Il y a 186 ans, le bateau Atlas, en provenance d’Inde, aborde les quais de Port-Louis, avec, à son bord, 36 travailleurs engagés, marquant le début de la ‘Grande Expérience’. Satyendra Peerthum, qui a consacré de nombreux ouvrages à leur sort au sein de l’Aapravasi Ghat Trust Fund, nous fait voyager dans le temps.
Les 36 premiers engagés d’Arbuthnot
Saroop Sirdar, Sabaram Mate, Bhoodhoo, Champah, Bhundhoo, Choonearam, Juttoo, Chota Bhoodhoo, Bachoo, Aryoon, Rammohan, Sookram, Dhicram, Ghonssee, Bhooosan, Chota Chooneelall, Bigna, Auklah, Lungen, Callachend, Bholah, Tisera Bhoodhoo, Sibchure, Chota Bhundhoo, Deenram, Budhrem, Mugtoo, Jhareeah, Choylun, Choolango, Bhagyarath, Chungaram, Chola Muggroo, Chota Dhicram, Dookhun et Bhomore.
Saroop Sirdar : le recruteur
Saroop Sirdar, un Indien du Bihar, était le recruteur. Il a accompagné et a été le médiateur de l’équipe des 35 engagés. Il s’est fait aider par son coéquipier Sabaram. Dans les années 1850, Saroop Sirdar a acheté un petit lopin de terrain et n’est pas retourné en Inde après son contrat de 5 ans.
Bhoyrubee : une battante
Bhoyrubee, originaire du Bengale, a fait partie de ‘Grande Expérience’. Elle est arrivée à Maurice en 1851, avec son époux, ses 2 enfants, sa sœur et son père. Lors une épidémie de malaria, qui frappe l’île entre 1865 et 1868, elle perd son époux et ses enfants. Loin de se laisser décourager par ce triste sort, elle achètera un terrain et épousera un certain monsieur Nundlall, avec qui elle aura 5 enfants.
Septembre 1834
La frénésie sucrière bat son plein. L’esclavage tire à sa fin. George Charles Arbuthnot, un marchand et entrepreneur britannique, à qui appartenait Hunter-Arbuthnot & Company, a besoin de main-d’œuvre additionnelle pour faire fonctionner la propriété sucrière Belle Alliance, aussi appelée Antoinette Sugar Estate ou encore Phooliyar, dont il est en partie propriétaire. Comme l’île Maurice et l’Inde sont à l’époque, tous deux, dans l’Empire britannique et que la Grande péninsule est relativement proche, Arbuthnot recrute 36 laboureurs, tous des hommes, originaires de la région rurale du Bihar.
« En Inde, à l’époque les gens allaient de ville en ville pour travailler. Ces 36 laboureurs étaient à Calcutta au moment où ils ont été recrutés », explique Satyendra Peerthum, historien, chercheur, et écrivain.
Les 36 laboureurs indiens signent un contrat d’engagement de cinq ans devant C. McFarlan, le chef magistrat de Calcutta, le 12 septembre 1834. Dans le contrat, il est stipulé qu’ils auront droit à un salaire de Rs 5 par mois, de la nourriture, des vêtements, un logement.
Le 2 novembre 1834
Après une traversée de 7 semaines, le bateau Atlas jette l’ancre dans le port à Trou-Fanfaron, le 2 novembre 1834.
« Comme c’était un dimanche, la douane était fermée. Ils sont donc restés à bord le 2 novembre.» Le 3 novembre, G.C. Arbuthnot demande la permission au gouverneur William Nicolay de ramener ses ouvriers à terre. Après les démarches administratives, les 36 ouvriers indiens débarquent le 4 novembre.
Au domaine sucrier Belle Alliance
Ils sont ensuite emmenés à Belle Alliance, le domaine sucrier de 502 acres d’Arbuthnot, près du village de Barlow, à Rivière-du-Rempart, pour travailler.
