous devez être prêt à renoncer à l’argent pour la satisfaction de voir les plus démunis bénéficier d’une vie meilleure. »
Bien qu’il travaille dans un grand laboratoire et qu’il se dévoue à son travail, il aurait pu avoir un meilleur salaire s’il faisait un autre métier. Mais faire fortune ne l’intéresse pas. L’altruisme est une des valeurs que lui ont transmises ses parents depuis sa plus tendre enfance. « J’ai été éduqué à me mettre au service des autres », soutient-il.
Consultant bénévole
Disposant de tous les moyens technologiques en Afrique du Sud, le Dr Jaumdally n’envisage pas un retour au pays pour y travailler. Selon lui, l’Afrique du Sud est l’endroit idéal pour les recherches qu’il mène, ce qui fait qu’il se voit mal se retrouver ailleurs et devoir tout recommencer sans l’assurance d’avoir les mêmes moyens à sa disposition.
Il est cependant prêt, en tant que patriote, à agir comme consultant si on le sollicite pour contribuer à améliorer les choses dans les secteurs médicaux. « Je suis ouvert à toute forme de collaboration à condition qu’elle soit bénévole pour faire bouger les choses », dit-il.
Il est également disposé à assurer la formation dans la recherche au niveau universitaire. Il déplore cependant l’existence d’une lacune au niveau de la recherche à Maurice.
Médecine personnalisée
Passionné par la recherche, le Dr Jaumdally veut apporter des réponses et des moyens pour améliorer la santé des gens. Son objectif principal consiste à améliorer l’accès aux soins de santé primaires pour toutes les pathologies, et pas seulement pour les maladies infectieuses. Cela commence par de meilleurs outils de diagnostic et plus accessibles.
« Je consacre une grande partie de mon travail à développer et à tester ces outils. En tant que praticien de la santé publique, je préfère naturellement prévenir que guérir, et je concentre une partie de mes efforts sur l’amélioration du comportement des gens », explique-t-il.
Je préfère naturellement prévenir que guérir»
En tant que scientifique en charge d’une équipe à l’Institut pulmonaire de l’Université du Cap, il est appelé à développer et à améliorer les diagnostics pour les maladies infectieuses et à essayer de comprendre leur transmission. Parmi elles, il y a la tuberculose, le VIH. À travers ses recherches, il relève des défis pour la compréhension des différents cancers et des causes de l’autisme, par exemple, ce qui l’incite à continuer à développer ses connaissances. C’est la seule façon, selon lui, d’apporter une amélioration du diagnostic, des traitements et de la prévention. « Les médecins dépendent beaucoup des recherches des scientifiques », dit-il.
Parmi les projets qu’il a pu mener à bon port, il y a l’amélioration du diagnostic des cancers urologiques comme la prostate et les reins. Ce sont des cancers qui peuvent être traités avec un taux de survie qui est bien meilleur que les autres types de cancer, dit-il. Avec les urologues, il a développé des schémas de travail et ouvert des cliniques de santé primaires pour l’hématurie, la présence de sang dans l’urine, afin d’identifier les endroits où plus de personnes ont développé des problèmes de prostate et des reins. Cela a permis de développer des diagnostics rapides aux stades précoces de ces cancers pour une meilleure prise en charge des patients et leur assurer un meilleur taux de survie ainsi qu’une meilleure qualité de vie.
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