Dans cet entretien exclusif au Défi Media Group, le CEO d'IBL s’explique sur la performance du premier groupe diversifié de Maurice, les secteurs qui souffrent et les mesures à prendre pour éviter la crise. Sur le plan politique, il estime que le gouvernement devrait se concentrer sur les défis au lieu de se préparer pour les prochaines élections.
Presqu'à mi-chemin de l’année financière 2018-2019, comment se présente la performance du groupe par rapport à la période similaire en 2017-2019 ?
IBL Limited est un conglomérat mauricien opérant dans de multiples secteurs d’activité. Au premier semestre de l’année fiscale 2018-2019, le chiffre d’affaires est passé de Rs 19,3 milliards à Rs 20,2 milliards. La profitabilité a chuté à Rs 967 millions contre Rs 1,2 milliard, comparé au semestre similaire en 2017-2018.
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Par rapport aux perspectives pour le second semestre et l’année, je resterai prudent car IBL Limited est une entité présente à la Bourse de Maurice. Ceci étant dit, lors de la publication du bilan semestriel, nous avons signifié aux actionnaires et partenaires en général que la croissance dans les revenus serait intéressante et qu’il y aurait un rattrapage relatif aux profits en baisse. De manière générale, nous bouclerons la présente année financière avec des résultats qui seront tout à fait convenables et acceptables.
Nous avons assisté à une consolidation dans la grande distribution avec Winner’s faisant l’acquisition de Shoprite et Monoprix. En quoi est-ce bénéfique pour Winner’s, qui est déjà leader du marché ?
La grande distribution est un secteur très concurrentiel à Maurice. Il y a énormément de chaînes de supermarchés, qu’elles soient des enseignes internationales (Jumbo, Super U et Intermart) ou des groupes locaux (Winner’s, Lolo’s et Dream Price). Elles font leur chemin au sein d’une société de consommation très active.
Winner’s a eu l’opportunité d’acquérir Monoprix il y a un an et demi. Nous avons fermé le supermarché à Bagatelle afin de consolider les opérations sur Trianon, où se trouve désormais le nouveau Winner’s Hyper et avons ouvert à Port-Louis, sur les anciens locaux de Shoprite. Cette consolidation est nécessaire. Nous devons faire preuve d’ingéniosité pour mieux gérer nos marges - des marges qui sont très fines dans la grande distribution – et atteindre cette masse critique qui est essentielle.
Il ne faudrait pas cependant basculer dans un extrême à l’instar du groupe Casino en France, qui a vu une détérioration de ses marges, des départs de clients, une chute de l’action en bourse, parce que l’enseigne s’est engagée dans une voie ne correspondant pas aux attentes du consommateur. À Maurice, à travers nos 25 supermarchés Winner’s et le site de vente en ligne, nous jouons la carte de la proximité. Nous nous rapprochons des clients. Nous offrons des solutions et nous voulons que le service soit irréprochable, sachant que les produits disponibles sur nos rayons sont grosso modo les mêmes partout. Car la différence dans l’offre se fait au niveau des services.
Nous devons revoir le secteur de fond en comble et, surtout, ne pas en faire un débat politique, car nous avons passé ce cap depuis longtemps."
Dans la grande distribution mondiale, nous notons l’émergence de la vente en ligne par le biais d’Amazon qui s’intéresse de plus en plus à ce segment, et des enseignes telles que Walmart, qui est tenue de s’adapter aux nouvelles tendances. Quel modèle préférez-vous ?
Personnellement, je préfère le modèle d’Amazon à celui de Walmart au vu de la croissance que connaît la vente en ligne mondialement, comparativement à un certain tassement dans les supermarchés et hypermarchés. Le Mauricien préfère encore son shopping traditionnel, dans les magasins. Cela fait partie de son quotidien, de ses week-ends.
