
La Banque de Maurice, pilier central du système financier mauricien, se trouve une nouvelle fois au cœur de l’actualité nationale. Une succession d’événements récents soulève des interrogations sur sa gouvernance et, plus largement, sur la réputation de la juridiction mauricienne en matière de régulation financière.
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La situation s’est intensifiée avec la diffusion, sur les réseaux sociaux, d’un enregistrement sonore attribué à des figures connues du secteur public. Dans cette bande, qui remonterait à la nuit du 11 novembre 2024, des voix attribuées à celles de Tevin Sithanen, Aditi Boolell et Stéphane Adam échangent des propos menaçants et grossiers. Une voix, attribuée à Tevin Sithanen, aurait déclaré : « MIC dan nou la main » et « Nou ki kontrol partou », avant de menacer une autre voix supposée être celle d’Aditi Boolell : « Pou fer aret twa ».
Ces propos font directement référence à la Mauritius Investment Corporation (MIC), une entité créée pour soutenir l’économie durant la pandémie, qui fait l’objet d’enquêtes de la Financial Crimes Commission (FCC). Des soupçons de malversations pèsent sur certaines de ses décisions, alimentant davantage le débat sur la gestion des organismes publics.
L’affaire a pris un nouveau tournant avec l’interpellation du journaliste Narain Jasodanand, qui enquêtait sur ces allégations. Cette arrestation a été critiquée dans plusieurs cercles comme une atteinte à la liberté de la presse, renforçant les préoccupations autour de la transparence des organismes.
Banque de Maurice
Dans ce contexte tendu, la Banque de Maurice a également connu des mouvements internes notables. Gérard Sanspeur, deuxième sous-gouverneur, a remis sa démission le 29 août. Quelques jours plus tôt, le président du syndicat des employés de la Banque, Chidanand Rughoobar, a été suspendu de ses fonctions. Ces départs interviennent alors que des messages circulant en ligne font état de pressions internes, notamment d’instructions attribuées à Tevin Sithanen visant à écarter certains membres du personnel.
Les tensions ne semblent pas se limiter à l’intérieur de la Banque de Maurice.»
Le gouverneur de la Banque, le Dr Rama Sithanen, a nié toute implication de son fils dans la gestion de l’organisme. Lors de plusieurs interventions publiques, il a insisté sur l’absence de lien officiel ou informel entre Tevin Sithanen et les décisions internes de la Banque. Selon lui, les accusations sont sans fondement.
Cependant, les tensions ne semblent pas se limiter à l’intérieur de la Banque. Le cumul des fonctions de gouverneur de la Banque de Maurice et de président de la Financial Services Commission (FSC) par Rama Sithanen suscite des réserves dans certains milieux économiques. La concentration de ces deux postes sensibles pourrait soulever des conflits d’intérêts, à un moment où les exigences internationales en matière de transparence financière sont renforcées.
Le débat a même gagné les sphères politiques. Lors d’une conférence de presse le 12 août, le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, a rappelé qu’il avait lui-même suggéré la nomination de Rama Sithanen à la tête de la Banque après les élections. Il a reconnu que cette décision s’inscrivait dans un contexte d’urgence, mais a laissé entendre que la situation actuelle mérite une réévaluation.
Au-delà des faits, la question de fond demeure : l’image de la juridiction mauricienne peut-elle sortir indemne de cette crise institutionnelle ? Rama Sithanen, lors d’une interview sur Radio Plus le 5 septembre, a lui-même exprimé ses préoccupations. Il a évoqué que les critiques visant la Banque de Maurice ne passent pas inaperçues à l’échelle internationale. Le Fonds monétaire international, l’agence Moody’s et d’autres organismes commencent à demander des clarifications. Le gouverneur a appelé à la prudence, évoquant la prochaine mission d’évaluation de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG).
Kamal Hawabhay, Managing Director de GWMS Ltd : «Pour préserver la confiance, il faut des garde-fous solides»
Pour Kamal Hawabhay, Managing Director de GWMS Ltd, la solidité de la place financière mauricienne repose sur plus de trente ans de rigueur réglementaire, de transparence et de coopération internationale. Il rappelle que si la BoM occupe un rôle central, la crédibilité du centre financier s’appuie avant tout sur un écosystème complet de régulateurs couvrant les secteurs bancaire et non bancaire. « La réputation de Maurice ne doit jamais dépendre d’une seule personne, mais de la force collective de ses organismes », insiste-t-il. Face aux récentes allégations d’ingérence, il appelle à une réaction ferme. « Pour préserver la confiance, il faut des garde-fous plus solides et une gouvernance exemplaire. L’indépendance de la banque centrale est non négociable si nous voulons maintenir notre crédibilité », dit-il.
Il plaide pour la nomination de profils compétents et intègres, ainsi que pour la mise en place de mécanismes garantissant responsabilité, transparence et lignes de reporting claires, inscrits autant dans la loi que dans les pratiques. Un conseil d’administration actif doit, selon lui, veiller à leur application. Kamal Hawabhay exhorte enfin les autorités à agir rapidement et à renforcer la vigilance des instances de supervision pour restaurer la confiance internationale.
Bhavish Jugurnath, économiste : «Un régulateur en pleine tourmente envoie le mauvais message»
L’économiste Bhavish Jugurnath est d’avis que l’enjeu dépasse largement le cadre local. « Le secteur financier n’est pas simplement une partie de l’économie, c’est l’un de ses piliers principaux. Notre réputation en tant que centre financier international repose sur la solidité de nos organismes, l’indépendance de notre régulateur et le respect de nos standards », souligne-t-il. Selon lui, une remise en question de l’indépendance de la Banque centrale ébranle la crédibilité de l’ensemble du système financier. Il rappelle que l’île a récemment réussi à sortir de la liste grise du GAFI, un acquis qu’il ne faut pas compromettre. « Mais un régulateur en pleine tourmente envoie le mauvais message. Cette situation soulève des doutes sur la pérennité des réformes », avance-t-il.
