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Anil Rambarun: «Il faut créer une école des métiers pour les besoins de l’industrie du bâtiment»

L’année 2023 confirmerait-elle l’embellie dans le secteur de la construction à l’île Maurice après deux années de contraction suivant la Covid-19 ? Anil Rambarun, Chairman de la Building Materials Manufacturers Association (BMMA) n’en doute guère. « Nous sommes partis pour une belle année », fait-il valoir en citant le projet de construire 8 000 unités résidentielles sur les prochains 12 mois. Mais, dans l’interview qui suit, il fait aussi et surtout ressortir la problématique liée à la pénurie de main-d’œuvre.  

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Quelle est l’ampleur des conséquences économiques de la Covid-19 en mars 2020 et du conflit militaire en Ukraine sur le secteur de l’immobilier ?
L’arrivée de la Covid-19 avait entraîné une suspension subite de toutes les activités sur nos chantiers de construction. Mais très rapidement, après le confinement, nous avons rattrapé le retard et le manque à gagner occasionnés par la pandémie. Cependant, nous avons subi les conséquences des augmentations des coûts de production. Les prix des matériaux de construction de base ont augmenté de plus de 10 %. Les matériaux importés ont été grandement frappés par les hausses inattendues du coût du fret, entraînant une majoration des prix jusqu’à plus de 40 % dans certains cas.

Le coût total d’une simple construction (maison individuelle de 60 m2 sans le ‘finish’), en rien de temps, est passé de Rs 22 000 le m2 à Rs 30 000 le m2, soit une augmentation d’environ 35 %. Conséquences : le prix de vente pour les projets en cours a immédiatement augmenté. Le client a dû trouver le financement nécessaire pour couvrir les frais additionnels, quitte à repousser l’échéance de son projet.

Pour les projets déjà programmés, les consultants ont dû revoir leurs stratégies en apportant des changements dans les offres et les spécifications de ces projets, ou alors les promoteurs/clients ont dû ajuster à la hausse leur budget.

La dépréciation accélérée de la roupie a davantage impacté les coûts, car plus de 90 % des intrants dans une construction proviennent de l’étranger. Le pouvoir d’achat du consommateur a été largement érodé.

Concernant le conflit Russie/Ukraine, nos importations de matériaux de construction viennent principalement d’autres pays. Les matériaux tels que l’acier, l’aluminium, le bois, etc. viennent de la Turquie, le Moyen-Orient et l’Asie. Les conséquences économiques du conflit militaire en Ukraine ne sont pas ressenties dans le secteur du bâtiment.

Les acteurs dans le secteur de la construction à Maurice ne sont pas insensibles aux nouveaux défis relatifs au développement durable, à la santé et à la sécurité en général. Malgré les réglementations locales et internationales, nous nous efforçons d’assurer une industrie pérenne et prête à relever les défis à venir.»

Est-ce qu’il y a eu une reprise dans la construction après les deux ans de fermeture de notre économie, contractée par presque 15 % ?
Concernant le secteur de l’immobilier et de la construction, il n’y a pas eu de chute considérable dans les activités, sauf les arrêts durant les confinements. Les projets en cours ont redémarré et d’autres déjà prévus ont été mis en chantier. Les demandes pour les matériaux de construction sont constantes, les usines fonctionnent normalement, les transporteurs et autres parties prenantes sont très actifs. Cependant, le secteur connaît un problème de main-d’œuvre qualifiée, ce qui nous contraint à nous tourner vers l’étranger.

L’année courante et les deux prochaines années semblent prometteuses pour l’industrie de l’immobilier et la construction. Les projets d’infrastructures, les logements sociaux et les travaux d’assainissement vont booster le secteur. Il est prévu de mettre en chantier la construction de 8 000 unités résidentielles sur les prochains 12 mois. Si cela s’avère, nous sommes partis pour une belle année, surtout pour les concasseuses, les bétonniers et les constructeurs. Les autres fournisseurs ne seront pas en reste. 

Pourquoi des opérateurs ont-ils ressenti la nécessité de venir de l’avant avec l’amélioration des pratiques relatives à l’environnement, la santé et la sécurité, des normes de qualité et de l’utilisation des terres ?
Concernant l’environnement, voyons quelques faits :

En 2013, il y a eu des ‘flash floods’ mortels. Après ces événements, la peur s’est installée à l’arrivée de la saison des grosses pluies.

