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Baisse des taux américains : quel impact sur la roupie mauricienne?

La Banque de Maurice dispose-t-elle d’une marge d’intervention sur le marché ?

Le recul des taux américains pourrait influencer la roupie, mais les fragilités économiques locales limitent les perspectives d’appréciation durable.

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La récente baisse des taux directeurs par la Réserve fédérale américaine ravive l’attention portée sur le taux de change entre le dollar américain et la roupie mauricienne. À la lumière des ajustements monétaires opérés par plusieurs grandes banques centrales, la roupie évolue dans un environnement complexe, soumis à la fois aux décisions externes et à des déséquilibres économiques internes.

Pour la première fois en 2025, la Réserve fédérale a baissé son taux directeur de 25 points de base, le ramenant dans une fourchette de 4 % à 4,25 %. Cette décision, prise le 17 septembre, intervient après une période de stabilité monétaire visant à contenir l’inflation tout en tenant compte des signaux d’un ralentissement économique.

Bien que cette mesure ait été anticipée, elle marque une inflexion dans la stratégie de la Fed. Le président Jerome Powell a rappelé que les futures décisions dépendront des données économiques et non d’un calendrier prédéfini. Selon les prévisions compilées par Refinitiv, deux nouvelles baisses sont envisagées avant la fin de l’année, suivies d’une troisième au premier trimestre 2026.

De leur côté, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre ont également modifié leurs taux ou envisagent de le faire. La BCE a réduit son taux directeur à 2,00 % en juin, puis l’a maintenu en juillet. La BoE, après une période de stabilité, a abaissé son taux à 4,00 % en août, indiquant toutefois que l’assouplissement monétaire touche à sa fin.

Appréciation de la roupie

À Maurice, la Banque centrale a maintenu son taux directeur à 4,5 % lors de sa dernière réunion. Le gouverneur Rama Sithanen a souligné que le ralentissement de la demande mondiale, notamment en lien avec des tensions commerciales persistantes, pourrait exercer une pression à la baisse sur le dollar. Dans ce contexte, les économies fortement dépendantes des importations, comme Maurice, pourraient voir un effet modérateur sur les prix à l’importation.

Sur le marché local, le taux de change dollar-roupie a affiché une baisse mesurée, passant de Rs 46,13 le 19 août à Rs 45,81 un mois plus tard. Cette évolution s’inscrit dans une série d’interventions ciblées de la Banque de Maurice. Trois opérations de vente de dollars ont été réalisées, à savoir, 10 millions de dollars à Rs 45,65 le 25 août, puis 15 millions à Rs 45,50 le 10 septembre, et enfin un autre montant équivalent à Rs 45,26 le 16 septembre.

Pour Bhavik Desai, General Manager chez Accresco, ces interventions ne sont pas nouvelles. « Elles existent depuis 2010 et servent principalement à encadrer les fluctuations excessives du taux de change », précise-t-il. Selon lui, ces opérations ne semblent pas avoir affecté le niveau des réserves internationales, qui s’élèvent à plus de 9 milliards de dollars, soit l’équivalent de plus de douze mois d’importations.

Perspectives

La théorie économique voudrait que l’écart croissant entre les taux d’intérêt mauricien et américain renforce la demande pour la roupie, à mesure que les rendements en roupies deviennent relativement plus attractifs. Bhavik Desai explique que si l’on compare deux devises, celle qui offre un rendement supérieur tend à attirer plus de flux financiers.  Il nuance toutefois. Cette logique, dit-il, tient dans un cadre théorique.

« Dans la réalité mauricienne, notre déficit commercial persistant pèse lourdement. Alors que le déficit représentait en moyenne 20 % du PIB avant la pandémie, il a atteint près de 30 % au cours des trois dernières années. Ce qui se traduit par une demande constante en devises fortes, notamment en dollars », avance Bhavik Desai.  Les données récentes du commerce extérieur appuient cette analyse. Au premier trimestre 2025, les importations de biens et services ont progressé de 7,3 %, soutenues par une consommation intérieure dynamique. En parallèle, les exportations n’ont augmenté que de 2,2 %, en raison de résultats plus faibles dans le secteur des services, notamment le tourisme. En juillet, le déficit commercial visible s’est établi à Rs 14,57 milliards.

Pour Bhavik Desai, « tant que la demande en devises fortes reste aussi soutenue, les effets positifs d’un différentiel de taux en faveur de la roupie risquent d’être tempérés ». 

En chiffres

Évolution du taux de change dollar-roupie sur un mois (2025)

  • 19 août : Rs 46,13
  • 3 septembre : Rs 46,62
  • 17 septembre : Rs 45,48
  • 19 septembre : Rs 45,81 

Cédric Beguier, responsable de la stratégie d’investissement chez AXYS

À la lumière de la récente baisse des taux de la Fed et des anticipations de nouvelles baisses, quelles sont les perspectives à court et moyen terme pour le taux de change USD/MUR ?
À court terme (un à trois mois), la baisse des taux américains enlève un peu de pression sur le « super-dollar ». Ce qui ne signifie pas une appréciation forte de la roupie, mais plutôt une phase de stabilisation relative, avec des mouvements ponctuels. L’arrivée de devises liée à la saison touristique aide, mais elle est souvent suivie d’une reprise des importations.

À moyen terme (six à douze mois), tout dépendra du cadre de la politique économique locale. Pour que la roupie tienne, le taux directeur mauricien doit rester suffisamment attractif, avec un différentiel d’au moins 150 à 250 points de base par rapport au taux américain. Il faut aussi freiner le crédit à la consommation et réduire les importations non essentielles. Sans ces ajustements, une dépréciation graduelle reste le scénario le plus probable.

Comment évaluez-vous l’efficacité des interventions récentes de la Banque de Maurice sur le marché des changes ? 
À court terme, les interventions ont été efficaces pour calmer la volatilité et éviter des mouvements excessifs. Mais elles restent des mesures temporaires. Sans traitement de fond, on ne peut pas espérer inverser la tendance.

La soutenabilité dépend des réserves de change et du déficit courant. Si on utilise les dollars sans ajuster la politique monétaire, le crédit ou la demande d’importations, on risque d’épuiser les réserves. Il faut donc inscrire les interventions dans une stratégie claire, soit prévoir des fenêtres d’intervention, utiliser des produits à terme (forwards, swaps), stériliser la liquidité après chaque opération et reconstituer les réserves dès que possible.

Quels sont les risques liés à l’évolution récente du taux dollar-roupie pour l’inflation et la balance commerciale ?
Trois risques majeurs :
•Inflation importée : une roupie plus faible renchérit les produits importés, notamment l’énergie et l’alimentation. Si les salaires suivent, les anticipations inflationnistes peuvent s’installer.
•Balance commerciale : l’augmentation du taux dollar-roupie alourdit la facture des importations, souvent plus vite que ne progressent les exportations. Le tourisme ne suffit pas toujours à compenser.
•Bilans d’entreprise : les entreprises endettées en dollars voient leur charge augmenter, tout comme leur coût du capital si les taux montent.

Solutions

La stabilité durable de la roupie dépendra moins d’interventions ponctuelles que d’une politique cohérente et d’une économie génératrice de devises. Il faut maintenir un écart de taux crédible, freiner le crédit à la consommation, prioriser l’allocation de devises (énergie, santé) et inciter la création de recettes en devises (export de services, IDE productifs). Les entreprises doivent couvrir trois à neuf mois de besoins en devises, établir un taux de change budgétaire réaliste et aligner dépenses et recettes dans la même devise.

 

 

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