
Le récent jugement opposant Merven Frères Limited à SMS Pariaz Ltd rappelle qu’en matière de marques, la loi ne laisse aucune place à l’approximation. Une simple traduction en créole peut suffire à enfreindre la loi.
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Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul décrypte les mécanismes juridiques permettant de se défendre contre la concurrence déloyale à Maurice.
La concurrence est essentielle dans une économie de marché ouverte, mais elle a ses limites, selon Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul. « Dans un marché libre, un certain niveau de concurrence entre entreprises est non seulement permis, mais aussi souhaitable. Cependant, lorsqu’une personne adopte des pratiques abusives ou contraires à l’éthique qui portent préjudice aux intérêts d’une entreprise concurrente, cela peut constituer de la concurrence déloyale », explique-t-elle.
Elle souligne que le Protection against Unfair Practices (Industrial Property Rights) Act, plus connue sous l’acronyme PAUP Act, interdit notamment les actes susceptibles de nuire à la réputation ou à la clientèle d’une entreprise, qu’il s’agisse de l’utilisation d’une marque (enregistrée ou non), d’un nom commercial ou encore de l’apparence d’un produit. Cette loi érige certaines pratiques en infractions pénales.
Mais la concurrence déloyale peut également intervenir dans le contexte d’un contrat de travail, dit l’avocate. « Un salarié est tenu par un devoir de loyauté envers son employeur. Il lui est interdit d’exercer une activité concurrente ou d’exploiter des informations confidentielles obtenues dans le cadre de son emploi », précise l’avocate.
Les exemples de comportements répréhensibles sont nombreux : utilisation d’un logo similaire à celui d’un concurrent, détournement de clientèle, diffusion de fausses informations, exploitation de secrets industriels ou encore confusion volontaire dans l’esprit des consommateurs, ce que l’on appelle communément le « passing off ».
L’action en contrefaçon concerne toute utilisation non autorisée d’une marque enregistrée. « Le titulaire d’une marque dispose d’un droit exclusif sur celle-ci. Il peut interdire à toute autre personne d’utiliser cette marque ou une marque similaire susceptible de créer une confusion, mais aussi empêcher l’importation ou la vente de produits portant cette marque, même si les produits sont authentiques », souligne Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul.
Passing off
Quant au « passing off », il s’agit d’une tentative de tromper les consommateurs en leur faisant croire que les produits d’une entreprise proviennent en réalité d’un concurrent connu. Cela peut se produire à travers l’usage d’un nom proche, d’un logo ou d’un emballage ressemblant à celui d’une marque bien établie. L’avocate précise : « Une action en ‘passing off’ peut viser aussi bien des marques enregistrées que des marques non enregistrées, et constitue une forme de concurrence déloyale. »
La loi mauricienne, à travers l’Industrial Property Act 2019, distingue les marques enregistrées des marques dites « notoires ». La première bénéficie d’une protection juridique complète sur le territoire mauricien, notamment contre l’importation de produits non autorisés. La seconde, même si elle n’est pas enregistrée, peut bénéficier d’une protection si elle est suffisamment connue à Maurice.
Toutefois, prouver qu’une marque est notoire peut s’avérer complexe. « Il est plus facile d’intenter une action pour une marque enregistrée que pour une marque notoire. Dans ce dernier cas, le titulaire devra d’abord démontrer que sa marque est bien connue localement », prévient l’avocate.
Traduction créole
Une traduction en créole peut-elle créer la confusion ? La réponse est oui, selon l’avocate. Elle explique que l’affaire Merven Frères Ltd v SMS Pariaz Ltd en est une parfaite illustration. La société défenderesse utilisait le nom « SMS Badinaz », jugé trop proche de la marque « Badinage Merven », bien connue du public. « La Cour suprême a estimé que les termes ‘Badinaz’ et ‘Badinage’ étaient similaires sur les plans visuel et auditif. Le mot en créole avait la même signification, ce qui a suffi pour conclure à une contrefaçon », fait ressortir Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul.
Quels recours pour les entreprises victimes ?
Lorsqu’une entreprise estime qu’elle est victime de concurrence déloyale, elle peut d’abord adresser une mise en demeure à la partie adverse pour qu’elle cesse toute utilisation abusive. Si cette démarche échoue, une action en justice pour contrefaçon ou « passing off » peut être engagée, conseille Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul.
En cas d’urgence, il est aussi possible de demander une injonction. « L’injonction permet de suspendre immédiatement l’usage contesté, mais elle ne sera accordée que si le préjudice n’est pas réparable par une indemnisation financière. Il faudra fournir des éléments concrets prouvant la confusion et le préjudice à la réputation de l’entreprise », ajoute-t-elle.
Toute demande d’injonction devra par la suite être suivie d’une action principale devant la justice. « Il ne suffit pas d’agir dans l’urgence. Il faut aller jusqu’au bout en introduisant une action pour faire reconnaître la contrefaçon ou le ‘passing off’ », conclut Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul.

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