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Démocratie : les raisons de l’érosion de la confiance

Parlement Ce qui se passe au Parlement fait honte, selon Faisal Jeerooburkhan.

Les Mauriciens font bien moins confiance aux institutions par rapport à 2014, selon le denier sondage Afrobarometer. Le plus inquiétant, c’est que même les cours de justice et la Commission électorale perdent en crédibilité aux yeux de la population mauricienne.

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Alors que le pays s’apprête à célébrer ses 50 ans d’indépendance, les résultats d’un sondage soulèvent la question de la fracture entre la population et les institutions censées représenter la démocratie ou s’en porter garantes. Il s’agit des premières conclusions du sondage d’Afrobarometer, réalisé par StraConsult d’Amédée Darga. Les chiffres sont saisissants : la confiance accordée à la classe politique a grosso modo diminué de moitié entre le sondage réalisé en 2014 et le dernier qui a été effectué en novembre 2017. Mais le plus inquiétant est, sans doute, la perte de crédibilité dans ces institutions indépendantes de la politique qui jouent un rôle-clé dans une démocratie. La confiance dans les cours de justice, communément qualifiées de « dernier rempart » est passée de 72 % à 51 %, alors que celle dans la Commission électorale chute de 67 % à 45 %.

Petits copains

Pour Faisal Jeerooburkhan, de Think Mauritius, il s’agit d’un phénomène général de perte de confiance qui affecte toutes les institutions, y compris la classe politique. « Cela ne m’étonne pas du tout que les Mauriciens perdent à ce point confiance dans les institutions. Il faut que le gouvernement fasse quelque chose pour mettre un frein à cela. La politique de placer ses petits copains à tous les postes clés doit cesser. La politique politicaille ne peut fourrer son nez partout », observe ce dernier. C'est ce qui explique, pour le pédagogue, la perception qu’aucune institution du pays n’est véritablement indépendante.

Ce qui a pu accentuer la désillusion, selon Faisal Jeerooburkhan, est qu’il y a eu un réel espoir de changement après le raz-de-marée de décembre 2014 avec un gouvernement qui promettait d’en finir avec le népotisme. « Bien sûr, on se rend compte aujourd’hui que l’actuel gouvernement a fait pire mais ensuite, il faut prendre en considération le fait, qu’aujourd’hui, le public est bien mieux informé et plus averti des problèmes de société et des scandales qui éclatent. Ce qui se passe au Parlement fait honte à tous les Mauriciens par
exemple », estime Faisal Jeerooburkhan

La désillusion, un glissement vers un népotisme encore plus flagrant et une population mieux avertie : autant d'éléments qui se regroupent pour donner un cocktail nocif à la crédibilité des institutions. Et les conséquences pourraient être graves : « Si on commence à perdre confiance même dans le judiciaire, c’est toute la démocratie mauricienne qui est secouée. »


L'impact de la retransmission en direct

Si la confiance faite au Parlement a diminué de moitié, passant de 54 % à 29 % en trois ans, la raison est attribuable à la retransmission en direct des travaux parlementaires. Tel est l'avis des observateurs approchés par Le Défi Plus. Les travaux parlementaires ont effectivement pris l’aspect d’une telenovela, avec les bagarres, les invectives et l’indiscipline dont toute la nation peut témoigner en direct.

« Je crois que la retransmission des travaux en direct a eu un effet sur le 'mood' général du public par rapport au Parlement », confie l’ancien Speaker, Ajay Daby. Ce dernier va même jusqu’à prédire que la confiance de la population dans le Parlement continuera à chuter et qu’il faudra du temps avant que les gens ne soient habitués au niveau des travaux de l’Assemblée nationale. « Ces coups d’éclat sont en train de pousser le Parlement vers sa chute. C’est dangereux », prévient-il.

Ce dernier trouve toutefois un certain réconfort dans le fait que le Parlement continue malgré tout à fonctionner.

« C’est la réputation qui prend un coup, pas le fonctionnement », estime l’avocat. Pour redresser la barre, deux solutions s'imposent, selon lui : « D'une part, les politiciens doivent revoir leur comportement et, d’autre part, le public doit comprendre que notre démocratie est compétitive et qu'il y aura toujours des conflits et des bagarres. » Les leaders politiques devront, à l’avenir, porter une plus grande attention à la qualité des candidats qu’ils proposent.

Un autre ancien Speaker, qui a requis l’anonymat, estime aussi que la retransmission en direct des travaux parlementaires a eu une incidence sur la perception des Mauriciens, mais il propose une interprétation différente concernant les solutions. Il explique : « Maintenant, les gens voient ce qu’est le Parlement. Ils ne s’attendaient pas à ce que ce soit d’un niveau aussi bas. Il ne s’agit plus seulement de la qualité des débats, mais tout simplement de la capacité de bien se comporter. » Le Parlement étant le « temple de la démocratie », il est naturel que le public s’attende à ce qu’on y travaille avec sérieux.

Blâme

Cet ancien Speaker jette le blâme sur une personne : la speaker Maya Hanoomanjee. « Il y a toujours eu des accrochages au Parlement, mais c’est au Speaker de rétablir l’ordre. On dit avec raison que ce n’est pas l’institution qui fait l’homme, mais que c'est l’homme qui fait l’institution. La Speaker n’arrive pas à se faire respecter et écouter parce qu’elle n’a pas la confiance de l’institution. Il faut avoir le respect des élus pour être écouté. » Notre interlocuteur estime que le plus grand compliment pour un Speaker, c’est de se faire critiquer par les deux côtés de la Chambre.


