Les faits sont indéniables : une enquête nationale menée en 2021 démontre un rajeunissement et une féminisation de la consommation de drogue à Maurice. À cette époque, le pays comptait 55 000 usagers de drogues non injectables et 6 600 usagers de drogues injectables. Les intervenants de l’émission « Au cœur de l’info », animée ce lundi par Ruth Rajaysur et Patrick Hilbert, ont souligné qu’il reste encore beaucoup à faire en matière de prise en charge des toxicomanes.
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Rajeunissement et féminisation
Le profil des usagers de drogue a subi des changements notables. Les intervenants de l’émission ont confirmé un rajeunissement et une féminisation de la toxicomanie à Maurice. Bien que ce constat ne soit pas récent, il se dessine depuis quelques années et perdure, comme l’ont expliqué Georgette Talary du centre Chrysalide, Samad Dulloo du centre Idrice Goomany et José Ah Choon, travailleur social et ancien directeur du centre d’accueil de Terre-Rouge (CATR). Selon une enquête nationale menée en 2021, Maurice comptait alors 55 000 usagers de drogues non-injectables et 6 600 usagers de drogues injectables, comme l’a affirmé le Dr Nitish Raj Sookool, Officier in Charge de la Harm Reduction Unit (HRU) du ministère de la Santé.
Georgette Talary a fait observer que le centre Chrysalide accueillait des femmes de plus de 35 ans à ses débuts il y a 20 ans. Cependant, la situation a évolué et le centre accueille désormais des femmes de moins de 35 ans, voire des filles à partir de 18 ans. Samad Dulloo a également constaté cette évolution, affirmant que le plus jeune patient que le centre Idrice Goomany a accueilli n’avait que 13 ans. Selon José Ah Choon, la situation de la toxicomanie à Maurice est alarmante, surtout parce que ce fléau touche de plus en plus les jeunes dès le collège.
Le Dr Tanroonsing Ramkoosalsing, consultant en psychiatrie, a noté que les jeunes consomment moins de boissons alcoolisées et privilégient des produits illicites pour se droguer. Il a expliqué que c’est souvent sous la pression de leurs pairs qu’ils essaient ces substances, en pensant pouvoir arrêter quand ils le souhaitent, ce qui s’avère difficile par la suite. Pour lui, la toxicomanie est devenue un problème majeur de santé publique. Il a souligné que décrocher de l’héroïne est plus difficile que des autres produits et que le traitement de l’addiction à la drogue de synthèse est basé sur les symptômes présentés par le patient, faute d’un traitement définitif.
Harmonisation de la réhabilitation
Face à la polytoxicomanie (consommation de diverses substances), les intervenants s’accordent sur la nécessité de réviser le programme de réhabilitation. La stratégie de réhabilitation et de traitement doit être revue et améliorée, a soutenu José Ah Choon. Il a également déploré le manque de cohésion entre les différentes ONG, notant que chacune ne va pas dans la même direction. « Il existe un manque de synergie pour réduire le taux de consommation de drogue », a-t-il expliqué. Tant pour lui que pour Samad Dulloo, il est crucial de standardiser le programme de réhabilitation et de traitement des usagers de drogue.
Georgette Talary a tenu à clarifier que la détoxification et la réhabilitation ne sont pas la même chose. Elle a souligné que la réhabilitation est un processus long visant à permettre au patient de se retrouver et de redevenir fonctionnel. « Il est crucial d’utiliser des médicaments pour traiter l’addiction et le manque. C’est après cela qu’il devient possible de ‘reconstruire’ une personne », a-t-elle expliqué. À la fin du traitement, l’accompagnement familial ainsi que la réinsertion professionnelle sont également essentiels.
Toutes les sphères de la société
Les divers intervenants ont souligné que la toxicomanie touche toutes les sphères de la société. Ils ont affirmé qu’aucune région n’est épargnée par ce fléau, qui est présent aussi bien dans les villes que dans les villages, comme l’a mentionné Samad Dulloo. Alors qu’auparavant la drogue était principalement présente chez les personnes ayant un faible niveau scolaire, Georgette Talary et Samad Dulloo ont noté que ce n’est plus le cas de nos jours. La toxicomanie touche désormais des professionnels hautement éduqués, des fonctionnaires ainsi que des marchands de rue, entre autres. « Cette situation nous interpelle », a déclaré le travailleur social du centre Idrice Goomany.
Programmes de réhabilitation
Outre les centres gérés par les ONG, le ministère de la Santé a mis en place plusieurs centres de traitement et de réhabilitation. La capacité d’accueil des patients désirant échapper à l’emprise de la toxicomanie a considérablement augmenté, a affirmé le Dr Nitish Raj Sookool. Il a expliqué qu’il n’y a plus de liste d’attente, car les cinq centres désormais disponibles ont accueilli 1 567 personnes en 2022, contre 800 précédemment.
Le Dr Sookool a également rappelé que les autorités, en collaboration avec les ONG, ont lancé en 2006 des programmes de réduction des risques à travers des méthodes de substitution et de maintenance, notamment le programme de méthadone et l’échange de seringues. « Nous pouvons désormais accueillir davantage de patients dans le programme de thérapie de maintenance », a-t-il affirmé. Selon les derniers chiffres disponibles, environ 8 000 patients suivent le programme de traitement à la méthadone, considéré comme l’une des meilleures approches pour sortir de la toxicomanie et se réintégrer dans la société.
Pour une légalisation contrôlée du cannabis
Kunal Naïk, psychologue et addictologue, a plaidé en faveur de la légalisation contrôlée du cannabis, ce qui contribuerait à combattre le trafic d’autres drogues plus addictives et dangereuses, a-t-il souligné. Il a notamment mentionné les drogues de synthèse.
Le DUAP bientôt en vigueur
Le programme Drug Users Administrative Panel (DUAP) sera bientôt en vigueur, a indiqué le Dr Sookool. Mis en place suite aux amendements à la section 34 de la Dangerous Drugs Act, ce programme concerne les consommateurs de drogue qui, s’ils sont arrêtés par la police, auront le choix entre des poursuites judiciaires ou un programme de réhabilitation et de réinsertion. Ce programme sera proposé à la suite d’une enquête policière et en l’absence de circonstances aggravantes, a précisé le Dr Sookool.
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