À près d’un mois de sa première année au pouvoir, le gouvernement est à la traîne sur son programme. Dev Chamroo, Senior Consultant à CITC- Investment & Trade Consultants, passe en revue les enjeux et défis majeurs auxquels Maurice est confronté et se pose la question suivante : « Avons-nous une politique en faveur d’une jeunesse compétitive ? ».
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Après presqu’une année de ce gouvernement au pouvoir, quel constat faites-vous de son action par rapport à ses promesses ?
Ne soyons pas dupes. Nous savons tous que les élections sont gagnées en faisant des promesses généreuses, les unes plus farfelues que les autres. L’Alliance du Changement a été à la hauteur des promesses électorales de l’Alliance du peuple et a souvent surpassé celles-ci. Les promesses faites étaient très temporelles et ne devraient pas être interprétées comme le programme du gouvernement. C’est triste, mais c’est une réalité.
Je crois que les actions du gouvernement et par ricochet, ses succès ou échecs doivent être vus, mesurés et évalués sur la base du programme gouvernemental 2025-2029 « Un pont vers l’avenir » qui énonce la feuille de route du gouvernement.
La première observation est que le gouvernement risque d’être à la traine sur ses programmes et tout indique qu’il sera très difficile d’atteindre les résultats souhaités.
Nous sommes très loin du système fondé sur la méritocratie et l’égalité, pratiqué par Singapour et d’autres gouvernements qui valorisent la bonne gouvernance, la transparence, la responsabilité et l’équité.»
Un certain nombre de démissions forcées de personnes apparentées à des ministres est survenu. Ce qui a fait dire aux Mauriciens que le pouvoir n’a fait que changer de mains mais que le système n’aurait guère changé en termes de copinages politiques ou de liens parentaux. Cette réflexion est-elle fondée ?
Malheureusement, l’île Maurice poursuit un système de gouvernance connu sous le nom de « système de dépouille », où les nominations politiques sont accordées aux partisans du parti gagnant. En fait, il s’agit d’une attente légitime d’agent(e)s des politiques pour soutenir un parti. Il n’y a pas de mal à cela si la compétence et la responsabilité restent les critères principaux pour les postes clés. C’est sûr qu’on ne manque pas de compétences à l’île Maurice. La responsabilité c’est un autre débat.
Cependant, nous sommes très loin du système fondé sur la méritocratie et l’égalité, pratiqué par Singapour et d’autres gouvernements qui valorisent la bonne gouvernance, la transparence, la responsabilité et l’équité.
Comme c’est le cas en France, la problématique liée à la pension universelle est un enjeu central. À Maurice, la réforme des retraites est très mal ‘encaissée’. Fallait-il réformer notre système de pension compte tenu du vieillissement de notre population ?
Soyons très clair, il n’est pas question de la réforme des retraites mais de la pension de vieillesse, dite pension universelle à 60 ans. L’âge de retraite à l’île Maurice est déjà fixée à 65 ans. Il est à 70 ans au Danemark, 67 ans en Angleterre, l’Allemagne et l’Italie, et 62 ans en France.
Plusieurs pays travaillent à relever l’âge de la retraite. La principale raison étant d’assurer la viabilité des systèmes de pension.
La dichotomie se pose lorsque les personnes engagées dans des emplois actifs après l’âge de 60 ans gagnent à la fois la pension de vieillesse, pension de retraite et un salaire. C’est sans précédent, très injuste et pas tenable à long terme.
Le système de pension a certainement besoin d’une réforme urgente. Cependant, de tels problèmes nécessitent une planification méticuleuse, une meilleure communication et une exécution efficace.
Le principal problème à Maurice est l’absence de consultations préalables et l’apparition soudaine de cette décision de réformer notre système de pension dans le programme du gouvernement.
Les promesses de l’Alliance du Changement étaient très temporelles et ne devraient pas être interprétées comme le programme du gouvernement. C’est triste, mais c’est une réalité.»
Ce gouvernement est-il en train de parvenir à créer des conditions en vue de mettre en place un écosystème qui permettrait le retour des investisseurs étrangers ?
