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[Blog] En attendant notre pension de vieillesse…  

Il n’y a pas eu de miracle. Les amendements à l’Independent Broadcasting Authority ont été votés. Une analyse en trois temps d’une folle semaine. 

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  • Premier temps : la bonne foi 

Les amendements proposés à l’Independent Broadcasting Authority (IBA) Act ont été votés malgré qu’ils aient déclenché de vives réactions, surtout par rapport au renouvellement des licences des radios privées ou encore par rapport aux sources. L’IBA est une autorité régulatrice et ses dirigeants sont nommés par le gouvernement. Son appellation nous rappelle qu’elle est supposée être indépendante. Ce n’est pas la première fois que l’IBA défraie la chronique. On se souvient de son ancienne directrice, une nominée politique, arrêtée par l’ICAC. 

Pourquoi toujours douter ? Pourquoi supposer des agendas malveillants à toute décision ou action de ceux qui dirigent le pays ? Peut-être, d’abord parce que la démocratie n’a pas été inventée à Maurice et que ceux qui l’ont testée à travers le monde, ont noté qu’il faut toujours avoir des protocoles de contrôle et de redevabilité. Il est dit que le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Dans un pays où la présomption d’innocence est acquise, il serait malséant de prêter des motifs douteux à toute personne sans pouvoir les soutenir avec des preuves. Le gouvernement martèle, depuis qu’il est au pouvoir, qu’il travaille dans un contexte difficile mais que les actions prises sont dans l’intérêt de la population mauricienne.  

Les membres du gouvernement insistent aujourd’hui que la population ne devrait pas imaginer des motifs partisans dans cette intention d’amender la loi et que la République de Maurice est un État de droit avec des institutions indépendantes. Sur un plan pratique cependant, il ne fait aucun doute que l’octroi d’un permis d’opération pour une durée d’une année au lieu de trois, ferait sourciller n’importe quel investisseur potentiel. 

Osons pousser la réflexion plus loin : Et si les parlementaires devaient revenir devant l’électorat chaque année au lieu d’attendre cinq ans ?  

On réalise aussi que dans notre système parlementaire, il suffit d’une simple majorité pour que les amendements soient votés.  

  • Deuxième temps : ‘souffler-morder’  

Le lundi 22 novembre dernier, cela faisait 58 ans qu’Aldous Huxley, auteur de ‘Le meilleur des Mondes’ nous a quittés. L’œuvre de l’écrivain britannique nous donne d’autres perspectives et nous permet d’apprécier ou d’être lucide par rapport au fonctionnement de la société. 

Nous sommes à une énième situation où le gouvernement serait, selon certains détracteurs, en train de se préparer à repousser les limites des droits citoyens et acquérir encore plus de contrôle sur des institutions dont beaucoup sont déjà, directement ou pas, sous un joug de fer.  

Le gouvernement a adopté l’attitude suivante : Maurice est un État de droit et toute pensée qui ose suggérer le contraire peut être perçue comme étant antipatriotique. Le gouvernement a toute la légitimité voulue pour prendre des décisions et agir.  

Depuis que les amendements à l’IBA Act ont été proposés, une résistance s’est organisée et a regroupé plusieurs acteurs. Pour beaucoup, cette bataille ne concerne pas qu’un permis d’opération d’une radio, mais ces amendements seraient un moyen de contrôle déguisé qui permettra au gouvernement une latitude quasi totale pour opérer en toute impunité. 

Comprenons-nous… De quelle bataille parlons-nous ? De quels droits ? Avons-nous une vision panoramique de la question ou une vision étriquée d’une situation où, de toute façon, nous ne serions que des témoins, au mieux passifs, ou au pire impotents ? À moins qu’on sache de quelle guerre, cette bataille fait partie. 

Ce n’est plus la résilience de la population qui est testée. Celle-ci a déjà été étudiée et jaugée. Les ‘spin doctors’ (nous y reviendrons) ont-ils déjà ‘vu’ que le présent gouvernement n’a pas d’adversaires (politiques ou autres) suffisamment forts pour l’empêcher de diriger les destins du pays pour encore au moins deux mandats ? En fait, le seul élément impondérable dans cette stratégie bien huilée, serait la pandémie qui, quand même, s’est transformée en opportunité pour certains. S’il y a des écueils qui pourraient gêner le gouvernement, il y aura des fusibles commodes qui sauteront sans compromettre l’intégrité du chef de gouvernement. 

Si les amendements proposés à l’IBA Act font du bruit, il ne faudrait pas passer sous silence que plusieurs changements ont été enregistrés ces dernières années, avec des nominés politiques qui sont venus remplacer des fonctionnaires de carrière dans des postes publics. On sait aussi qu’on a actuellement un commissaire de police par intérim à ce poste constitutionnel. Nombreux sont ceux qui estiment que cette situation est dangereuse et qu’elle peut affecter l’indépendance de la force policière, qui serait, de fait, totalement soumis au gouvernement. 

