
Un demi-siècle de cela, le système éducatif mauricien se caractérisait par une forte hiérarchisation et une accessibilité limitée pour l’ensemble des étudiants. La majorité des enfants finissaient leur parcours scolaire après six années, obtenant le Certificate of Primary Education (CPE) ou quittant l’école prématurément pour entrer dans le monde du travail ou dans des établissements secondaires sélectifs. L’accès aux études secondaires supérieures, notamment le Higher School Certificate (HSC), était réservé à une élite, principalement issue des collèges d’État, tels le Royal College Port Louis, le Royal College Curepipe ou le Queen Elizabeth College, bénéficiant d’infrastructures de qualité, dont des bibliothèques et des laboratoires modernes. Les collèges privés, souvent dirigés par des familles, étaient nombreux mais moins pourvus d’infrastructures, situés principalement en zones urbaines ou dans des villages comme Goodlands ou Souillac. L’Université de Maurice, unique institution tertiaire de l’époque, proposait des cours plutôt techniques notamment un Diploma in Sugar Technology, reflet d’un système largement axé sur des formations techniques et professionnelles.
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Ce contexte reflétait une société encore fortement structurée, où l’éducation constituait un accès limité pour la majorité. La sélection était rude : après le CPE, un peu plus de 300 élèves, garçons et filles confondus, pouvaient prétendre intégrer les collèges d’État via l’examen très compétitif, dit le Junior Scholarship, préparé par Moray House du Royaume-Uni. La majorité des autres élèves se retrouvaient dans des collèges payants, souvent en zone urbaine, ou dans des établissements privés dont la gestion était familiale, avec peu de ressources et des infrastructures souvent vétustes. La compétition pour accéder à l’éducation de qualité, au niveau secondaire, était féroce, et la réussite au HSC représentait une véritable porte d’entrée vers un avenir professionnel prometteur.
Une période de contestation et de revendications
Les années 1970 constituent l’âge d’or du socialisme à Maurice, marqué par une transformation politique majeure. La naissance du Mouvement Militant Mauricien (MMM), initialement Mouvement des Étudiants, traduisait une volonté de changement social profond. Les mouvements sociaux, notamment la grève de 1971 qui paralysa l’économie nationale, ainsi que la mise en place de lois restrictives comme le Public Order Act (1973), illustraient une société en pleine mutation vivant sous l’élan d’un renouveau. Malgré un contexte économique difficile, un boom survint en 1973, grâce au choc pétrolier, mais les inégalités persistèrent quand même.
Sur le plan éducatif, cette période fut marquée par la remise en question de notre système éducatif. La compétition sévère pour l’accès aux collèges d’État, la faiblesse des infrastructures dans les établissements privés et la disparité entre les ressources des écoles publiques et privées alimentèrent un sentiment d’injustice sociale. La situation économique défavorable de 1975, exacerbée par le cyclone Gervaise qui détruisit une grande partie des infrastructures scolaires, cristallisa cette contestation. On pouvait se rappeler d’un système d’enseignement makeshift pour accueillir les enfants au primaire avec le manque de classes cause par la dévastation du cyclone.
Les revendications se réalisèrent dans un mouvement de protestation massive en avril 1975, mobilisant élèves, enseignants et parents des collèges urbains. Les institutions privées, notamment Bhujoharry, Trinity, Eden ou New Eton, se mirent en grève pour dénoncer les inégalités et réclamer une éducation plus équitable. Malgré les négociations, le décalage persista, mais la création de la Private Secondary Schools Authority (PSSA) en 1976 permit de renforcer l’amélioration des conditions de travail des enseignants privés et d’aligner leur grille salariale avec celle du secteur public.
En janvier 1977, le Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam annonça une mesure historique : l’enseignement secondaire devint gratuit pour tous. De nouveaux collèges publics, appelés Junior Secondary Schools (JSS), furent construits à travers l’île, permettant à un plus grand nombre d’accéder au cycle secondaire. Les élèves pouvaient ainsi préparer le School Certificate (SC) et, par extension, la HSC. Cette décision marqua une étape décisive dans la démocratisation de l’éducation, en particulier pour les filles, dont le taux d’inscription progressa rapidement, contribuant à leur émancipation sociale au temps où 1975 fut déclarée l’Année de la Femme par les Nations Unies.
Les prémices de la décolonisation
La crise de 1975 fut un catalyseur pour le processus de décolonisation de l’éducation mauricienne. La nécessité de réduire les inégalités, de démocratiser l’accès à l’enseignement secondaire et d’intégrer la culture mauricienne dans les programmes devint une priorité nationale. Plusieurs mesures furent initiées, notamment la fin du système du Junior Scholarship dite Petite Bourse et l’introduction de nouveaux programmes élaborés par l’Institut de Pédagogie de Maurice, le MIE, créé en 1973. Ces programmes d’études, plus contextualisés, visaient à mauricianiser l’éducation, en remplaçant progressivement les référentiels coloniaux.