Le gouvernement a promis un nouvel ordre économique fondé sur une stratégie de croissance axée sur l’investissement et la productivité. Les principaux tenants de la stratégie sont définis dans le programme du gouvernement 2025-2029.
Malheureusement, nous ne voyons pas beaucoup de mouvement, hormis des actions plutôt décrites comme des réactions à des situations urgences, sauf dans le secteur du tourisme.
Nous devons être très conscients de la concurrence des pays pairs pour attirer et retenir des investissements de qualité, à travers des investissements durables.
Nous devons impérativement améliorer la compétitivité de notre économie et l’environnement des affaires pour mobiliser des investissements de qualité dans les secteurs prioritaires. Il est important de noter qu’en 2024, l’île Maurice a perdu, pour la première fois, sa première position dans le domaine de l’environnement des affaires, au profit du Rwanda, du Botswana et du Togo. Il est temps de se ressaisir afin de retrouver notre pole position de l’économie la plus réformatrice d’Afrique et parmi les meilleures au monde.
En dépit de l’alternance survenue en novembre 2024, de nombreux jeunes et moins jeunes ne sont toujours pas convaincus qu’il y a un ‘avenir’ pour eux à Maurice. Comment inverser cette tendance afin de les retenir ?
Soyons réalistes, nous vivons dans un monde qui se mondialise rapidement et notre jeunesse est une composante intégrale de la citoyenneté mondiale. Elle est dans la poursuite de l’excellence, que ce soit à l’île Maurice et ailleurs. Quitter le pays n’est pas une fatalité en soi. L’île Maurice se classe au 5e rang mondial et au 1er rang africain en matière de fuite des cerveaux. Ça c’est alarmant, car nous perdons nos talents et par ricochet notre compétitivité. Il est impératif de préserver nos talents.
En plus, nous devons tirer profit de notre capital diasporique, y compris les deuxième et troisième générations.
Les vraies questions sont :
1. Avons-nous une politique en faveur d’une jeunesse compétitive ?
2. L’île Maurice crée-t-elle les conditions pour que les jeunes travaillent et vivent dans le pays ? Y a-t-il :
- des opportunités d’emploi en adéquation avec leurs aspirations
- une qualité de vie, sociale, récréative, sportive et des divertissements
- un accès à des opportunités basées sur le mérite et l’équité
- un accès au droit à l’information
- une transparence et une responsabilité des décideurs ?
Notre diplomatie concernant l’Afrique est obsolète et faible. Nous avons loupé l’Afrique de l’Ouest complètement.»
En dépit du nombre dit ‘record’ de touristes à Maurice en 2025, les dépenses de ces derniers sont en dessous des attentes. Comment expliquer que les touristes dépensent moins désormais durant leur séjour à Maurice ?
L’industrie du tourisme a retrouvé ses niveaux d’avant la pandémie et la plupart des destinations ont accueilli plus de touristes internationaux en 2024. L’île Maurice a accueilli 1 382 177 touristes en 2024, représentant une croissance de 6,7 % sur 2023. Les revenus bruts du tourisme en 2024 ont été de Rs 93,574 milliards, soit une augmentation de 8,8 % par rapport à 2023. L’Afrique a été l’un des principaux bénéficiaires avec des arrivées touristiques en augmentation de 12 % par rapport à 2023. La croissance devrait se poursuivre en 2025. Cependant, la concurrence pour attirer les touristes est devenue plus féroce avec de nouvelles offres et des nouvelles destinations. D’autre part, en raison de l’augmentation des coûts de la vie, les touristes dépensent moins pendant leurs vacances, hormis les billets d’avion et l’hébergement.
Ce qui ouvre des opportunités pour des produits innovants pour les loisirs, le divertissement, le sport, l’environnement et les industries créatives pour stimuler les dépenses à Maurice.
La question des remboursements des soutiens accordés aux grands conglomérats patrimoniaux par la MIC durant la covid-19 revient sur le tapis. Est-ce que ces conglomérats devraient commencer à rembourser ces prêts ?
