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Avortement : décriminaliser pour mieux protéger ? 

La récente décision du Medical Council de radier le Dr Arvind Ramgulam, gynécologue, a relancé le débat sur l’avortement. Les avis divergent, mais tous réclament une meilleure protection de la femme, de l’enfant et de leurs droits. La solution résiderait-elle dans la décriminalisation ? Tour d’horizon. 

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«Mo gayn onte. » C’est la réponse qui revient lorsqu’on essaie d’aborder le sujet de l’avortement avec certaines femmes. Avouer qu’elles ont eu recours à l’avortement n’est pas une chose facile. « Si mo reponn ou mo pou al ferme », lance une autre femme, sans oser dire haut et fort si elle s’est fait avorter. 

Mais dès que l’on change la question, les langues se délient. Pour cela, il suffit de demander « connaissez-vous quelqu’un qui s’est fait avorter ? ». La plupart des répondants connaissent bien une personne de leur entourage. « Mo vwazin, mo kamarad, mo ser… » 

Et comment se faire avorter à Maurice ? À 16 ans, S.G. accepte de nous parler en présence de sa mère. Elle précise que ce qu’elle nous dira ne la concerne pas personnellement. « Mo ti ena enn kamarad lekol ki ti ansint. Li ti ena 15 an. So mama ti amenn li kot enn dokter. Li pann dakor pou fer avortman akoz so laz. Pourtan tou dimoun kone kapav fer sa laba. » Elle donne même le nom du médecin. « Finalman linn al fer pikir dan enn farmasi. Linn gagn konprime lerla sa inn desan. »

Nous avons contacté le médecin en question. Ce dernier, très fâché, nous a raccroché au nez. Quant à la pharmacie mentionnée par la jeune fille, c’est le gérant lui-même qui a pris l’appel. Sur un ton agressif, il a répondu que l’on faisait des allégations gratuites à son égard et qu’il entamerait des poursuites contre nous. 

Pourtant, une autre femme mentionne la même pharmacie. « Me si ou dimande koumsa mem, banla pa pou dir ou. Fode enn dimoun ki zot kone ki amenn ou laba. Lerla enn sel misie ki okip sa. Proprieter la kone ki ou pe vinn fer kan ou rod zis sa dimoun la, selma zame li pou koz sa ar ou. Ou zis bizin dir ou pe vinn fer pansman ek misie X, lerla li amenn ou dan enn ti lasam, li fer pikir dan ou lahans ek li donn ou 4 konprime dan enn ti plastik. Ou donn kas laba mem. Sa pas vit, mem pa 2 minit. » Elle raconte que la douleur qui suit est cependant insupportable. « Ou gagn douler vant kan sa desann. Ou bizin repoze. » 

Si les méthodes de grand-mère sont aussi mentionnées par certaines femmes, d’autres parlent d’hypocrisie en ce qui concerne ce sujet. « Si ou ena kas, tou dimoun kone ou kapav al dan enn klinik ek ou fer li. Zinekolog la pou kone ki li pou mete lor ou papie. Tou dimoun bien okouran. Ena 20 an ek Rs 17 000 ou ti kapav fer li, asterla sakenn met so pri. Zot kone pa gagn drwa ek souvan se bann tifi miner ou mwins ki 20 an ki vini », explique une infirmière sous le couvert de l’anonymat. 

Dr Veyasen Pyneeandee, gynécologue-obstétricien-chirurgien : «Le risque de stérilité et d’infection est très élevé»

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Selon le Dr Veyasen Pyneeandee, l’avortement comporte certainement des risques, surtout dans la façon de procéder. « Dans les pays européens, la date limite d’un avortement est de 14 semaines. Cela est fait dans un cadre bien établi avec des médecins qualifiés. L’avortement est effectué avec des cachets et en parallèle, un exercice similaire au curetage. Dans ce cadre établi, les risques sont minimes pour la mère », dit-il.

Dans un deuxième temps, selon le gynécologue, au-delà des 14 semaines, l’avortement devient plus dangereux. « Les risques deviennent importants, car cela peut causer des hémorragies, des infections septiques, notamment par des bactéries qui peuvent causer la perte de l’utérus, allant même jusqu’à la mort de la femme », prévient-il. 

Quelles séquelles pour la patiente ? Le médecin précise que suivant un avortement, la femme peut souffrir d’endométriose à cause des petits déchets du placenta qui restent à l’intérieur et qui provoquent une douleur des règles, allant même à la stérilité. 

Selon le Dr Veyasen Pyneeandee, concernant l’avortement à Maurice, les risques sanitaires sont présents, car souvent les patientes ont recours à l’avortement au noir, donc illégal. « Les risques que peut encourir la femme sont surtout les infections majeures, avec le risque de perdre l’utérus et perdre la vie. Les instruments utilisés ne sont souvent pas stériles. Deuxièmement, le risque d’un avortement dans ces conditions est souvent la stérilité. J’ai consulté des patientes qui ont fait plusieurs avortements, et à la suite d’infections, leurs trompes se sont bouchées », précise-t-il. 

