
Les Assises de l’Éducation ont rassemblé environ 4 000 participants, mais ont-elles réellement permis de poser les bases d’un changement profond ? Pour la Dr Nita Rughoonundun-Chellapermal, le défi reste entier : comment garantir une éducation plus juste et efficace ? Elle appelle à une remise en question des pratiques actuelles, plaidant pour une meilleure prise en compte des obstacles pédagogiques et une intégration essentielle de la langue maternelle dès les premières années.
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Les Assises de l’Éducation ont pris fin, jeudi. Quel est votre constat de la situation ?
Un constat mitigé. On a réuni beaucoup de monde. 4 000 nous dit-on. En trois journées, c’est un exploit, mais était-ce là le but, car les consultations ont été bien brèves ! Une demi-journée par secteur ; des ateliers d’une heure pour discuter de trois questions se rapportant à une problématique et arriver à cinq propositions, dont la formulation devait être validée pendant les 15 dernières minutes du temps accordé.
Cependant, les premiers jours, on ne savait pas non plus qui devait ou pouvait participer à ces assises pourtant annoncées depuis décembre. Les chargés de cours et de recherche des corps para-étatiques ou des universités ne semblaient pas avoir été invités. D’ailleurs, hormis les dates des assises, rien n’avait filtré dans le public, même pas le lieu de la tenue de l’évènement avant le 15 au matin !
Quant au programme, il était très peu informatif. Des personnes invitées, certaines étaient nommément distribuées dans les ateliers et les autres étaient conviées à diverses présentations dans la grande salle des plénières. Les restitutions en plénière n’ont pas donné lieu à des discussions. Pis, la remontée par les modérateurs suivait parfois davantage le point de vue de ce dernier plutôt que celui exprimé par le groupe.
Comment les organisateurs auraient-ils pu rendre les discussions plus percutantes ?
En faisant savoir clairement longtemps à l’avance qui était convié et au besoin, les raisons de certains choix. On a été donné à comprendre notamment que le choix - avant correction du tir - était de donner la parole aux praticiens, à ceux qui sont véritablement sur le terrain plutôt qu’aux universitaires et autres chercheurs. Est-ce à dire qu’il est inutile d’entendre ces derniers ou que le dialogue entre praticiens et formateurs/chercheurs est inutile ou impossible ?
Ensuite, en faisant connaître les modalités de déroulement de l’évènement à l’avance. Cependant, je ne suis pas certaine que le choix de saucissonner les trois journées selon les différents secteurs ait été judicieux. Cela a conduit à ne pas s’interroger sur les obstacles à l’apprentissage des futurs recalés du PSAC durant le temps alloué au pré-primaire et au primaire. Ensuite, on a abordé la filière technique que comme un choix par défaut.
Il fallait évidemment accorder plus de temps à l’exercice de discussion, débat et consultation. Ne vaudrait-il pas mieux avoir 400 participants engagés sur une semaine, voire dix jours, que 4 000 personnes pour une demi-journée ? Et pour finir, en cessant de renvoyer aux calendes grecques les questions difficiles. Ne serait-il pas temps au contraire de prendre le taureau par les cornes ?
Enfin, ce qui est fait est fait ! Toutefois, comme l’a dit le ministre au moment de la clôture des travaux, le processus de consultation reste ouvert. Je souhaiterais donc que l’équipe en charge des assises synthétise les 500 communications déjà reçues, ainsi que celles à venir, en y intégrant les recommandations formulées durant ces trois journées. Cette base servirait à organiser une semaine de délibérations, au terme de laquelle le plan directeur final serait rédigé.
Il faut cesser de renvoyer aux calendes grecques les questions difficiles.»
Que faut-il maintenant pour un système éducatif répondant aux besoins de nos étudiants ?
Il faut d’abord admettre que la faible qualité de notre système éducatif est étroitement liée à son manque d’équité. De plus, la question de la langue d’enseignement et d’apprentissage dans nos écoles et nos classes se trouve au cœur de cette problématique.
Nos enfants échouent au PSAC et sont orientés vers le « Foundation Education Programme », ou l’ancien « Extended Stream », comme voie de rattrapage, souvent suivie par le MITD. Ce n’est pas qu’ils sont incapables d’apprendre, mais qu’ils évoluent dans un cadre d’apprentissage injuste.
Ils ne souffrent, pour la plupart, pas de troubles de l’apprentissage. Ils peinent à cause de l’obstacle de la langue. Ils ont une langue X et on leur demande d’apprendre dans une langue Y, dans laquelle sont aussi les manuels et les examens. Une leçon est un évènement linguistique. Elle vise à faire acquérir une connaissance ou une capacité, mais le médium à travers lequel on présente et on fait avoir cette connaissance ou ce « skill » est la langue.
La directrice régionale de l’UNESCO le rappelait lors de la cérémonie d’ouverture : les systèmes éducatifs doivent adopter la langue maternelle des enfants pour les années d’apprentissages fondamentaux. L’enseignement du Kreol Morisien depuis 2012 nous montre que la qualité de la performance des enfants dans cette langue est remarquable. 58 % des enfants ont obtenu 80 ou plus de 80 points en 2017. L’an dernier, m’a confié le Dr G. Florigny, 99 % des petits Rodriguais ont réussi en KM au PSAC. Si tous les enfants apprenaient à lire et à écrire d’abord dans leur langue maternelle, ne résoudrait-on pas en grande partie le problème de cette « pauvreté d’apprentissage » qu’est l’analphabétisme ?
On pourrait, à côté, introduire l’anglais selon une approche communicative et ludique à l’oral pour l’essentiel dans un premier temps. Personne ne dit que connaître deux, trois ou cinq langues n’est pas bien. Cependant, en exigeant cela dès le départ de tous nos enfants, nous condamnons la plupart d’entre eux à l’incapacité d’apprendre.
Remporter la bataille de la qualité des apprentissages dès les premières années permettrait de revaloriser la filière TVET. Elle ne serait plus perçue comme un choix par défaut, mais telle une voie d’excellence, essentielle au développement du pays. Quitte à diversifier nos organismes d’évaluation sommative entre Cambridge, l’UOM et l’UTM et, pour ceux qui le souhaiteraient et démontreraient un niveau d’anglais suffisant, la City & Guilds.
Je dois saluer, pour finir, l’initiative du ministre de rencontrer et d’écouter des collégiens. Une rencontre qu’il dit avoir trouvé éclairante à bien des égards. Le ministre est charismatique dans ses interventions. Il ne fait pas de doute qu’il veut réussir le pari de transformer notre système éducatif. J’espère que ses techniciens les plus proches se laissent inspirer par lui et acceptent de prendre les décisions courageuses nécessaires.

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