Dans tout pays en état de droit, il est impératif que tout prêt doit être remboursé selon les conditions générales du prêt.
Il semblerait que la plupart des bénéficiaires de MIC ont commencé à rembourser leurs prêts, avec quelques exceptions. Nous ne devons pas pénaliser les créateurs d’emplois et de richesses. Notre secteur privé reste le moteur de la croissance et doit être mobilisé davantage.
Cependant, il est temps de :
- d’identifier les fraudeurs, de les traduire en justice le plus rapidement possible et de les punir de manière exemplaire
- de faire appliquer les conditions des prêts à chaque bénéficiaire
- de prendre des mesures correctives dans les limites de notre système juridique
- de revoir notre cadre juridique et réglementaire sur la transparence et la responsabilité.
Il est temps de concrétiser le changement.
La menace d’une rupture dans la fourniture d’électricité a conduit certains spécialistes environnementaux à réclamer que l’État cesse de dépendre pour moitié des IPP pour notre électricité et de mettre plutôt l’accent sur la production des énergies alternatives dites propres. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes loin d’avoir assuré notre sécurité énergétique. Le spectre délestage et des pannes de courant à Maurice sont bien réels et celui des blackouts n’est pas loin. C’est le résultat d’une mauvaise supervision et prévoyance et d’un manque de surveillance, et surtout d’une mauvaise planification. En fait, nous avons planifié notre échec. La dépendance excessive sur quelques IPP du secteur privé, le manque d’investissements et l’absence de démocratisation des secteurs de l’énergie sont à blâmer pour notre situation actuelle.
Maurice ne sera pas en mesure de respecter ses engagements envers les ODD visant à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique jusqu’à 40 % d’ici 2030. Il est urgent d’agir rapidement avec des solutions en matière d’efficacité énergétique, de diversifier notre mix énergétique avec les énergies renouvelables et de démocratiser l’accès au secteur de l’énergie pour sécuriser notre sécurité énergétique à moyen et long terme.
Il est également temps de revoir le cadre juridique, réglementaire et institutionnel pour le transport, la distribution, la vente d’électricité et la production (dans une certaine mesure) qui sont actuellement effectués par le CEB, qui est elle-même une entité en difficulté financière. Nous avons besoin d’une autorité de régulation indépendante pour superviser le secteur de l’énergie ainsi que l’introduction de la concurrence pour le CEB.
Le système de pension a certainement besoin d’une réforme urgente. Cependant, de tels problèmes nécessitent une planification méticuleuse, une meilleure communication et une exécution efficace.»
L’étroitesse de notre marché, le phénomène de mimétisme et surtout l’importation de produits de Chine essentiellement sont de réels obstacles au développement des PME. Comment faut-il répondre à ces enjeux ?
Nous assistons effectivement à des changements majeurs de politique en Afrique et ailleurs sur la libéralisation du commerce, avec davantage de stratégies introverties et une montée du protectionnisme, des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires. De plus en plus de pays invoquent la protection des industries naissantes et l’introduction de dispositions relatives au contenu local à la fois dans le commerce et les investissements. Il s’agit d’une récusation majeure et d’une perte de l’acquis de la libéralisation du commerce.
Je crois que les PME ont plus besoin de renforcement de leurs capacités et efficacité, de leur productivité et compétitivité, et de l’autonomisation plutôt que de protectionnisme. Il est temps de repenser notre stratégie pour les PME en termes de compétitivité plutôt que de protectionnisme.
Maurice – et les voyages du PM en attestent –, recherche des partenariats étrangers, dont l’Inde, afin d’aider à la mise sur pied de nouveaux piliers. Quelles seraient les contreparties de tels éventuels partenariats ?
Maurice n’a pas la compétence d’optimiser efficacement les avantages des secteurs nouveaux et émergents tout seul. Nous avons toujours compté sur des partenariats étrangers pour le développement de nos secteurs économiques comme le textile, le tourisme, le TIC, le port franc, les services financiers, la santé et le bien-être, l’éducation et la formation et même dans l’immobilier.