La politique est omniprésente à Maurice et de ce fait, il ne serait pas correct de l’éliminer des équations. Le système politique mauricien repose beaucoup, pour le peuple, sur les émotions, et pour les hommes politiques, sur du calcul. Le projet d’amendement arrive au milieu d’une pandémie, à un moment où les morts s’entassent et un rapport d’enquête judiciaire est sur le point de tomber. Coïncidence ? 

  • Troisième temps : Assurer la pérennité et l’impunité 

Il serait intéressant d’analyser la situation comme pour une enquête par hypothèse. Tous les partis politiques traditionnels de Maurice ont un socle commun : l’opacité totale dans la gestion d’argent par millions sans rendre des comptes à quiconque. Quelques familles se partagent les leaderships des partis et se sont chacune entourées de sa garde prétorienne pour contrôler des sommes que la plupart d’entre nous n’imaginent même pas. Et qui d’entre elles voudrait que le financement des partis soit réglementé ? 

Dans le monde, il y a eu, en parallèle, une nette augmentation de la corruption et de la prise de conscience de la population. Il y a aussi des campagnes menées par la société civile pour des lois contre le crime organisé, la corruption, le blanchiment ou encore le financement du terrorisme. L’espace des politiques pour s’enrichir illicitement s’est réduit considérablement ces dernières années et avec le journalisme d’investigation et les campagnes de la société civile qui deviennent de plus en plus agressifs, le sanctuaire des politiques devrait se réduire davantage. 

Il est souvent dit que le goût du pouvoir, une fois qu’on y a goûté, reste collé à la peau. Il est enivrant. Ajouté à cela, pouvoir jongler avec des millions sans aucune restriction légale, fait du politicien, l’égal d’un roi ou d’un Dieu. À Maurice, quelques familles contrôlent les (pseudo) partis politiques traditionnels de père en fils ou petit-fils. Elles ont toutes été tantôt alliées et tantôt adversaires. Toutes les combinaisons ont été faites, défaites et refaites et elles ont toutes été au pouvoir. Depuis plusieurs années, avant même l’indépendance, les leaders de ces partis ont reçu des dons en espèce aussi bien qu’en argent. Il n’y a jamais eu de loi pour leur imposer de déclarer ces dons et il ne serait pas déraisonnable de penser qu’il y a dû avoir des situations où une partie de l’argent a été utilisée à des fins personnels. Le délit d’abus de biens sociaux ou celui de détournement ne peut s’appliquer à eux.   

Une étude anthropologique et sociale devrait être faite pour analyser l’enrichissement de ces familles depuis leur arrivée à Maurice. Il n’est pas exclu que certaines d’entre elles, aujourd’hui, affirmeront qu’elles ont toujours été des possédantes. Ensemble ou séparément, certaines pourraient s’inventer des légendes et s’autoglorifier afin que le peuple ‘sache’ quels sacrifices les membres de leurs familles ont dû faire pour qu’aujourd’hui, le peuple puisse manger à sa faim. Donc le peuple mauricien doit être éternellement reconnaissant envers ces ‘tribuns’ et comprendre que l’entrée au sein de l’élite politique mauricienne est une offrande. 

Cette stratégie s’inspire du ‘spinning’, selon lequel l’attention du citoyen est détournée des vrais débats vers des sujets accessoires ou de moindre importance. La manipulation des populations a toujours existé et existera toujours. Pour certains, il s’agit d’un art, alors que pour d’autres, c’est une science. Il y a ceux qui se sont spécialisés dans ce domaine et se mettent au service des politiques. Ce sont des ‘spin doctors’. Et ils développent des stratégies pour aider les leurs à gagner aux élections, à faire passer des idées, des lois, etc… De plus, chacune de ces familles a ses tirants d’adorateurs qui savent, qu’à chaque fois que leurs idoles seront au pouvoir, ils auront des grosses miettes comme récompenses.  

Il ne serait pas bête de penser que ces familles politiques puissent songer à protéger et renforcer leur légitimité et aussi à prendre des mesures proactives pour que la parole ne circule que dans le sens qu’elles veulent. Elles ont leurs passés, leurs présents et leurs avenirs à protéger. Ainsi, que ce soit à l’Assemblée nationale, sur les radios et les réseaux sociaux, on aura un modèle unique de la communication : celui d’empêcher que toute pensée contraire à la volonté ou la gloire du gouvernement ne puisse s’exprimer.  

Rajen Bablee

 

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