
Psychologue clinicienne et COO de Konekte, le Dr Émilie Rivet se consacre depuis plus de 20 ans à la prévention du suicide. Elle souligne l’importance d’identifier les facteurs de risque, de repérer les signes d’alerte et d’offrir écoute, dialogue et soutien aux adolescents.
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Vous venez d’organiser une conférence sur les comportements suicidaires à l’adolescence. Quel bilan tirez-vous de cet événement ?
J’ai eu la joie de pouvoir partager, avec simplicité et humilité, le travail que je mène depuis plus de 20 ans dans le domaine de la psychologie, en particulier sur la question du suicide. Plus de 180 participants – éducateurs, psychologues, parents, travailleurs sociaux, journalistes et citoyens engagés – ont pris part à cette conférence. À travers dix messages clés, nous avons exploré ensemble ce sujet complexe afin de mieux sensibiliser, informer et agir collectivement face au suicide.
Les jeunes ne verbalisent pas nécessairement leurs pensées ni leurs intentions suicidaires. Certains signes psychologiques doivent alerter»
Quels messages clés souhaitiez-vous transmettre aux parents, éducateurs et professionnels présents ?
Il y a plusieurs aspects importants dans cette problématique, parmi les messages clés qui me semblent importants et qui ont été abordés lors de cette conférence sont :
1. Parler de suicide : Osons le faire
Briser le silence ouvre la voie à la prévention.
2. Le suicide : un enjeu de santé publique majeur
Le suicide est la troisième cause de mortalité chez les jeunes de 15-24 ans.
3. La mort par suicide : l’expression d’une souffrance insupportable
Une personne qui se donne la mort par suicide ne veut pas mourir, mais arrêter de souffrir.
4. Une tentative de suicide : un acte grave à prendre au sérieux
Elle constitue toujours un signal d’alarme qui nécessite écoute et accompagnement, au minimum une année de suivi pour réduire le risque de récidive.
5. Le suicide est multifactoriel
Il ne peut jamais être réduit à une seule cause : plusieurs facteurs, individuels, familiaux, sociaux, sociétaux, scolaires/professionnels interagissent.
6. Les signes d’alerte : apprenons à les détecter
Repérer ces signaux peut permettre de prévenir et d’intervenir face aux comportements suicidaires.
7. Les facteurs protecteurs : cultivons-les
Des relations sécurisantes et aimantes avec les parents, le soutien social, des habiletés psychosociales développées sont autant de remparts précieux face au suicide.
8. Les facteurs pouvant déclencher une crise suicidaire
Une rupture amoureuse, la mort brutale d’un proche, un échec scolaire sont certains des facteurs pouvant enclencher une crise suicidaire.
9. Face à un risque suicidaire : mobilisons les ressources
Professionnels de la santé, psychologues, travailleurs sociaux, éducateurs, familles, proches et communautés ont tous un rôle à jouer.
10. La prévention du suicide : nourrissons nos relations
La qualité des liens humains est une force essentielle pour prévenir la détresse et redonner goût à la vie.
La mort par suicide chez les jeunes est-il lié à une seule cause ?
La mort par suicide résulte toujours de l’interaction complexe de plusieurs facteurs, comme le mettent en évidence les études scientifiques. Les principaux facteurs de risque identifiés chez les jeunes sont :
Facteurs individuels
- Période d’adolescence, période vulnérable, qui correspond à la deuxième grande période de maturation du cerveau.
- Trouble de santé mentale (dans 90 % des cas) notamment la dépression majeure
- Comportements / antécédents suicidaires précoces
- Plan suicidaire clairement défini incluant où, comment et quand.
- Usage addictif et compulsif des appareils – réseaux sociaux, portables, jeux vidéo.
Facteurs familiaux
- Mort par suicide dans les générations précédentes, non-mise en mots
- Lien d’attachement insécurisant/fragile, parent enfant
- Violences au sein de la famille/violence conjugale.
- Addictions ou trouble de santé mentale des parents.
Facteurs sociaux
- Isolement
- Sentiment d’exclusion
- Facteurs scolaires
- Être/avoir été victime d’intimidation scolaire/cyberharcèlement
- Mort par suicide ou tentatives de suicide.
Quels signes devraient alerter les proches qu’un jeune est en détresse psychologique ?
Les jeunes ne verbalisent pas nécessairement leurs pensées ni leurs intentions suicidaires. Certains signes psychologiques doivent alerter : désespoir, irritabilité, perte d’intérêt, culpabilité excessive, colère, angoisses, haine envers soi. À cela peuvent s’ajouter des signes comportementaux : troubles du sommeil, fatigue persistante, isolement, perte/manque d’énergie, conduites agressives. Et des signes cognitifs : des difficultés de concentration ou de mémoire.
Tous ces signes peuvent trahir une souffrance profonde. Considérés dans leur ensemble, ces signes doivent alerter et inciter à la vigilance.
Évoquer le suicide n’incite pas à passer à l’acte : cela manifeste au contraire une ouverture et une écoute sur ce sujet tabou et délicat»
Que recommanderiez-vous aux parents, proches, et enseignants pour soutenir un jeune en difficulté ?
Quand un jeune montre des signes de mal-être, il est crucial d’oser poser des questions claires et directes sur les pensées suicidaires. Contrairement à une idée répandue, évoquer le suicide n’incite pas à passer à l’acte : cela manifeste au contraire une ouverture et une écoute sur ce sujet tabou et délicat. Le fait de pouvoir parler contribue à réduire le sentiment d’isolement.
Exemple : « Parfois, quand on se sent très triste, en colère, découragé ou désespéré on peut avoir des pensées de se donner la mort. Est-ce que cela t’arrive ? Si oui, à quelle fréquence ? As-tu déjà pensé à quand, comment et où tu pourrais le faire ? »
Ces questions directes, posées avec empathie et authenticité, permettent de savoir ce que le jeune vit, ressent, et d’évaluer le niveau de risque suicidaire. Selon les réponses, il devient alors possible de chercher ensemble des solutions et de mettre en place l’aide nécessaire pour le soutenir et le protéger.
Enfin, quel message aimeriez-vous adresser au grand public à l’occasion du mois de prévention du suicide ?
J’aime beaucoup cette citation de Maya Angelou : « Vous faites de votre mieux jusqu’à ce que vous compreniez mieux. Et lorsque vous comprenez mieux… vous agissez mieux. » Ces mots nous rappellent que nous sommes toutes et tous en chemin.
Qu’il est essentiel de continuer à nous informer, à revisiter certaines de nos croyances, à déconstruire nos idées reçues, et à sensibiliser les personnes autour de nous. Parce que chaque mot, chaque geste, chaque parole, peut faire une différence.

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