L’incompréhension autour des cours de justice

Est-ce le temps d'attente pour la fin d'un procès qui fait perdre confiance dans nos cours ?

Si la perte de confiance dans l’Assemblée nationale semble facile à expliquer et relativement compréhensible, la chute de confiance dans les cours de justice, de 72 % à 51 %, semble moins évidente. Même les avocats chevronnés, ayant de longues années d’expérience, ont du mal à expliquer ce phénomène.

Yousuf Mohamed, un Senior Counsel qui compte 57 ans au barreau, a du mal à commenter ces chiffres. « En l’absence de raisons claires, données pour expliquer ces chiffres, ce n’est pas facile de commenter. » Ce dernier s'appuie sur ses longues années de pratique dans presque toutes les cours de justice du pays pour juger que le judiciaire mauricien « marche très bien ». En cas d’erreur de jugements, il y a un mécanisme rôdé pour casser ces jugements.

« Nous avons une Cour d’appel si le magistrat a tort. On peut recourir à la Cour suprême s’il y a eu erreur. Puis il y a encore la possibilité d’appel devant un panel de deux ou trois juges et, là encore, on peut pousser jusqu’au Privy Council si on n’est toujours pas d’accord » explique l’homme de loi

Un autre Senior Counsel, qui n’a pas souhaité être identifié, est aussi d'avis qu’il est compliqué d’analyser ces chiffres sans plus de détails, mais se hasarde tout de même à faire le lien avec certaines affaires hautement politisées de ces dernières années. Selon cet homme de loi, de nombreuses affaires référées en cour ces dernières années avaient un lien avec la politique. « D’abord, celle de Jugnauth en Cour suprême. Ensuite, le fait que le bureau du DPP ait rayé la plupart des charges contre Ramgoolam. » Les sondés ont effectivement pu ne pas faire la différence entre le judiciaire et le bureau du DPP, selon cet avocat d’expérience. 

Une autre explication possible est l'éternel reproche fait aux cours de justice et qui n'a pas vraiment changé au cours de ces trois dernières années: le temps d’attente avant que les procès n'aboutissent. «Peut-être que, dans cette optique, les gens estiment que les choses ne se sont pas améliorées. Puis il y a peut-être une perception que l’attitude de la justice dans les cas qui concernent des policiers, par exemple, n’est pas neutre», ajoute cet avocat.


La commission électorale perplexe

Comment expliquer que la Commission électorale soit passée d’un taux de confiance de 67 % à 45 % ? Alors que l'on pourrait penser que les cafouillages concernant les registres électoraux pour la partielle du no 18 expliquerait cela, il convient de noter que le sondage a été réalisé au mois de novembre, soit avant l'élection. Le fait que les questions posées lors du sondage ne demandent pas aux sondés de donner des raisons pour leur manque de confiance complique davantage les choses.

Irfan Rahman, Commissaire électoral, semble perdu quand il s’agit d’expliquer cet état de choses. « Est-ce les élections qui ne donnent pas satisfaction ou le dépouillement ? On n’a pas assez de renseignements pour savoir vraiment où est le problème, » réagit ce dernier. Il faudrait, selon lui, faire un nouveau sondage approfondi sur le sujet pour trouver le fin mot de l’histoire. Sauf que la Commission électorale n’a ni les ressources humaines, ni les moyens financiers pour réaliser une telle opération.

Et Irfan Rahman de poursuivre: « Il faudrait demander aux gens ce qu’ils nous reprochent. Est-ce qu’on pense que les résultats sont truqués ? Est-ce que les bulletins de vote sont critiqués? Ou encore le comptage ? Je prends note de ce sondage, mais c’est quand même étonnant quand on pense que nous sommes le seul pays d’Afrique qui actualise sa liste électorale tous les ans. Cela reste une énigme. »

Lors de la présentation des résultats de ce sondage, Amédée Darga a rappelé un fait: une bonne partie de l’électorat depuis toujours est convaincue qu’il est possible de retracer les bulletins de vote et de savoir qui a voté pour qui. Un fantasme populaire qui aurait la dent dure, selon lui.

À cela, on pourrait opposer les faits que rappelle Irfan Rahman : «Tous les résultats ont été acceptés par les partis et la population. En 14 élections générales, jamais aucun parti n’a contesté les résultats en cour. Aucun des 40 candidats à la partielle de Quatre-Bornes en décembre n’a critiqué la Commission électorale. »


Les autres indicateurs d’une érosion de la confiance dans la démocratie

Outre la perte de confiance dans les institutions, le sondage Afrobarometer livre d’autres pistes qui indiquent que l’érosion est généralisée. Les données sur les libertés politiques indiquent que les Mauriciens estiment qu’il faut se méfier de ce qu’on dit sur la politique. La liberté d’expression n’irait donc pas de soi pour une grosse majorité des Mauriciens. Le soutien à la démocratie a aussi perdu quelques points, celui aux systèmes non-démocratiques ayant légèrement grimpé. En ce qui concerne la performance des leaders politiques, la présidente de la République est la seule qui arrive à dépasser la barre des 50 % d’approbation.

 

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