Ceci étant dit, nous avons de plus en plus de personnes qui ont des horaires qui ne leur permettent pas forcément de se rendre au supermarché pendant ou après le travail. Le trafic routier est aussi un problème majeur à Maurice. L’offre d’achat en ligne est donc une opportunité que nous souhaitons développer pour apporter, une fois de plus, une nouvelle solution au client. Ainsi, nous avons pris une participation minoritaire dans Price Guru, le leader de la vente en ligne à Maurice. C’est un métier dans lequel nous avons confiance et Winner’s est en train de développer sa vente en ligne. Aujourd’hui nous disposons de plus de 12 000 références en ligne.
Le groupe IBL est le premier actionnaire dans Lux Island Resorts Limited. Dans l’industrie on affirme que le tourisme souffrirait pendant les trois premiers mois de 2019. Déjà, la croissance dans les arrivées après les deux premiers mois n’est que de 0,6 %. Est-ce visible au niveau du groupe hôtelier ? Comment comptez-vous surmonter cette situation qui se manifeste en saison de pointe ?
La diversification géographique de Lux Island Resorts lui permet de rester stable en période de difficultés. Nous sommes présents en Chine, aux Maldives, à La Réunion, à Maurice et en Turquie. Comparons les statistiques de Maurice et celles des Maldives pour le mois de janvier. Nous notons une croissance de 6,5 % dans les arrivées touristiques aux Maldives. Et à La Réunion, la croissance y est. C’est une bonne nouvelle pour le groupe en général.
Le taux d’occupation est de 75 % sur toutes les destinations confondues. Nous ne sommes pas mécontents de ces chiffres. En dépit de la baisse de l’euro et de la livre sterling par rapport à la roupie, nous arrivons à maintenir notre RevPar, l’indicateur de référence dans l’industrie du tourisme.
Venons-en à la destination mauricienne. Quand nous enlevons les croisiéristes dans le nombre de visiteurs, nous constatons une baisse dans le nombre d’arrivées via Plaisance. Il y a donc cette nécessité que les parties prenantes puissent réfléchir sur le pourquoi de cette baisse, réagir à travers des offres nouvelles et repositionner la destination mauricienne auprès de ses principaux marchés que sont l’Europe, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, sans oublier La Réunion. La finalité est de retrouver cette croissance des deux/trois dernières années, qui a permis à l’industrie de soutenir l’expansion économique dans le pays. À l’ombre des hôtels que nous remplissons, il existe un nombre incalculable de métiers, du vendeur d’ananas au plaisancier et c’est un écosystème qui va pâtir de ces arrivées touristiques en déclin depuis deux mois.
Quand la construction va, tout va, dit-on. À Maurice on pourrait dire que quand l’hôtellerie va, tout va...
Lux Island Resorts est présent à La Réunion, le troisième marché le plus important pour la destination mauricienne en 2018. Or, ce marché est en décroissance. Pourquoi, à votre avis, les Réunionnais se désintéressent-ils de Maurice ?
L’hôtellerie à La Réunion est en bonne posture avec une clientèle venant de France et un marché interne assez dopé. L’île Sœur, comme en France, a subi la crise des gilets jaunes. Cela a pesé sur l’activité économique réunionnaise. L’important, c’est de retravailler la destination et de peaufiner les offres qu’on peut faire. Il faut aussi s’assurer, à travers Air Mauritius et Air Austral, que nous avons les dessertes nécessaires, et ce, à un prix compétitif, sachant que La Réunion n’est qu’à 30 minutes d’avion de Maurice….
Nous sommes tombés d’accord sur les grandes lignes de ce nouveau contrat énergétique pour une centrale de 2 x 35 MW qui remplacera celles datant des années 1980-1990."
Venons-en à l’agro-industrie, en particulier le secteur cannier dans lequel IBL est engagé grâce à sa participation dans Alteo Limited. Êtes-vous confiant que l’économie mauricienne pourra compter sur le secteur, à l’horizon 2025 ou après ? Au cas contraire, seriez-vous pessimiste par rapport à ce secteur ?
La filière cannière a été un pilier de l’économie pendant des décennies. Fort heureusement, elle ne l’est plus aujourd’hui quand on tient compte de sa contribution au Produit Intérieur Brut et en termes d’emplois. Mais nous ne pouvons pas nous limiter à cet aspect. Car la canne fait partie de l’ADN des Mauriciens. Nous avons tous grandi, d’une manière ou d’une autre, à l’orée de champs de cannes ou des usines sucrières, leur parfum de mélasse et de sucre flottant aux alentours.