Après l’abolition de l’esclavage, le gouvernement britannique avait entrepris ce qu’il appela, « The Great Experience » (La grande expérience) ou le recours à la main d’œuvre engagée pour remplacer les esclaves.
Les 36 engagés, pas les premiers
Selon Satyendra Peerthum, les coolies d’Arbuthnot n’étaient pas les tout premiers ouvriers indiens sous contrat à poser le pied sur le sol mauricien.
« On rapporte que dès 1825, Adrien d’Epinay avait importé des ouvriers indiens pour travailler dans son domaine sucrier de Haute-Rive, à Rivière-du-Rempart. Apparemment, ils travaillaient côte à côte avec des esclaves africains dans les champs de canne à sucre. Des recherches récentes aux archives de Maurice et au Mahatma Gandhi Institute révèlent que de janvier 1826 à août 1834, les planteurs mauriciens et britanniques avait déjà importé plus de 2 250 engagés indiens et chinois. Cependant, en dehors des sources secondaires, il n’existe pratiquement aucun document historique de cette période pour vérifier la véracité historique de cette première expérience avec le travail indien sous contrat», indique l’historien.
VENUS en Vagues successives
Entre 1834 et 1839, 25 468 Indiens font partie de la première vague d’immigration indienne. Au total, environ 23 281 hommes avec seulement 727 femmes et 175 enfants.
« Selon le professeur J.C. Jha, près de 15 000 provenaient de Calcutta et Bombay et plus de 9 000 de Madras et de l’Andra Pradesh. Plus de la moitié des premiers immigrants indiens appartenait à des tribus rurales appelées les Oraons, les Mundas, les Bhumijes et les Santals », précise Satyendra Peerthum.
D’autres vagues d’immigration de grande ampleur arriveront par la suite en provenance de Bombay, Calcutta ainsi que de Madras, et ce, jusqu’en 1910.
En chiffres
462 800. C’est le nombre d’engagés qui ont débarqué à l’île Maurice. Si 452 800 étaient des Indiens, 16 659 étaient Malgaches, Comoriens, Chinois ou d’Afrique continentale. On comptait quelques Omanais et Yéménites ainsi que des Indo-Réunionnais.
300 000 ayant appris à aimer l’île Maurice, qu’ils ont façonnée, ils y fondent leur famille et y prennent racine.
15 000 ont fait l’aller-retour avec l’Inde
Des 162 800 qui retournèrent dans leur pays d’origine à l’expiration de leur contrat entre 12 à 15 000 étaient des indo-mauriciens, c’est-à-dire étaient nés à Maurice.
Contribution à l’effort industriel et économique
L’introduction de dizaines de milliers d’engagés après 1834, contribua au peuplement de l’île, à l’effort industriel et économique et fit de l’île Maurice la plus importante colonie sucrière dans l’Empire britannique.
1844 : Maurice devient le plus grand exportateur de sucre dans l’Empire britannique.
1846 : les engagés indiens représentent presque 85 % du nombre total des ouvriers agricoles et plus de 95 % des employés dans les domaines sucriers.
1855 : l’île Maurice produisait près de 7 % du sucre mondial.
1871 : les engagés indiens représentent plus de deux-tiers des résidents permanents.
1910 : à la fin de l’engagisme, en 1910, les engagés indiens comptent pour 70 % de la population totale de la colonie.
L’Aapravasi Ghat
Un dépôt communément appelé Coolie Ghat fut construit à Trou-Fanfaron en 1849. C’était le lieu de débarquement des travailleurs engagés indiens dans l’île. Après son classement au registre des monuments nationaux, le 11 avril 1987, le dépôt d’immigration fut renommé Aapravasi Ghat ou « lieu d’arrivée des immigrants » en novembre 1989. Les immigrants restaient à l’Aapravasi Ghat deux jours environ, le temps des formalités administratives précédant leur emploi dans les domaines sucriers. L’Aapravasi Ghat est classé site patrimoine mondial de l’Unesco le 16 juillet 2006.
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