La gestion économique du pays se doit d’être transparente. Toute décision majeure ne peut être prise sans études approfondies cernant le pour et le contre. Dans cet entretien réalisé le mercredi 5 juin 2019, notre interlocuteur explique qu’avec l’évolution de l’économie, les décideurs publics sont appelés à avoir un regard neuf et un esprit innovant. Il y a urgence à rectifier des anomalies qui ont pris racine dans le système local.
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La présentation du Budget est un exercice qui tient la population en haleine à Maurice. À l’étranger, l’intérêt est moindre. Qu’est-ce qui explique cette différence ?
Dans beaucoup de pays le Budget de l’État équivaut à une simple allocation de ressources. Les gens n’y prêtent pas grande attention. À Maurice, l’exercice a évolué. Sous sir Veerasamy Ringadoo en tant que ministre des Finances, c’était un monde tourné vers soi. Quelles nouvelles taxes seront introduites ? Avec Vishnu Lutchmeenaraidoo dans les années 80, les budgets ont été novateurs, surtout par rapport à la politique fiscale.
On pourrait définir le Budget par le biais de quatre fonctions et obligations distinctes. D’abord, on est tenu d’avoir un Budget avant la fin de l’année financière. Au cas contraire, les dépenses de l’État ne peuvent avoir lieu. Ensuite, c’est un exercice de comptabilité, les revenus versus les dépenses, les montants accordés pour les dépenses récurrentes et le développement.
À défaut de profits ou de pertes, on parle de surplus et de déficit. Le Budget est un instrument politique qui transcrit sous forme de mesures ces idées contenues dans un manifeste électoral, cette vision d’un gouvernement pour une société meilleure. En dernier lieu, un Budget est un instrument de développement, avec ses contraintes, ses opportunités et ses capacités disponibles. À Maurice, le Budget comme instrument de développement a joué un rôle déterminant dans l’accélération de la croissance et l’émancipation sociale.
Pourquoi devrait-on verser la pension universelle à un employé qui vient d’avoir 60 ans s’il perçoit déjà ses salaires et qu’il ne prendra sa retraite qu’à 65 ans ? C’est irrationnel, voire injuste. Cela contribue à élargir le fossé entre les riches et les démunis.»
En tant qu’ancien grand commis de l’État, anticipez-vous un Budget de continuité ou un exercice populiste en marge des élections générales, en tenant compte des contraintes, des opportunités et des capacités ?
Les deux. D’une part, nous avons les dépenses récurrentes telles que les salaires et des engagements pour les pensions et l’éducation, par exemple. Des projets sont déjà en cours. Vu sous cet angle, c’est un Budget de continuité. D’autre part, avec les élections générales, on devrait s’attendre à des mesures populistes, mais pas beaucoup. Parce qu’on a une dette publique qui est supérieure à 64 % du Produit intérieur brut (PIB). Nous ne pouvons pas défier les normes économiques et les pressions internationales en voulant être populistes.
La différence entre les recettes de l’État et les dépenses résulterait en un déficit budgétaire de Rs 16,3 milliards en 2018-19, soit 3,2 % du PIB. Ce chiffre reflète-t-il la réalité des finances de l’État ?
Pour communiquer la réalité, il faut jouer la carte de la transparence. Prenons l’exemple du Metro Express, un bon projet de grande envergure si nous œuvrons pour la modernisation des infrastructures. Le pays a contracté une dette auprès de l’Inde. Cette dette est passée à travers des entités spécifiques au lieu d’être incluse dans les comptes de l’État. On a réajusté après. Au ministère des Finances, des hauts cadres ont dû voir cela venir mais ils ne l’ont pas communiqué. Nous avions eu un cas similaire avec les recettes générées par la vente de 40 % de Mauritius Telecom à France Telecom.
Je pense que le déficit est plus élevé. Parfois j’ai l’impression qu’on est en train de leurrer la population en créant des fonds spécifiques. C’est une pratique qu’ont dénoncée le Fonds monétaire international et la Banque mondiale car ils servent de paravents aux dépenses et aux exercices contentieux.
Qu’auriez-vous fait ?
J’aurais pris les données disponibles pour expliquer que nous sommes confrontés à des contraintes et que nous devons corriger des anomalies pour qu’il y ait une politique équitable de justice sociale et que nous soyons réalistes et humanistes envers ceux au bas de l’échelle. Pourquoi devrait-on verser la pension universelle à un employé qui vient d’avoir 60 ans s’il perçoit déjà ses salaires et qu’il ne prendra sa retraite qu’à 65 ans ? C’est irrationnel, voire injuste. Cela contribue à élargir le fossé entre les riches et les plus démunis.
Le vieillissement de la population serait le défi principal à relever pour les gouvernements à venir. Comment devrions-nous désamorcer la bombe ?
Avec une population vieillissante, ceux en âge de travailler devront travailler plus dur afin de répondre aux défis socio-économiques. Les prélèvements fiscaux seront plus conséquents afin de financer les services requis par la population. Cependant, on pourrait inciter les jeunes couples à avoir plus d’enfants en augmentant les allocations, en offrant davantage de congés aux parents et en faisant en sorte qu’ils disposent d’avantages tels que la flexibilité de travailler de la maison.
