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Cader Jhummun, la mémoire vivante des rails

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C’est une maison d’un autre temps, témoin insolite entre le passé et le présent. Ses occupants ont vu le dernier train quitter la gare de Rose-Hill et, plus près de nous, la construction du Metro Express. Bye Cader Jhummun, 74 ans, vit toujours dans une de ces unités des Railway Quarters, destinées aux ouvriers du chemin de fer.  En 2022, ces ‘quarters’ fêteront leur centenaire. Un véritable défi au temps. 

Dans une des chambres de cette maison, on peut apercevoir par la fenêtre la ligne du chemin du métro, en hauteur et devant le marché de Rose-Hill, où la jonction se fait avec Quatre-Bornes. Une façade de l’immeuble donne sur ce côté, l’autre sur la rue Remono. Personne ne se doute que ces maisons sont les vestiges d’un autre temps, celui où les trains desservaient l’île de part et d’autre. « Les trains rythmaient la vie quotidienne de Mauriciens, mais aussi la vie économique et sociale. Les commerces se sont construits dans les périmètres de gares », explique Bye Cader, dont le père, natif de Beau-Bassin, était employé à l’entretien des rails. 

Cliché d'époque : à Rose-Hill, les derniers jours du chemin de fer, avec la démolition des rails.
Cliché d'époque : à Rose-Hill, les derniers jours du chemin de fer, avec la démolition des rails.

Carol et Alix

Le cadet d’une fratrie de cinq enfants, sa famille emménage dans cette maison de fonction en 1955 lorsque son père est transféré à Rose-Hill. Dans chacune des deux unités, vivaient trois familles. « Il y avait une seule véranda qui traversait chacune, ce qui permettait de voir et d’entendre les autres locataires. Le loyer était de 50 sous », se souvient Bye Cader.  

Les trains rythmaient la vie quotidienne de Mauriciens, mais aussi leur vie économique et sociale."

C’est après le passage des cyclones Carol et Alix que le gouvernement érigera les séparations dans chacune de ces unités. « Durant ces cyclones, des tôles de la toiture sont parties, mais le mur a tenu parce qu’il est en bêton arme, indique notre interlocuteur. Puis, un partout, on s’est servi de rails et de bois de teck pour consolider les murs. » Partout dans cette maison, on retrouve les traces du ‘vintage’, comme ces crochets et rideaux aux portes et fenêtres. 

En hiver comme en été, les murs conservent des températures chambrées grâce à des arbres, dont un Tecoma et un longanier, qui protègent ses occupants des grandes vagues de chaleur ou encore de la froidure. Comme toutes les maisons construites en ces temps-là, la salle des bains et les W.-C. se trouvent dans la cour. Ce qui n’est pas pour déplaire à Bye Cader, qui y voit une certaine logique sanitaire, même s’il y a des inconvénients durant les pluies ! « Mais on n’y peut rien. Nous ne sommes ni locataires ni propriétaires de la maison, il nous est interdit d’y faire des extensions », précise-t-il.

Je suis vraiment content de prendre le métro, c’est propre, moderne et il ne fait pas de bruit, un peu comme à l’étranger. J’ai encore dans la tête le bruit du train."

‘Grammes grillées’

C’est ici que Bye Cader a passé sa scolarité, puis ses années de collège jusqu’en Form IV. Après les études, il part travailler dans un magasin, s’engage comme travailleur manuel au ministère des Coopératives, avant d’ouvrir un magasin dans l’ex-cinéma Paris, à Belle-Rose. 

En même temps, il décide de lancer un petit commerce de ‘grammes grillées’, pistaches et frites plastifiées. « J’achetais la matière première chez les grossistes à Port-Louis, puis je préparais tout à domicile avant de vendre devant ma porte. J’ai aussi vendu du ‘biryani’ mais c’était devenu trop fatigant », raconte-t-il.

Bye Cader Jhummun et son épouse habitent  des locaux quasi-centenaires.
Bye Cader Jhummun et son épouse habitent 
des locaux quasi-centenaires.

Le trajet à 15 sous

La retraite de son père, reconnaît-il, a permis de faire bouillir la marmite familiale. « Mon père avait un voucher qui permettait de faire voyager deux adultes gratuitement dans le train chaque week-end. Il ne payait que 15 sous pour moi. Grâce à ça, on est parti partout dans Maurice », se souvient-il, avant d’ajouter : « Depuis le début de la construction du tronçon vers Quatre-Bornes, on suit la pose des rails tous les jours. On a fini par tout voir. On a un peu de nostalgie, mais le progrès doit continuer. Je suis vraiment content de prendre le métro, c’est propre, moderne et il ne fait pas de bruit, un peu comme à l’étranger. J’ai encore dans la tête le bruit du train. »

Grippe espagnole

Depuis ces derniers mois, Bye Cader ne confectionne plus de frites, en raison de la moindre qualité des pommes de terre. « Elles proviennent des chambres froides, il n’y a plus de récoltes, il faut attendre », dit-il. 

Avide de culture générale, il se documente sur les épidémies que l’île Maurice a connues et c’est avec une certaine témérité qu’il fait valoir que le nouveau coronavirus n’est rien en comparaison à la grippe espagnole qui avait fait 10 000 décès en 1919. « C’est beaucoup, compte tenu du nombre d’habitants à Maurice en cette année », dit-il. 

Vivre avec son temps

S’il s’estime heureux d’avoir bénéficié de la maison mise à la disposition de sa famille par la compagnie des chemins de fer, il n'en reste pas moins réaliste. « Cette maison a fait son temps, même si elle tient debout, avec tous ses souvenirs. Dans peu de temps, je vais sans doute emménager dans la maison familiale avec mes deux garçons », fait-il ressortir avant de lâcher : « Avec le métro, c’est le commencement d’une autre ère. Même si j’ai la nostalgie du temps passé, il faut vivre avec son temps. »  

 

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