Les cyclones deviennent imprévisibles. La consommation annuelle du béton a évolué : d’environ 600 000 m3 à 800 000 m3 de béton prêt à l’emploi (Ready Mix Concrete) sur les dix dernières années. En ajoutant les bétons faits-maison et autres produits préfabriqués, nous arrivons à plus de 1 million de m3 de béton sur l’année, soit 0,83 m3 par tête d’habitant par an. Nous sommes pratiquement au même niveau que la France, par exemple.  La surface bétonnée est en hausse constante.

Les acteurs dans le secteur de la construction à Maurice ne sont pas insensibles aux nouveaux défis relatifs au développement durable, à la santé et la sécurité en général. Malgré les réglementations locales et internationales, nous nous efforçons à assurer une industrie pérenne et prête à relever les défis à venir.

Quand vous dressez une « checklist » des matériaux entrant dans la construction d’une surface, vous réalisez que tout est importé, sauf les cailloux. À un rythme accéléré de consommation d’environ 7 à 8 millions de tonnes de cailloux (sous diverses coupures) annuellement, nous avons intérêt à réfléchir profondément sur des nouvelles méthodes de construction. Il nous faut absolument faire appel à nos matières grises, créer chez nos jeunes professionnels le sens de l’inventivité et l’innovation.

De plus en plus, le secteur de la construction doit se conformer aux normes de qualité internationales. Les parties prenantes étrangères sont nombreuses : promoteurs et consultants, constructeurs et clients. Les projets sont de tailles différentes avec des particularités différentes. C’est une bonne chose d’être en phase avec les exigences du marché. Nous bénéficions aussi des expertises étrangères dans le domaine de la construction.

Les terres disponibles pour la construction de logements, d’infrastructures, de bâtiments publics, d’espaces commerciales sont très limitées. Les facteurs économiques font que les propriétaires fonciers sont contraints de revaloriser les terres et diversifier leurs activités pour arriver à une meilleure rentabilité. C’est du bon business. Mais l’essentiel c’est de veiller au respect de l’environnement et de parvenir à un aménagement judicieux des sites de construction. 

Avec une densité de population de 620/km2 (à Maurice), on est loin de pouvoir faire rentabiliser un réseau métro comme une ville de Delhi, par exemple, qui a une densité de population de 11 300/km2.»

Il a été question dans le passé de la formation de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction. Où en est ce projet et estimez-vous que cette main-d’œuvre est suffisamment formée ?
Ce qui a été dit dans le passé sur ce sujet est resté lettre morte. Notre forte dépendance sur la main-d’œuvre étrangère en est la preuve. Nous avons repris cette question à plusieurs reprises avec les acteurs de l’industrie et les autorités concernées.

Aujourd’hui, nous importons de la main-d’œuvre étrangère pour pouvoir honorer les délais. Mais cela implique d’énormes contraintes en termes de temps et de procédures à suivre. Le ministre des Finances vient de mentionner la mise en place d’un « fast track » pour faciliter le recrutement de la main-d’œuvre étrangère. C’est déjà une bonne initiative. Mais que deviennent ces milliers de jeunes qui ne terminent pas les études secondaires et qui seraient plus aptes aux métiers divers ? Nous sommes convaincus qu’une bonne partie pourrait servir de manière professionnelle dans l’industrie de l’immobilier et de la construction. À condition qu’ils soient bien encadrés et formés. Nous souhaitons vivement voir ce projet mis en place dans un proche avenir. 

Il est également grand temps de créer une école des métiers pour les besoins de l’industrie de la construction.

Les petits ‘contracteurs’ se plaignent encore de leur exclusion dans les gros marchés privés et publics. Comment votre association juge-t-elle une telle situation si elle s’avère ?
Un « gros marché » implique de gros moyens et des ressources parfois imposantes. Un « petit contracteur » pourrait ne pas avoir les ressources nécessaires pour réaliser un gros projet. Le CIDB (Construction Industry Development Board) catégorise les contracteurs par rapport à la taille des projets et émet les autorisations requises pour travailler sur les projets, privés ou publics.