Le professionnel explique aussi qu’à Maurice, le diagnostic de la grossesse n’est pas fait correctement. « Souvent, l’on procède à l’avortement lorsque la femme fait une grossesse extra-utérine, c’est-à-dire la grossesse est située dans la trompe. Par conséquent, l’avortement ne sert pas à grand-chose », soutient-il.

Opinions

Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association : «Il faut un assouplissement des lois»

vidyaL’avortement thérapeutique est autorisé sous certaines conditions depuis 2012. Or bien qu’il ait fallu lutter pour que des amendements soient apportés à la loi, cela reste restrictif car c’est seulement sous certaines conditions qu’une femme peut se faire avorter, fait comprendre la directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association

« Nous faisons un plaidoyer auprès des autorités afin qu’il y ait un assouplissement en ce qui concerne cette loi. Car il y a encore beaucoup de femmes qui vivent dans des conditions difficiles et qui n’arrivent pas à mettre un terme à leur grossesse. Par conséquent, elles se tournent vers la clandestinité pour s’en débarrasser », précise Vidya Charan. 

Elle est d’avis qu’un couple devrait pouvoir choisir quand il veut avoir un enfant et quand il veut refuser d’en avoir. « Les services sont là certes, notamment la contraception, mais les lois sont restrictives », déclare-t-elle. Vidya Charan prône la liberté de laisser le choix aux futurs parents d’accueillir un enfant lorsqu’ils le souhaitent, tout en respectant la loi, les normes qui ont été établies ainsi que les procédures. « Mais il faut s’assurer qu’il n’y a pas d’abus », souligne-t-elle.

Plus d’un millier de cas chaque année

Selon nos informations, il y a davantage de « post-abortion complication cases ». C’est-à-dire des patientes qui ont essayé de se faire avorter, mais qui ont dû être admises dans des hôpitaux ou cliniques privées pour se faire soigner. Selon la World Health Organisation, un cas sur 10 est sujet à des complications.

Il y a encore beaucoup de femmes qui vivent dans des conditions difficiles et qui n’arrivent pas à mettre un terme à leur grossesse. Elles se tournent vers la clandestinité pour s’en débarrasser»

Vidya Charan explique que plusieurs femmes se retrouvent dans l’obligation de terminer leur grossesse pour plusieurs raisons. « Certaines n’étaient pas prêtes pour concevoir, mais sont accidentellement tombées enceintes. D’autres avaient des problèmes conjugaux. Ou encore, dans quelques cas, la violence sexuelle était à l’origine de la grossesse », précise-t-elle. 

Selon elle, d’autres raisons peuvent pousser une femme à l’avortement, notamment la pauvreté, c’est-à-dire les moyens financiers manquent pour prendre en charge l’enfant. En outre, souvent, c’est une relation conflictuelle avec le conjoint qui pousse à l’acte.

Pour conclure, Vidya Charan affirme que le pays a fait un pas en avant sur le sujet. « Nous espérons qu’il y aura un assouplissement dans les lois et le problème devrait être réglé, surtout concernant l’aspect médical », avance-t-elle.

Elena Rioux, travailleuse sociale : «La femme devrait avoir le droit de choisir»

helenaSelon Elena Rioux, travailleuse sociale, la femme devrait avoir le droit de choisir. « Notre corps nous appartient et il faudrait que la femme puisse choisir », revendique-t-elle. « Il est vrai qu’auparavant et même actuellement, l’avortement était synonyme d’ôter la vie d’un individu. Mais c’est dépassé. Si une personne ne peut prendre en charge un enfant, il vaut mieux en arrêter là dès le départ, au lieu que celui-ci vienne au monde pour souffrir », lance-t-elle. 

Cette dernière est d’avis qu’il est temps de revoir les lois. « Les décideurs doivent revoir les lois, car beaucoup de femmes perdent la vie à cause des avortements illégaux. Combien de femmes vont encore mourir clandestinement ? Combien de femmes devront subir d’élever des enfants qu’elles n’ont pas désirés ? Lorsqu’un enfant n’est pas désiré, c’est l’enfant et la femme qui en souffrent. »

Témoignages 

A.K, père de famille : « Je suis autant coupable que ma femme »

Il a accepté de témoigner, car il estime que trop souvent, la femme est jugée comme la seule coupable dans les cas d’avortement. « Il faut arrêter de ne montrer du doigt que les femmes. L’avortement est une décision qui les concerne principalement, mais en tant que partenaires de vie, nous sommes souvent appelés à prendre des décisions avec elles. Ma copine et moi, nous n’avions que 17 ans quand elle est tombée enceinte. Je n’en avais pas parlé à mes parents à l’époque, car ils avaient déjà dit dans le passé que si cela arrivait un jour, ils me mettraient à la porte. Ma copine, par contre, en a parlé à sa mère. Elle attendait un soutien de sa part. » 