Aujourd’hui, c’est un sujet de préoccupation. Lors de l’inauguration de la ferme photovoltaïque Hélios à Beau Champ, j’ai fait part au gouvernement de mon inquiétude sur l’avenir de ce secteur. Nous avons produit en 2018 quelque 325 000 tonnes de sucres alors qu’on a été au-dessus des 600 000 tonnes dans un passé pas trop lointain. Le décalage entre le coût de production et le prix obtenu est aujourd’hui abyssal.
Il faut un vrai dialogue entre le gouvernement, les producteurs et les planteurs (grands et petits). Il faut une prise de conscience que si rien n’est fait très rapidement pour ce secteur, dans une dizaine d’années, il risque de disparaître. Qui dit secteur cannier, dit également des distilleries, la production énergétique et son impact environnemental tels que la prévention de l’érosion et le paysage mauricien. Ce sont tous ces aspects que l’on risque de perdre.
Nous devons revoir le secteur de fond en comble et surtout, ne pas en faire un débat politique, car nous avons passé ce cap depuis longtemps. Les solutions ne sont pas simples. Avec un certain nombre de mesures drastiques, de la flexibilité sur l’emploi et de la création de produits à forte valeur ajoutée, je suis convaincu que nous pourrions assurer la pérennité de la filière cannière pour les prochaines décennies.
Dans l’industrie cannière, toujours, comment se présentent les négociations entre Alteo et le CEB en amont de la construction de la nouvelle centrale ? Avec une consommation énergétique en hausse continue, est-ce qu’on ne se dirige pas vers une crise difficile à gérer ?
Je ne peux pas me substituer au CEB. Je ne suis pas en mesure de dire s’il y aura un black-out ou délestage. Je ne l’espère pas parce que nous sommes tous habitués à une fourniture énergétique 24/7 que ce soit au niveau des ménages ou des entreprises. Je ne pense pas que l’on soit dans une situation similaire au Venezuela ou en Afrique du Sud.
Ceci étant dit, les négociations avec le CEB et le ministère des Services publics durent depuis un certain temps. La bonne nouvelle est que fin février nous sommes tombés d’accord sur les grandes lignes de ce nouveau contrat énergétique pour une centrale de 2 x 35 MW qui remplacera celles datant des années 1980-1990.
Ces deux nouvelles centrales seront en cogénération, bagasse, bio masse et charbon, avec des efficiences qui sont le double de celles que nous connaissons aujourd’hui. C'est-à-dire qu’il y aura l’utilisation de quelque 28 % de charbon en moins pour une production d’énergie à travers la bagasse et la bio masse, deux fois supérieure qu’auparavant. Ce sont des gains énormes en productivité. Il y a aussi des normes anti-pollution très élevées à respecter, identiques à celles en vigueur en Europe. Nous nous positionnons avec une technologie de pointe qui permettra d’optimiser l’utilisation de la bio masse, minimiser celle de la bagasse tout en ayant une efficience énergétique plus élevée.
Efficience, protection de l’environnement, technologie de pointe. Tels sont les avantages qu’Alteo Limited a présentés au gouvernement. Pourquoi tout ce retard avant de cerner les grandes lignes de l’accord ?
It takes two to tango. Il est évident qui ni Alteo, ni le CEB n’étaient disposés à conclure un partenariat qui s’inscrit dans la durée - un contrat de IPP dure 20 ans -, avant que tous les paramètres ne soient négociés. Oui, ça a pris du temps. Nous le regrettons de notre côté. Si les discussions s’étaient déroulées plus rapidement, la nouvelle centrale aurait pu être opérationnelle et connectée au réseau du CEB à la fin de cette année. Maintenant, il est question d’être en ligne à l’horizon 2022.