Les producteurs et fournisseurs de matériaux de construction travaillent avec tous les contracteurs, petits ou gros, et aussi avec les clients.

Le « petit contracteur » est un maillon essentiel dans le domaine de la construction, surtout pour la clientèle à budget restreint. Ses frais généraux sont moindres en comparaison au gros contracteur. Mais il a notre soutien et ses services sont souvent retenus par les gros.

Une dizaine d’années de cela, il y avait un ‘craze’ pour les appartements, à telle enseigne que certains promoteurs sont restés à l’étape initiale de leurs projets respectifs. Y avait-il véritablement une telle demande ?
Le concept d’appartement, démarré il y a longtemps déjà, a connu une progression fulgurante au cours de ces 30 dernières années malgré une augmentation constante des prix. Le ‘craze’ a eu lieu dans les années 1990 à 2010. Les promoteurs, les agents immobiliers, les banquiers/financiers et les acheteurs ont bénéficié d’une situation économique favorable et d’un environnement agréable qui a boosté ce type de construction comme solution au problème de logement.

Le ‘peak’ a été atteint bien avant la Covid-19. Il y a quelques années de cela, on pouvait même parler d’une ‘crise’ qui a affecté grandement les promoteurs qui sont restés à l’étape initiale des projets, comme vous dites. Cependant, les promoteurs individuels sont de moins en moins visibles.

Depuis ces derniers temps, il y a une nouvelle forme de développement foncier. Regardez à travers le pays : les ‘smart cities’ prennent le dessus. Nous sommes amenés à nous adapter aux nouvelles tendances.

Depuis ces derniers temps, il y a une nouvelle forme de développement foncier. Regardez à travers le pays : les ‘smart cities’ prennent le dessus. Nous sommes amenés à nous adapter aux nouvelles tendances.»

Quel regard portez-vous sur la nouvelle politique de taux d’intérêt pratiqué par les banques. Favorise-t-elle ou pas les emprunteurs désireux de construire ?
Toute augmentation dans les prix en général a un effet négatif sur le budget du consommateur. Déjà, il doit s’ajuster si le projet est en cours. Pour des projets à réaliser, il faut maintenant trouver un budget additionnel, ou apporter un changement immédiat dans divers aspects du même projet pour rester dans le budget initial. C’est précisément ce que les consultants sont en train de faire sur plusieurs projets de construction. Sinon, la capacité de remboursement des emprunts risque d’être réduite, avec les conséquences redoutées. Aussi, la nouvelle politique du taux d’intérêt n’est certainement pas aux goûts des emprunteurs. 

Les projets IRS, PDS et RES et l’ouverture de l’île Maurice aux étrangers ont-ils boosté le secteur de la construction ?
Ces projets ont certainement contribué en partie au secteur de la construction. Disons que le pouvoir d’achat du client étranger est stable car il paie en devises et celles-ci sont essentielles pour l’économie.

Comment sont déterminés les prix des appartements et terrains à bâtir ? Est-ce qu’il y a de nouvelles régions qui gagnent en valeur et quels sont les facteurs qui expliquent cela ?
À la base, il y a l’offre et la demande. Mais les nouveaux promoteurs ont innové dans la forme de l’offre. Il n’y a pas une seule région qui serait moins ou plus attractive qu’une autre. Citons quelques grosses agglomérations : Goodlands, Flacq, Mahébourg, Rose-Belle, St Pierre, Triolet… À côté de chacun de ces villages, on a construit des ‘by-pass roads’, l’objectif étant de résoudre le problème de la circulation routière. Ceci a permis aux propriétaires fonciers de créer à côté de ces villages, des morcellements et des résidences d’une qualité qui attire la demande. Toutes les aménités y sont et l’accès aux services essentiels est disponible. 

Tout le pays est maintenant accessible facilement grâce à un réseau routier amélioré. Il est fini le temps où les gens émigraient vers les villes : Quatre-Bornes, Rose-Hill, Vacoas, Curepipe. C’est l’inverse qui se passe. Les régions dites ‘retirées’ gagnent en valeur et toutes les régions de l’île seront bientôt logées à la même enseigne.