Pour restaurer la confiance, Bhavish Jugurnath préconise de renforcer la gouvernance : publication des décisions, d’audits indépendants et la séparation entre la BoM et les structures d’investissement de l’État. « Si nous pouvons montrer que notre banque centrale est véritablement indépendante, protégée par la loi, la gouvernance et la transparence, alors notre juridiction sortira plus forte que jamais. »
Avinaash Munohur, politologue : «La confiance dans l’économie mauricienne et la roupie est en jeu»
Le politologue Avinaash Munohur alerte sur la situation actuelle au sein de la Banque de Maurice (BoM). Selon lui, « une banque centrale est une institution qui se doit de garder son devoir de réserve et d’être entièrement apolitique et préservée des tumultes et des scandales ». Selon lui, les récents départs, conférences de presse et spéculations autour des réserves et de la MIC reflètent « un climat malsain ».
S’agissant de l’impact sur la juridiction mauricienne, il rappelle que « le GAFI, qui procédera à l’évaluation de Maurice en 2027, est en train de prendre note de ce qui se passe ». Il souligne que la confiance dans l’économie et la roupie est en jeu. « Les tumultes actuels au sein de la BoM doivent être réglés. Et l’ordre et le calme doivent être rétablis au plus vite. C’est la confiance dans l’économie mauricienne et la roupie qui est en jeu », avance-t-il.
Concernant la MIC, il précise que cette entreprise n’a plus de raison d’être et que sa dissolution devrait être prioritaire, après un audit complet. « C’est à cette seule condition que la BoM peut revenir à son activité première, opérer comme une banque centrale et non comme un stakeholder dans des financements d’entreprises », poursuit le politologue. Il conclut en comparant le contexte mauricien aux États-Unis. L’actuel président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a été choisi et nommé par le Président Trump. Cette nomination, dit-il, n’empêche en rien Powell de tenir tête au Président Trump en refusant toute ingérence politique de la Maison Blanche dans les affaires de la Réserve fédérale. « Il est utopique de penser que nous pouvons atteindre ce niveau d’objectivité à Maurice, mais le pays sortira gagnant si c’est le cas », avance-t-il.
Hafeez Toofail, directeur de SALVUS (Mauritius) Ltd : «Risque de délocalisation vers des marchés financiers plus stables»
La démission de Gérard Sanspeur à la tête de la Banque de Maurice (BoM) a provoqué un vif émoi dans les milieux financiers. Hafeez Toofail, directeur de SALVUS (Mauritius) Ltd, estime que cette situation met en lumière des enjeux cruciaux pour le centre financier mauricien. « Pour un centre financier international comme Maurice, l’indépendance et la prévisibilité des régulateurs sont essentielles. Toute perception de fragilité institutionnelle ou de dépendance politique peut nuire à la crédibilité du pays et pousser certains acteurs à envisager une relocalisation vers des places financières jugées plus stables », souligne-t-il.
Selon lui, les circonstances de cette démission, annoncée immédiatement malgré un délai légal de trois mois, ont alimenté les spéculations. « Tout le monde ne peut pas être régulateur. La fonction exige une formation solide, une éthique irréprochable et une conduite exemplaire », rappelle Hafeez Toofail.
Il ajoute que les allégations d’ingérence externe semblent, dans une certaine mesure, exagérées. « La BoM fonctionne sur un système de contrôles croisés et de responsabilités partagées. Un simple appel ne suffit pas à influencer une décision clé », explique-t-il.
Pour Hafeez Toofail, il est toutefois impératif de rester vigilant. « Si des ingérences venaient à être confirmées, il faudrait renforcer les mécanismes de gouvernance et assurer que le personnel puisse travailler en toute indépendance. La solidité d’un régulateur repose avant tout sur l’intégrité et la confiance placées en son personnel », déclare-t-il.
Me Rubesh Doomun, avocat : «Il pourrait être utile de faire appel à un expert indépendant»
Me Rubesh Doomun affirme que toute institution peut être confrontée à des périodes de turbulences. « Le préjudice est surtout d’ordre réputationnel. Dans ces cas, il nous faut la capacité à réagir de manière structurée et calme », dit-il.
Concernant la Banque centrale, il avance que les récents événements attirent naturellement l’attention du public et des marchés internationaux. « Le gouvernement mauricien continue de collaborer avec ses États alliés de confiance. Il faut impérativement démontrer que Maurice dispose d’institutions résilientes et fiables pour préserver la réputation et la stabilité financière du pays », soutient-il.
Pour lui, l’indépendance d’une banque centrale est un principe fondamental reconnu au niveau international, et elle constitue une garantie de stabilité et de crédibilité pour tout système financier. « Toute réflexion visant à renforcer cette indépendance doit s’appuyer sur des mesures institutionnelles et législatives », avance-t-il.
À titre d’exemple, il estime qu’il faudrait davantage de transparence dans les processus de nomination et de prise de décision. « Il pourrait être utile de faire appel à un expert indépendant pour examiner les procédures de gouvernance et proposer des améliorations concrètes, qui seraient communiquées au gouvernement et rendues publiques », propose Rubesh Doomun.
Par ailleurs, il est d’avis qu’il faudrait aussi prévoir un « Special Media Committee », composé notamment d’avocats, afin d’encadrer les décisions importantes de la BoM, superviser les communications officielles et rassurer les stakeholders.

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