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Brutalité policière : un texte de loi ne suffira pas

Brutalité policière Selon certains observateurs, les délits de faciès relèvent de préjugés et de comportements qu’aucun cadre légal ne saurait changer.

Un simple texte de loi ne suffira pas à mettre un terme aux écarts de conduite des officiers de police. Selon les acteurs interrogés par Le Défi Plus, la mentalité, le bon sens et la personnalité importent davantage.

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La photo de David Gaiqui, nu dans le poste de police de Curepipe, a remis sur le tapis un éternel débat : celui de la violence policière et du caractère dépassé et inadéquat de ses méthodes. Si l'on parle de nouveau de l’importance d’introduire un Police and Criminal Evidence (PACE) Bill pour mieux codifier le comportement des membres de la force policière, la plupart des interlocuteurs approchés par Le Défi Plus estiment qu’un simple texte de loi ne suffira pas à changer la donne. L'apport d'individus qualifiés, ayant la bonne approche et une mentalité différente, est essentiel.

Me Hervé Duval, président du Bar Council, s’en tient essentiellement au communiqué de l’institution qu’il représente quand il s’agit de commenter l’affaire : « Nous avons attiré l’attention sur le fait qu’il n’est pas normal que le 'strip search' devienne une routine. On s’attend à ce que le commissaire de police explique pourquoi lorsqu'il y a une photo comme celle-là qui circule, la priorité est de mettre en avant une infraction aux dispositions de l'ICTA contre un avocat.» Et l’homme de loi de rappeler que le Bar Council a aussi demandé aux avocats de « show restraint » dans leurs commentaires. Quoiqu’il en soit, c’est plus le comportement de la police qui fait l’objet de commentaires au Bar Council.

Lindsay Morvan, ancien du Parti mauricien social démocrate et membre de l’ONG Justice, qui milite contre la violence policière, ne cache pas son ras-le-bol. « Ce qui est malheureux, c’est que depuis qu’on en parle, rien n’a changé. En 2003 ou 2005, la Commission des droits de l’homme avait déjà souligné qu’un grand nombre de condamnations était basé sur des aveux. »

Une certaine arrogance

Mais une fois de plus, c’est le comportement plutôt que le cadre légal qui retient l’attention. « Les policiers développent une certaine arrogance et tutoient les gens systématiquement. Aussi longtemps qu’il y aura cette impunité, rien ne changera. » Selon Lindsay Morvan, les délits de faciès, à titre d’exemple, relèvent de préjugés et de comportements qu’aucun cadre légal ne saurait changer. « Le problème ne sera pas résolu par un simple texte de loi. Le PACE ne rendra pas la police efficace, les mentalités doivent changer », dira Lindsay Morvan. 

Toutefois, Ranjeet Jokhoo, ancien inspecteur de police qui a passé de longues années au sein de la Major Crime Investigation Team (MCIT), en dit un peu plus sur la méthode de la police. D'emblée, il nie que les dossiers soient basés essentiellement sur les aveux. « Aucune condamnation n’est basée uniquement sur des aveux. Il y a d’autres éléments, tes que la reconstitution, qui sont importants. Une fois, un suspect avait fait un dessin de l’arme du crime. Quand on a retrouvé le couteau par la suite, il correspondait exactement au dessin. Ca, c’est plus qu’un aveu. » Selon Ranjeet Jokhoo, lors des reconstitutions, c’est le suspect qui indique la route à prendre, les lieux du meurtre ou du cambriolage, la fenêtre par laquelle il est entré… Les informations qu’il donne doivent correspondre aux éléments de l’enquête.

Et que pense-t-il de la modernisation et de l’apport scientifique ? « Vous pouvez prendre tous les équipements modernes que vous voudrez, les éléments de base qui permettent de détecter un crime ne changent pas : les témoignages et les preuves. L’apport scientifique est un plus, mais ne peut tenir seul. Il faut des compléments. »

Pour améliorer le service, selon l’ancien inspecteur de police, il est important de placer des caméras partout dans les postes de police. Cela permettra à tout le monde d'en sortir gagnant. Mais les mentalités restent essentielles. Dans le cas de Gaiqui, il est d'avis qu’il est possible que les policiers l’aient mis à nu parce que c'était nécessaire dans le cadre de leur enquête. Ou alors il s’agissait d’une tentative de l’humilier.

Avoir les tripes

La deuxième hypothèse confirmerait l’opinion de Rajen Narsinghen, chargé de cours de droit à l’Université de Maurice et membre de la Law Reform Commission. « Palkhivala, un grand homme de loi indien, a dit une fois que peu importait l’institution, il fallait avant tout avoir la bonne personne, avec les bonnes qualifications, au bon endroit, mais par dessus tout, avoir les tripes d’être indépendant. » Ce qui n’est pas garanti, malgré un cadre légal puissant.

