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[Blog] Financement des partis politiques : les vrais enjeux

Rajen Bablee

Transparency Mauritius entame une collaboration avec Le Défi Media Group pour parler du combat contre la corruption et promouvoir la bonne gouvernance. Dans ce premier texte, nous avons voulu parler du besoin pressant de réguler le financement des partis politiques et des politiciens. Cette zone obscure et opaque peut être l’arbre qui cache la forêt et qui explique pourquoi plus de 50 ans après l’indépendance du pays, les dirigeants politiques sont les mêmes.

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L’île Maurice se trouve actuellement sur la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI) et sur la liste noire de l’Union européenne. Une mission du GAFI sera à Maurice, ce mois-ci, pour vérifier si des protocoles de prévention, d’implémentation et de renforcement ont été mis en place par le gouvernement afin que le pays soit rayé de la liste grise.

Transparency Mauritius a initié, à ce sujet, une conversation avec le ministère des Services financiers et de la Bonne gouvernance depuis le début l’année dernière. Il y a aussi eu des échanges sur le plan international. Car, se retrouver dans la liste grise du GAFI et sur la liste noire de l’Union européenne dans la conjoncture économique mondiale est catastrophique pour un pays ayant l’ambition de se positionner comme un pays, à la fois, développé et à haut revenu. Le gouvernement a multiplié les efforts pour régler les manquements soulignés par le GAFI. 

Il faut comprendre la pertinence et l’importance du concept de la lutte contre le blanchiment et le financement des activités terroristes. Avec un monde technologiquement évolué, la criminalité a changé de forme et de nouveaux véhicules pour faire circuler ou cacher l’argent provenant des crimes ont été développés ou adaptés. L’Afrique est cité comme perdant plus de USD 50 milliards tous les ans à travers des flux financiers illicites. Les centres financiers sont surveillés et les gouvernements ont été appelés à mettre des structures de surveillance, de contrôle, d’investigation et d’implémentation afin de contenir les mouvements d’argent et de biens liés à la criminalité. 

Les principaux axes de la criminalité sont : la corruption, les trafics de drogue, d’armes et d’humains, la piraterie, le grand banditisme, l’évasion fiscale et le terrorisme, entre autres. Pour contrer ces crimes qui sont considérés comme les constituants du blanchiment, il faut un renforcement des capacités à tous les niveaux, mais aussi et surtout au sein des institutions régulatrices et d’enquêtes, une harmonisation des lois internationales, des échanges d’information en temps réel, l’étude des typologies développées par les criminels et la capacité de recouvrer des biens disposés dans d’autres juridictions. Le tout doit être accompagné de lois cadres contre le blanchiment et la corruption et des lois accompagnatrices importantes, comme la ‘Freedom of Information’, la protection des lanceurs d’alertes et la publication des registres de bénéficiaires réels. 

Money Trail

Une des conditions sine qua non de cette lutte contre le blanchiment est la capacité de pouvoir suivre la trace de l’argent et, de ce fait, les transactions en liquide sont limitées (à MUR 500 000 pour Maurice). Cependant, toute transaction, même en dessous de ce chiffre, doit pouvoir être justifiée et la provenance de l’argent déterminée.

C’est ainsi que les banques et d’autres commerces ou services professionnels ont le devoir légal de s’informer et s’enquérir des sources de revenus de leurs clients et de vérifier si leurs personnalités juridiques ainsi que leurs activités sont réelles et légitimes. Le moindre doute impose qu’une alerte soit faite auprès de la Financial Intelligence Unit. Celle-ci a un devoir de vérification et si les soupçons sont confirmés, elle communiquera un rapport à l’Independent Commission Against Corruption (Icac) afin que celle-ci initie une enquête officielle.

De facto, tous les Mauriciens sont supposés être soumis à ces lois et protocoles. Mais, il est vrai que, dans la pratique, il y a ceux qui évoluent en dehors de ce cadre pourtant simple et précis. Ce sont les partis politiques. Ils constituent l’anomalie dans l’univers de la lutte contre la corruption et le blanchiment. Ils jonglent avec des millions et n’ont aucune obligation de publier leurs comptes et opèrent dans l’opacité totale. 

Personnalité juridique

Une première question concerne la personnalité juridique d’un parti politique. Il est défini dans la ‘Representation of Peoples’ Act’ de 1958, selon le paragraphe 2 (1) du First Schedule to the Constitution, qui stipule : “Every political party in Mauritius, being a lawful association, may, within 14 days before the day appointed for the nomination of candidates for election at any general election of members of the Assembly, be registered as a party for the purposes of that general election and paragraph 5 (7) by the Electoral Supervisory Commission upon making application in such manner as may be prescribed”.

Il est donc compris qu’un parti politique soit d’abord une association en règle avec la loi. On comprend aussi que la vie d’un parti politique est liée et limitée aux élections au sein de l’Assemblée nationale.

La Registration of Association Act de 1978 explique qu’une association légalement constituée doit comprendre un bureau de sept personnes avec une structure formelle et un objectif précis qui n’autorise pas ses membres à percevoir des gains pécuniers. Et la Registration of Association Act de 1978 précise qu’un parti politique n’est pas une association.

Or, il est connu que les partis politiques brassent des millions. D’où vient l’argent ? Et où va-t-il ?  Est-ce que chaque sou reçu ou dépensé, est répertorié dans un registre et présenté aux membres du parti, à défaut du grand public ? Quid d’un audit ? D’autre part, il est souvent fait mention que tout argent reçu est contrôlé par les leaders et leurs très proches collaborateurs. Il paraît aussi que certains partis opèrent des comptes en banque au nom du leader ou d’un membre faisant partie de sa garde rapprochée. 

En l’absence de contrôle, rien n’empêche que les dons en espèce puissent provenir d’activités illicites. En sus, les donateurs peuvent conserver l’anonymat et n’ont pas l’obligation de prouver la source de l’argent. Dans certains pays, il y a eu, avant que des contrôles ne soient mis en place, des allégations de paiement déguisé en donation pour l’octroi d’un poste, d’un contrat ou d’une décoration. L’argent peut aussi être utilisé pour soudoyer des électeurs et acheter des votes. Aussi, rien n’empêcherait un leader politique de détourner l’argent reçu comme don pour son parti à ses fins personnelles.

Il est vrai, d’autre part, que le secteur privé finance les partis politiques. Business Mauritius encourage ses membres depuis plusieurs années à faire les paiements par chèque et de déclarer le montant des dons dans leurs rapports annuels.

Cheval de bataille

Une autre énigme a trait aux transactions bancaires. Les responsables politiques sont considérés comme des Politically Exposed Persons (PEPs) et les institutions bancaires ont pour devoir d’exercer plus de vigilance sur leurs transactions. Qu’en est-il ? 

Il y a aussi une autre question : À qui appartient l’argent offert à un parti politique ? Who is the ‘beneficial owner’? Et s’il n’existe de démarcation et de registre des fonds du parti, rien ne devrait, en principe, empêcher les héritiers biologiques d’un leader politique, de prétendre à cet argent et s’en accaparer.

Ces questions sont cruciales par rapport à la gouvernance et surtout par rapport au combat contre le blanchiment et financement des activités terroristes. Les mesures prises par le gouvernement, par rapport aux recommandations du GAFI, constituent une première étape. Cependant, il faut toucher le nerf du problème. Il est important de s’attaquer à la question de financement des partis politiques et des politiciens. Transparency Mauritius en fera son cheval de bataille.
 

 

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