Le gouvernement et le CEB ont un calcul assez complexe de balance énergétique par rapport à des projets qui soient éoliens ou solaires à 100 %, d’autres utilisant l’huile lourde, la bagasse ou le gaz. Quand on prend tout cela en considération, cela prend du temps pour définir la vraie stratégie nécessaire. Je tiens à saluer la vision du gouvernement portant sur une fourniture énergétique verte de 25 % à l’aube de 2025. Avec notre centrale, les fermes solaires, l’éolien et les plans incitatifs du CEB, on est bien parti pour une balance énergétique optimale.
2019 est la dernière année du présent gouvernement. Sommes-nous dans une année électorale ? Quels sont les pièges à éviter ?
En effet, on entrera très rapidement dans une logique d’année électorale ou pré-électorale. Je souhaite que nous évitions le piège de la démagogie. Nous avons d’autres défis devant nous, dont la transformation de l’économie mauricienne quand nous notons de ce qui se passe dans le secteur touristique, ceux de la canne à sucre et du textile. Il y a des inadéquations entre les besoins de l’industrie et la formation. Nous avons des défis aéroportuaires, logistiques. Les gouvernements à venir auront une sérieuse tâche, qui est de s’assurer que nous aurons une île Maurice meilleure pour les prochaines décennies, pour nos enfants ! Ne perdons pas encore une année. Oui, faisons une campagne électorale, vendons des idées. Mais ne faisons pas de démagogie. Si nous parvenons à nous hisser au-delà de ces pièges, ce sera un signe de maturité d’une île Maurice qui a plus d’un demi-siècle d’existence.
Le licenciement n’est pas lié au salaire minimum. Le licenciement est lié à l’incapacité des entreprises de s’assurer un revenu qui soit correct et rémunérateur."
Quelle est votre définition de démagogie électorale ? Est-ce des promesses ? Des dépenses excessives ?
Je n’ai pas d’exemple spécifique. Je dis simplement que c’est facile, dans une année électorale, de faire de la démagogie son fonds de commerce. Il est important de se concentrer sur les vrais enjeux, les vrais débats de fond, du bien-être et du développement, du maintien du taux de chômage dans une fourchette raisonnable, sans compter les autres défis du ministère des Finances par rapport à la balance des paiements, la roupie etc.
Une loi régissant le financement des partis politiques est en gestation. Comment accueillez-vous cette démarche du gouvernement ?
C’est très important d’encadrer le financement des partis politiques. Ce n’est pas un sujet tabou. Toutes les démocraties utilisent des donateurs pour faire fonctionner cette fameuse démocratie. Nous, au niveau d’IBL, nous donnons aux partis politiques. Le montant contribué figure dans notre rapport annuel. Nous n’avons aucun problème tant que cela reste dans des montants qui sont raisonnables. Si tout cela est encadré avec une vraie loi, c’est dans l’intérêt de tous, les partis politiques et des donateurs.
Une des mesures prise par le gouvernement est l’introduction du salaire minimum. Vous êtes à la tête d’un groupe qui emploie 25 000 personnes. Est-ce que vos finances en ont souffert ?
Je pense qu’il faut aborder le sujet d’un angle plus social qu’économique. Il faut vraiment voir l’intérêt de ceux qui sont au bas de l’échelle, que ces personnes aient un minimum de revenus. Quelque part je trouve que c’est une mesure qui est nécessaire. Il ne faut pas en faire un outil démagogique ou politique, encore une fois. Il faudrait s’assurer que les gens au bas de l’échelle aient un salaire qui leur permette de vivre décemment.
Certes, la mesure a un coût. Des groupes comme le nôtre soutiennent et acceptent que c’est une mesure nécessaire dans une île Maurice qui a atteint un certain degré de maturité et qui a besoin de passer à une autre étape.
Est-ce que salaire minimum équivaut à licenciement ?
Le licenciement n’est pas lié au salaire minimum. Le licenciement est lié à l’incapacité des entreprises de s’assurer un revenu qui soit correct et rémunérateur. Certes la gestion du coût de production est primordiale et la masse salariale pèse dans ce coût. Mais s’il y a eu licenciement, c’est qu’il a eu un manque d’investissement productif, une baisse de la productivité, un chiffre d’affaires trop faible empêchant les sociétés d’opérer.
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