Le chargé de cours en veut pour preuve l’exemple du judiciaire qui, avec la Judicial and Legal Service Commission (JLSC), est bien plus indépendant que celui de bien des pays plus développés. « Pourtant, depuis l’indépendance, nous avons eu beaucoup de poltrons comme juges. Certains pensaient plus à leurs possibilités d’arbitrage qu'à autre chose », estime Rajen Narsinghen. Selon ce dernier, les lois existantes garantissent déjà l’indépendance du commissaire de police et il serait difficile de faire mieux.


L’Independent Police Complaints Commission gelée depuis bientôt deux ans

Début juillet 2016, sir Anerood Jugnauth, alors encore Premier ministre, introduisait l’Independent Police Complaints Commission Bill au Parlement. L’idée était de se défaire de la Police Complaints Division de la National Human Rights Commission. La nouvelle commission serait nommée par le président de la République, sur recommandation du Premier ministre, après consultation avec le leader de l’opposition. Elle serait composée d’un président ayant un minimum de dix ans d’expérience comme avocat ou magistrat, ou ayant servi à la Cour suprême, épaulé par deux autres membres. Sauf que la création de cette commission se fait toujours attendre.

Concernant la nécessité d’une commission indépendante pour s’occuper de toute plainte concernant les agissements d’agents de police, sir Anerood Jugnauth avait déclaré que des 1 741 plaintes faites contre des policiers depuis 2011, 193 cas avaient été référés au Police Complaints Bureau, qui n'existe plus depuis octobre 2013. La plupart des cas ont été mis de côté. Ce projet de loi devait changer la donne, selon le Premier ministre.

Un an plus tard, dans une réponse écrite soumise au Parlement en août 2017, sir Anerood Jugnauth, alors devenu ministre mentor et ministre de la Défense, avait expliqué que la loi serait proclamée dès que le gouvernement aurait nommé le président et ses deux assesseurs. « Des consultations sont en cours avec des personnes ayant les profils requis, afin de constituer la commission et ces consultations requièrent la plus grande prudence. Pour cela, il faut du temps », avait dit le ministre mentor.


Satyajit Boolell, Directeur des poursuites publiques : « Il faut garder la tête froide »

S’il se garde de faire des commentaires sur l’affaire Gaiqui, Satyajit Boolell, le Directeur des poursuites publiques, accepte tout de même de livrer son point de vue sur les méthodes de la police. L’essentiel, selon lui, est de respecter les droits des suspects sans empêcher les enquêteurs de faire leur travail.

La photo de David Gaiqui a relancé les débats sur les méthodes de la police. Que retenez-vous de tous les arguments qu’avancent les uns et les autres ?
C’est vrai que chaque individu a droit à ce que son intégrité physique soit préservée. C'est inscrit dans l’article 9 de la Constitution. Mais il faut garder la tête froide. Parfois la police arrête des gens, dans les affaires de drogue par exemple, et voit qu’une pièce à conviction se trouve sur la personne. Elle peut dans ce cas-là procéder à une fouille corporelle qu’on appelle pat search dans le jargon. Bien sûr, il y a des conditions pour le faire, comme le fait d’emmener le suspect dans un poste de police, de l’isoler afin que seules les personnes qui doivent être présentes le soient. Parfois, si c’est nécessaire, on peut l’envoyer à l’hôpital pour qu'il passe sous les rayons X. L’essentiel, c’est de garder l’équilibre entre les droits des personnes et le soin de laisser la police faire son enquête. Pour éviter tout cela, il faut codifier. C’est pourquoi dans certains pays, il y a le PACE.

N’existe-t-il aucun code pour le fonctionnement de la police à Maurice ?
Ils utilisent leurs Standing Orders qui spécifient par exemple qu’il faut bien tout vérifier avant de mettre un suspect en cellule. Mais en fait, il faut que le policier sache faire preuve de bon sens. On peut aussi utiliser des caméras. Mais ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est l'atteinte à l’intégrité physique. Il ne faut pas chercher uniquement à humilier.

Est-ce vrai que la plupart des dossiers de la police s’appuient sur des aveux, ce qui encouragerait la violence envers les suspects ?
Il y a des aveux dans de nombreux dossiers, mais la police a de bonnes statistiques en termes de condamnations. Il y a aussi des débats devant une cour de justice. On vérifie bien si les procédures ont été suivies. Il ne faut pas non plus aller à l’extrême en pensant que tous les policiers sont des brutes. Ils sont nombreux à faire du bon boulot.