A.K. se souvient très bien de ce jour. « Sa mère a éclaté en sanglots. Elle était fille unique, élevée par une mère célibataire. Cette dernière lui a dit que désormais, tout le monde dirait qu’elle n’a pas su élever sa fille. Je savais que ma copine voulait garder le bébé. On n’était certes pas prêts à devenir parents, mais on savait tous les deux qu’on aurait pu garder le bébé. »

Finalement, ils ont tous deux pris la décision de procéder à un avortement. « Je suis allé chercher des médicaments. Je me suis renseigné auprès des amis et j’ai dû donner beaucoup d’argent pour obtenir les cachets. Mais après qu’elle les a pris, rien ne s’est produit. Une échographie a confirmé que le bébé était toujours là. C’était comme un message du destin. Mais encore une fois, sa mère nous a convaincus de ne pas garder l’enfant. Linn fini pran medsinn, zanfan la pa pou viv mem », a-t-elle avancé. 

Les deux se sont alors rendus chez plusieurs gynécologues. Certains ont refusé en disant qu’elle était mineure. L’un d’eux a proposé de le faire « avec une pince ». « Ma copine a pleuré ce jour-là, elle avait peur. Je savais moi aussi qu’elle allait souffrir et nous avons refusé. Finalement, sa mère a emprunté de l’argent pour payer un gynécologue qui a accepté de le faire sous anesthésie générale. Bref, tout cela pour vous dire que c’est la femme qui souffre avant tout, mais notre implication n’est pas des moindres. »

J.H : « Elle a enfoncé une valve en caoutchouc dans mon vagin »

Après plus de 40 ans, il n’est pas facile pour J.H. de parler de son expérience. Cependant, elle estime que cela pourrait lui servir de thérapie. Aujourd’hui sexagénaire, elle raconte ses 20 ans. « Je n’étais pas mariée. Je n’étais même pas financée. J’avais très peur. » Elle explique que son copain avait fait des démarches pour procéder à l’avortement. « Il s’est renseigné et a appris qu’une infirmière pratiquait des avortements dans la capitale. Je ne veux pas mentionner son nom, mais je la connais. »

Elle n’oubliera jamais cet épisode de sa vie. « Elle ne s’est pas servie d’une baleine de parasol mais plutôt d’une valve en caoutchouc qu’elle a enfoncée dans mon vagin. J’ai eu mal. J’ai hurlé et par la suite, je suis rentrée chez mes parents », raconte-t-elle. Ce soir-là, elle n’a rien ressenti. Cependant, le lendemain, elle a commencé à avoir des douleurs atroces. « J’ai demandé à mes parents d’aller passer le week-end chez ma tante. Je n’ai jamais autant souffert. Je m’asseyais pendant longtemps dans les toilettes et je saignais abondamment. Ma tante me posait des questions, mais je lui disais que j’avais mes règles. Ça a duré pendant trois jours. »

Elle raconte qu’elle a eu le soutien de son copain, mais que ce dernier était impuissant. Depuis, elle a demandé à son petit ami de mettre un préservatif. « Il ne voulait pas et disait qu’il allait pouvoir se contrôler. Six mois plus tard, je suis retombée enceinte. Il m’a donné du Cytotec à boire et j’ai encore une fois souffert, même si c’était moins que la première fois. Et je me suis dit plus jamais. » 

Une fois mariée, elle refuse de se faire avorter de son premier enfant. Cependant, quelques années plus tard, elle n’a pas le choix, victime de violence domestique. Lorsqu’elle lui annonce une autre grossesse, son mari l’oblige à se rendre chez l’infirmière de la capitale. « Je me rappelle lui avoir écrit une lettre que j’ai cachée dans mon soutien-gorge. Je lui disais que je ne voulais plus jamais faire d’autre avortement et je lui ai demandé de dire à mon mari que je ne pouvais pas me faire avorter car je risquais de mourir. Je voulais qu’elle entende mon appel au secours. Elle a pu lire la lettre et elle a dit à mon mari que l’avortement ne pouvait pas se faire. » 

Elle tombe enceinte une troisième fois. « C’était une femme très connue. Elle a utilisé une baleine, elle m’a martyrisée mais le bébé n’est pas sorti. Elle m’a envoyée chez un médecin. Il l’a aspiré et l’a jeté dans un seau… » En pleurs, elle explique que pour la première fois, elle a vu ce qu’il y avait dans le seau. « Je voyais le fœtus, je ne pouvais pas m’empêcher de pleurer et je n’avais personne pour en parler. »

 

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