L’introduction du Kreol comme langue d’instruction fut une étape importante. Utilisée principalement dans les zones rurales où l’exposition à l’anglais ou au français était limitée, cette langue permit une meilleure accessibilité à l’apprentissage, notamment dans les matières scientifiques et économiques. Bien que cette initiative ait été largement soutenue par certains acteurs, notamment le MMMSP de feu Dev Virahsawmy, de Lalit et d’autres mouvements progressistes, sa reconnaissance officielle dans le système éducatif demeure toujours limitée.
Une évolution inachevée
Malgré ces avancées, la décolonisation complète du système éducatif mauricien reste un objectif lointain. La domination persistante des examens de type britannique, notamment le Cambridge International Examinations, maintient une certaine externalisation des standards éducatifs, parfois immuable. La langue anglaise demeure l’unique langue officielle pour l’évaluation, tandis que le français reste plutôt une langue vernaculaire. Le Kreol, malgré sa potentialité, reste marginalisé dans le contexte formel, limité à des usages de facilitation d’apprentissage dans certaines classes.
Par ailleurs, le cursus académique prédominant de nos jours favorise encore une approche compétitive, basée sur la réussite individuelle à travers des examens sélectifs. Dans un certain sens, la valorisation des lauréats perpétue une culture de l’élitisme, au détriment d’une politique éducative inclusive. La majorité des jeunes, notamment ceux issus des milieux défavorisés, se trouve encore éloignée par le système, avec peu d’alternatives éducatives pour ceux qui échouent ou ne peuvent suivre le rythme imposé par cette compétition.
L’émergence de la génération dite « digital native » modifie également la perception de l’éducation. La communication en ligne, la socialisation numérique et une préférence pour l’interaction virtuelle semblent déroger l’engagement communautaire traditionnel. Parfois on évoque une résurgence symbolique de 1975, comme une rare contestation en 2018, concernant l’augmentation des frais d’examen, diffère profondément des revendications pour l’égalité, la justice sociale et la décolonisation.
Symbolisme authentique du Grand Soir de Mai-75
Le mouvement de Mai-75, connu comme le Grand Soir, reste un symbole puissant de révolte estudiantine contre un système perçu comme inéquitable et dépassé. Il s’inspire du mouvement de Mai 68 en France, qui remettait en question l’autorité éducative et sociale, et a permis des réformes significatives dans le contexte français. À Maurice, cette contestation a été alimentée par un contexte politique de gauche, des revendications sociales et une volonté de redéfinir l’identité nationale. Cependant, avec le recul, il apparaît difficile de raviver un tel mouvement, car les enjeux ont évolué. La société mauricienne, influencée par la mondialisation, la consommation de masse et la stabilité politique, privilégie désormais la croissance économique et la réussite individuelle.
Le capitalisme qui s’installa dans le contexte mauricien à partir des années 1980, a modifié les aspirations et les valeurs de la population. La valorisation du gain matériel, la consommation de biens de luxe et la recherche du confort individuel ont peu à peu supplanté les idéaux de justice sociale ou de changement sociétal. La classe politique, souvent issue de dynasties ou de partis traditionnels, manque de renouvellement et d’engagement pour une transformation profonde. La jeunesse, davantage attirée par la sphère virtuelle des réseaux de communication et de l’Intelligence Artificielle (IA) ne trouve guère d’inspiration dans la revendication collective, symbole de jeunesse d’antan.
En conclusion, le mouvement de Mai-75 demeure un symbole fort de l’histoire éducative et sociale de Maurice, incarnant la lutte pour l’égalité, la décolonisation et la justice sociale. Bien que plusieurs mesures aient été entreprises depuis pour démocratiser l’accès à l’éducation, dont le Nine-year Schooling, l’accès gratuit à l’éducation à tous les niveaux ou encore le remboursement des frais d’examens par l’État, il reste encore de nouveaux défis à relever pour qu’il y ait une éducation plus inclusive. Tenant en considération, le désir des jeunes de chercher fortune à l’étranger, le fléau des drogues synthétiques parmi les jeunes ou encore, un désintéressement pour la politique, le vœu commun du Grand Soir de 1975 reste un souvenir lointain, imprégné d’une idéologie qui a fait son temps mais dont le souvenir, après cinquante ans, rappellera bien ceux ou celles qui vivaient et prévoyaient du renouveau pour un futur plus juste. Le temps n’a fait que passer.
Dr Nirmal Kumar Betchoo

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