Maneesh Gobin, attorney general : « La PACE au Parlement en avril »

Voilà des années qu’on nous promet un Police and Criminal Evidence (PACE) Bill qui viendra codifier les procédures de la police et, en théorie, mettre fin à la trop grande dépendance sur les aveux. Le gouvernement Ramgoolam en avait déjà pondu une première version en 2012, sans la concrétiser. Si on se fie au ministre de la Justice, Maneesh Gobin, contacté par Le Défi Plus, l’attente ne devrait plus être longue. Il est d'avis que le texte de loi devrait être introduit au Parlement en avril prochain, à la rentrée.

« Nous avons déjà terminé les consultations. Je pense que le projet de loi sera au Parlement en avril, sauf s’il y a d’autres projets de loi qui ont préséance », a expliquée Maneesh Gobin, confirmant que le rapport final du Britannique Geoffrey Rivlin, Queen’s Counsel, a été soumis.

Selon Maneesh Gobin, le Code of practice de la force policière est la seule partie de la loi qui est actuellement mise au point. « La police a ses Standing Orders. La différence, c’est que le code fera partie de la loi elle-même. », a souligné le ministre de la Justice. Selon lui, il faut aussi faire attention à ne pas donner l’impression que la police fonctionne actuellement en dehors de tout cadre de contrôle.


Law Reform Commission : le point de vue des intéressés

La Law Reform Commission a interrogé les acteurs concernés sur les méthodes de la police en 2008 et les conclusions s'apparentent beaucoup à ce qui se dit actuellement. « The general view expressed by stakeholders is that investigation in Mauritius lacks the required professionalism », peut-on notamment lire dans l’introduction du rapport. Les remarques concernent la pratique au sein de la force policière, notamment pour ce qui est de l'éthique, de ses relations avec la population et des bonnes manières. « Very often it was found that even though the law provided the necessary guarantees, police practice or the “bon vouloir” of a police officer often prevails. »

S'agissant des solutions, était préconisée la création d’une école de police où les droits humains et le traitement des suspects seraient adéquatement enseignés. « Investigation authorities should be given enough means to carry out their functions properly », peut-on aussi lire. Ce qui fait écho aux recommandations du Premier ministre adjoint (voir encadré) sur les équipements de la police.

D’autres recommandations indiquent que les principales préoccupations n’ont pas changé, comme la nécessité de disposer d’une police indépendante et le fait que celle-ci ne puisse enquêter sur elle-même : « The creation of a “Police de Police” was canvassed, in view of the fact that the present system is not giving satisfaction, and it was considered inappropriate that the Police should investigate upon its own fault. It was also canvassed that this body should fall under the responsibility of a body other than the Police force, and should comprise investigators that have the required independence from the Police Force. »

Une utilisation plus prépondérante de l’ADN a aussi été évoquée comme une nécessité, plutôt que le recours aux aveux.


Équipements de la police : le plan à Rs 300 millions de Duval

En 2016, alors qu’il était encore Premier ministre adjoint, Xavier-Luc Duval présidait un comité ministériel sur la situation de l'ordre et de la paix. Le comité s’était réuni à trois reprises avant de soumettre ses recommandations au Conseil des ministres. Ces recommandations, inspirées de la mission officielle du numéro deux du gouvernement en Allemagne, portaient essentiellement sur l’amélioration des services des forces de l’ordre par le biais de meilleurs équipements, une formation mieux adaptée et la condition physique des officiers.
S'agissant des équipements, il avait recommandé que tous les officiers aient en leur possession les sept objets suivants :

  • matraque extensible ;
  • menottes ;
  • radio ;
  • torche ;
  • gaz poivré ;
  • ceinture tactique ;
  • veste à équipement et
  • taser.

Additionnellement, les policiers qui font partie des unités spéciales (voir infographie) devaient être équipés de lunettes balistiques, de caméras corporelles, de lunettes à vision nocturne, de gilets pare-balles, de boucliers et de masques.

Quant aux véhicules, ils devaient être équipés de :

  • kit de premiers secours ;
  • caméra ;
  • alcomètre ;
  • bouclier ;
  • boîte à outils scientifique ;
  • équipements anti-émeutes et
  • GPS.

Concernant la formation, les six mois qu'effectuent les policiers actuellement devaient passer à 18 mois de formation théorique et six mois de formation pratique. En plus, le comité recommandait un examen annuel pour s’assurer que les officiers de police étaient dans une condition physique optimale. Toutefois, le coût des équipements devait s’élever à Rs 300 millions et Xavier-Luc Duval avait recommandé que l'on procède par étape.

 

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