Les nouveaux secteurs qui ont été identifiés sont très complexes et à forte intensité de cerveau, de technologie et de capital. Ces secteurs sont l’économie océanique, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, l’agriculture intelligente, la numérisation et l’IA, les services financiers (cryptomonnaie, fintech et blockchain dont Maurice a besoin), la 4e & 5e révolution industrielle (robotique, impression 3D, automatisation, innovation, entre autres).
Il est impératif de développer des partenariats étroits avec des pays comme l’Estonie et l’Inde pour la numérisation, les Pays-Bas pour l’agriculture, les pays nordiques sur les énergies renouvelables, l’Allemagne et la France sur l’économie circulaire, le Taïwan sur l’économie bleue, l’Afrique du Sud sur le développement immobilier.
Les partenariats d’État à État devraient toujours être des win-win et à des fins de développement, et surtout pas pour un soutien budgétaire.
La visite du Premier ministre pose les bases de la coopération et du partenariat entre les pays. Ce n’est ni une nouveauté ni une exception. C’est de la diplomatie économique.
Que faut-il comme conditions pour que des partenariats win-win et durables s’établissent entre Maurice et les pays africains avec lesquels nous avons des accords de non-double imposition ou les blocs économiques régionaux ? Est-ce que le gouvernement mauricien investit suffisamment et concrètement dans la consolidation des relations d’affaires avec ces pays ?
Maurice n’optimise pas son appartenance à l’Afrique. Nous avons une identité mixte et diversifiée - asiatique, ou européenne, mais rarement africaine. Maurice fait partie de l’Afrique grâce à son adhésion à la zone de libre-échange continentale africaine, au Common Market for Eastern and Southern Africa, à la Southern African Development Community,à la East African Community, à la commission de l’océan Indien et à l’Indian Ocean Rim. Cependant, nos niveaux de commerce, d’investissements et de tourisme inter et intra-africains stagnent, à l’exception de nos services financiers, qui gagnent du terrain en Afrique en tant que principale source d’investissements. Notre diplomatie sur l’Afrique est obsolète et faible. Nous avons loupé l’Afrique de l’Ouest complétement. Il nous faut une nouvelle stratégie pour l’Afrique axée sur les dimensions politique, économique, sociale et culturelle panafricaine.
Quelle est votre analyse de l’état de décomposition actuelle de Madagascar, avec désormais l’armée aux rênes, alors que la Grande île a tout pour devenir une puissance économique de la région ?
Ce qui se passe à Madagascar n’est pas singulier. C’est aussi le cas en France et au Népal. C’est une sérieuse mise en garde pour que les gouvernements ne prennent pas leurs peuples pour acquis. La jeunesse et le pouvoir des réseaux sociaux ne doivent pas être sous-estimés. Nous avons eu notre part d’expérience lorsque le gouvernement précédent a interrompu l’accès momentanément à l’Internet. Le résultat est auto-explicatif…
Maintenant, nous devons suivre de près ce qui se passera aux États-Unis, où le populisme gagne lentement du terrain.
Cette question n’est pas sans rapport avec notre dépendance de plus en plus accrue sur la main-d’œuvre étrangère présente dans davantage de postes ? Faut-il s’en inquiéter et pouvons-nous nous passer d’une telle main-d’œuvre ?
Comme je l’ai indiqué précédemment, nous vivons dans un monde globalisé où le mouvement des personnes est une caractéristique clé. Les services des expatriés sont inévitables pour que l’île Maurice reste compétitive et même pertinente dans certaines industries ou secteurs. Le succès de nos secteurs du textile, des TIC, de la construction et de la pêche témoigne de notre dépendance aux compétences et professionnels étrangers.
Cependant, nous devons assurer des conditions de vie de qualité pour nos expatriés. Il est inhumain de maltraiter les travailleurs qui construisent notre nation. Il s’agit donc d’identifier les brebis galeuses du système - les agents/intermédiaires, les employeurs et les traduire en justice. L’île Maurice est un petit pays, nous pouvons résoudre ce problème dans les plus brefs délais. Nous avons une réputation d’être « un paradis » et nous ne pouvons pas avoir de mauvais traitements de gens au paradis.
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