Une seconde solution serait de booster l’émigration car la demande en main-d’œuvre oscille entre 3 000 et 5 000 travailleurs chaque année. Dans l’équation on se poserait des questions sur le déséquilibre ethnique. Une façon de procéder serait d’avoir comme sources à 75 % les pays du peuplement de Maurice et aucune restriction sur les 25 % restants. Ce faisant, on contribuerait à la création de la richesse. On pourrait aussi étudier une extension optionnelle de l’âge de la retraite dans des cas spécifiques dans la fourchette de 65 à 68 ans. Ces réformes permettraient d’économiser plus d’une douzaine de milliards de roupies.
Nous ne pouvons pas nous permettre de déformer le régime fiscal. Corrigeons les anomalies. Revoyons la politique fiscale. Revoyons dans un contexte moderne des réussites du passé afin que tout le monde soit sur un pied d’égalité.»
À défaut de cette stratégie, ne serait-il pas moins compliqué d’augmenter la taxe à Maurice ?
Nous ne pouvons pas nous permettre de déformer le régime fiscal. Corrigeons les anomalies. Revoyons la politique fiscale. Revoyons dans un contexte moderne des réussites du passé qui demandent à être revues afin que tout le monde soit sur un pied d’égalité. On pourrait remplacer le tarif douanier sur les voitures hors taxes dont jouit une section de la population par la hausse de la Taxe sur la valeur ajoutée, qui est variable dépendant de la nécessité pour les produits tout en protégeant l’environnement et la santé publique de l’air polluant.
Au lieu d’accorder des subsides pour réduire le prix du gaz ménager, ce serait mieux de le laisser à un coût qui reflète la réalité du marché et que ceux en difficulté aient davantage d’allocations sociales. Idem pour la pension. Mais tout doit se faire dans la transparence, sans que des personnes imposent leur pouvoir décisionnaire. Chaque mesure doit être évaluée selon des critères spécifiques.
Dans le Budget 2018-19, mention est faite des aides étrangères de Rs 8,9 milliards. Avons-nous toujours besoin de ces soutiens ?
Dans le passé, les aides financières pour le Budget étaient la norme. Auparavant, nous avons eu des allocations de l’Union européenne dans le sillage de la réforme de l’industrie sucrière. L’Inde, dans un passé récent, nous a accordé des aides après la révision du traité de non-double imposition fiscale. Mais l’économie mauricienne est arrivée à un stade de son développement où elle n’a aucune raison de dépendre de ces subsides. Le pays dispose des moyens pour créer de la richesse. Donc pourquoi devons-nous tendre la main aux pays amis ? Nous avons le devoir d’innover. Il suffit d’y penser. La dignité, la fierté et la confiance d’innover transcendent la pratique de dépendre d’autrui pour sa survie.
Une révision de notre politique énergétique tournée vers les recouvrables, surtout les fermes flottantes océaniques, pourraient déboucher vers une économie d’hydrogène, créant un nouveau créneau et renforçant notre base d’exportation de cellules énergétiques ou l’extraction de lithium de la mer à travers la dialyse. Cela apporterait un nouvel essor en propulsant la croissance et cela ouvrirait une nouvelle ère technologique avec des salaires comparables à ceux des pays industrialisés.
Un ministère du Plan aurait-il été bénéfique ?
Si le gouvernement avait maintenu un ministère du Plan, la recherche, la compilation et les analyses d’idées et de stratégies nouvelles n’auraient pas posé problème. Qui plus est, la notion même de la gestion publique est différente. Aujourd’hui, c’est la quête du pouvoir. Les prises de décision sont centralisées. Le pays a développé un modèle de Premier ministre présidentiel. Cet ensemble explique pourquoi nous avons eu une croissance avoisinant les 3,5 % au cours de la décennie écoulée contre une moyenne plus élevée auparavant. À l’époque de sir Anerood Jugnauth, ses ministres ont joui d’une liberté dans la gestion et l’élaboration des stratégies sans qu’il y ait une intervention et une mainmise.
Pourquoi tant de critiques envers l’administration centrale du jour ? Qu’est-ce qui a changé dans le concret ?
Au sein du présent gouvernement, des conseillers disent être des économistes et experts en finances. Désormais, il n’existe aucune modestie. Maintenant la gestion économique est incohérente. Cela se reflète dans les finances publiques. À l’opposé, dans les années 80 et au début des années 90, toute décision était prise de manière scientifique, à coups d’études, surtout quand il s’agissait de projets pluridisciplinaires.
Portrait-minute
Une riche carrière dans la finance
Détenteur d’un doctorat en économie de développement, Ashok Kumar P. Aubeeluck est chargé de cours en Australie et au Canada. Ce chercheur, écrivain et biographe, compte une riche carrière dans la fonction publique, ayant occupé le poste de directeur du Budget au ministère des Finances. Il a tour à tour été consultant financier auprès de la State Investment Corporation, Head of Research à la Banque de Maurice et conseiller principal au ministère de l’Économie océanique. Après avoir bouclé la biographie de sir Anerood Jugnauth – dont la sortie est prévue dans une dizaine de jours – il s’est attelé à l’écriture d’un nouvel ouvrage qui devrait s’intituler The Urgency of Now et qu’il compte lancer avant fin 2019.
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