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Berguitta a bon dos

S’il existe des économistes qui passent pour des prévisionnistes, il y a aussi des prévisionnistes qui se prennent pour des économistes. S’essayant à une évaluation de l’impact économique du cyclone Berguitta, un météorologue à la retraite, friand de chocs médiatiques, dit prévoir

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« un ou deux points de croissance en moins ». Manifestement, il a confondu taux de croissance et part du produit intérieur brut. Le manque à gagner et les pertes subis par le pays pourraient être de l’ordre d’un pour cent du PIB, soit l’équivalent de quatre milliards de roupies. Mais ils n’induiraient pas pour autant une baisse du taux de croissance par un ou deux points de pourcentage.

Cette précision est utile dans la mesure où le gouvernement pourrait être tenté de mettre sur le dos de Berguitta l’éventualité que la croissance n’atteindrait pas, encore une fois, les 4% cette année. Alors que la Banque mondiale avait déjà annoncé 3,8% pour 2018, ce serait un beau prétexte pour justifier l’inefficacité des stratégies gouvernementales. Elles sont, en fait, responsables de la vulnérabilité de notre économie. En particulier, la politique de favoriser la construction à outrance met le pays à la merci des inondations causées par le passage d’un cyclone. Une petite île ne devrait pas dépendre du secteur de la construction pour sa survie économique !

La conversion de champs de canne en du béton pourrait, à long terme, coûter au pays une bonne partie de ce que l’immobilier a rapporté en termes d’investissement direct étranger. Depuis la visite du cyclone Dina, la Cybercité et plusieurs grands centres commerciaux sont sortis de terre, tandis que vingt-deux nouveaux hôtels et plus de huit cents villas de luxe ont été construits. En attendant les Smart Cities et la concrétisation de nombreux autres projets immobiliers, Maurice devra chercher des moyens pour ne pas se retrouver sous les eaux à chaque grosse averse.

Au lieu d’aller quémander des fonds à l’étranger au nom du changement climatique, le gouvernement ferait bien de revoir les très généreuses exemptions fiscales qu’il accorde aux promoteurs immobiliers. Elles sont déjà de plusieurs milliards de roupies ! De plus, s’il a pu imposer un fonds social de Rs 200 000 pour chaque villa sous le Property Development Scheme, qu’est-ce qui empêche le gouvernement d’y accoler un autre fonds pour financer des systèmes de canalisation ? La construction de drains était bien plus une priorité pour les habitants que celle d’une autoroute dans le sud au profit d’un groupe privé.

Mais les autorités préfèrent jongler avec des milliards plutôt qu’avec des millions, et elles s’illusionnent à croire que « quand la construction va, tout va ». Pourtant, malgré un rebond de 7,5% dans ce secteur l’année dernière, la croissance de l’économie n’a été que de 3,7%. Et elle sera de seulement 3,9% en 2018, selon Statistics Mauritius, même si la construction va croître de 9,5%.

Il serait plutôt intéressant de suivre la croissance hors sucre, indicateur qui élimine quelque peu le facteur cyclone. Elle était de 3,0% en 2002 (cyclone Dina), mais de 6,1% en 1994 (cyclone Hollanda). On rétorquera que c’est toute l’agriculture qui est affectée, mais la part de ce secteur dans le PIB n’est aujourd’hui que de 3,5%, contre 11% en 1994. Si l’industrie textile est tout aussi particulièrement concernée par le problème cyclonique, il faut savoir que sa contribution au PIB est passée de 10% en 2002 à moins de 4% en 2017.

Ainsi donc, contrairement au météorologue, l’économiste n’a pas à se montrer alarmiste sur l’impact économique des cyclones. Car l’économie mauricienne est de plus en plus tournée vers les services avec un secteur tertiaire qui en représente 76%. D’ailleurs, répète Statistics Mauritius, « production is relatively low in the first quarter », surtout dans les premières semaines de janvier, qu’il y ait cyclone ou pas. Au premier trimestre de 2017, une période qui a enregistré une croissance économique de 3,4%, la contribution de l’agriculture à cette dernière fut de 0,1 point, et celle de la manufacture quasiment nulle.

Autant le cyclone Berguitta impacte relativement peu la croissance économique, autant il influence un tantinet l’inflation. Il ne faut pas confondre inflation et niveau des prix. En disant craindre « une poussée de l’inflation », le Premier ministre se réfère sans doute à une augmentation exceptionnelle des prix de certains produits. L’inflation, elle, est une hausse générale et continue des prix. C’est ce qui explique qu’en janvier 2002, en dépit de Dina, le taux d’inflation en glissement annuel était supérieur à celui du mois précédent de seulement 0,1 point. Et à la suite de Hollanda en février 1994, il était inférieur de 0,2 point à celui de janvier de la même année.

Des prix peuvent être élevés sans qu’il y ait de l’inflation, à condition que la quantité de monnaie dans l’économie reste inchangée, car d’autres prix doivent alors forcément baisser. La monnaie, c’est comme le carburant qui permet une voiture de rouler. Or une voiture peut rouler à 110 km/h mais n’accélère pas. L’inflation, c’est l’accélération des prix.

Berguitta est certainement la cause des hausses de prix des légumes, mais sûrement pas de l’inflation. Le grand responsable de l’inflation, c’est la banque centrale. Qu’elle ne fasse pas porter à Berguitta le chapeau de son incapacité à contrôler la masse monétaire ! Actuellement, l’inflation est le cadet des soucis de la Banque de Maurice, car l’institution a émis trop de titres (Rs 56 milliards à novembre dernier) qu’elle financera à perte. Sa politique de la roupie faible, pour faire plaisir aux industriels proches du ministre des finances, lui coûtera très cher.

 

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