Les riches étrangers et  la diaspora mauricienne sont souvent cités comme facteurs de la spéculation sur les coûts du foncier à Maurice. Dans quelle mesure cela est-il avéré ?
Le pouvoir d’achat des étrangers et des Mauriciens de la diaspora est beaucoup plus élevé que celui des locaux. D’une part, ils achètent en devises et, d’autre part, ils ont plus de ressources financières.

À Maurice, les gros propriétaires fonciers ont converti les terres, autrefois agricoles, pour faire place aux résidences de luxe et des « Smart Cities », accompagnées de stratégies de marketing ciblées et très intelligentes. Et la clientèle est là. Avec pour conséquence que les prix des terres ont pris l’ascenseur rapidement. À titre d’exemple, dans certains endroits, le prix d’une perche de terrain à caractère résidentiel est passé de Rs 90 000 à environ Rs 300 000 en l’espace de cinq ans.

Le secteur de la construction fait-il toujours face à une pénurie de main-d’œuvre ?
Le secteur fait face à un manque aigu de main-d’œuvre qualifiée. D’abord, elle n’est pas disponible en quantité requise, ensuite elle est plus chère.

Du coup, on se tourne vers la main-d’œuvre étrangère et là aussi c’est une course contre la montre. Les procédures sont complexes et prennent du temps. Avec les projets en cours et à venir, il nous sera difficile d’atteindre les objectifs si des actions immédiates ne sont pas prises.

Estimez-vous que le secteur de la construction est devenu très segmenté depuis ces dix dernières années, obligeant ainsi les opérateurs à être très pointus dans leurs projets ?
Les principaux segments sont les suivants : les infrastructures – routes, ponts, bâtiments publics, morcellements ; les travaux d’assainissements – qui vont s’accélérer à cause des changements climatiques ; la construction des complexes résidentiels, commerciaux et le développement des espaces publics et les petites constructions individuelles et l’amélioration des maisons existantes.

Chaque segment nécessite des ressources spécifiques et des expertises différentes. Les promoteurs/clients/opérateurs ont des cahiers des charges définis par rapport à la nature du projet en question.

Depuis ces 10-12 dernières années, nous avons vu l’arrivée de plusieurs contracteurs/opérateurs étrangers, surtout pour l’exécution des gros projets tels que le métro, les hôpitaux, les routes, les travaux d’assainissement. 

Des contracteurs locaux sont contraints de se mettre en partenariat avec les compagnies étrangères pour pouvoir se qualifier pour réaliser les projets. Les petits contracteurs/maçons sont eux davantage concernés par les petites constructions individuelles.

Dans quelle mesure une extension du Metro Express aux régions rurales puis une éventuelle municipalisation des grands villages impacteront-elles la configuration spatiale de l’île Maurice et quelles leçons doivent être tirées du passé en termes d’aménagement du territoire ?
Pour l’instant, l’extension du Metro Express à travers toute l’île reste hypothétique. Est-ce que toutes les régions/villes/villages vont être interconnectés ? Avec une densité de population de 620/km2, on est loin de pouvoir faire rentabiliser un réseau métro comme une ville de Delhi, par exemple, qui a une densité de population de 11 300/km2. C’est un projet budgétivore et le retour sur l’investissement reste à être bien établi. Cependant, un réseau métro avec des stations sur toutes les lignes donnerait un caractère particulier à chaque village.

Ce qui se passe autour des grands villages actuellement démontre qu’ils ressemblent à des villes. Je me réjouis qu’aujourd’hui les promoteurs et autres parties prenantes tiennent compte des exigences environnementales, la santé et la sécurité dans l’élaboration et la mise en exécution des projets de construction.

Nous avons failli dans l’exercice de l’aménagement du territoire dans le passé et nous en subissons les conséquences au moment des pluies torrentielles. 

Il est question, depuis l’organisation des conférences mondiales sur le climat, de la vulnérabilité des petits États insulaires en développement (PEID) face au changement climatique, de même que l’accès à l’électricité et à l’eau potable dans ces pays. Comment les opérateurs dans l’immobilier intègrent-ils ces enjeux ?
Nos opérateurs s’adaptent aux nouvelles exigences légales et sociales. Elles vont de l’identification des sites de construction, la définition des cahiers des charges incluant des mesures à mettre en place pour répondre aux normes internationales, jusqu’à l’utilisation des types de matériaux à utiliser. 

L’économie circulaire, le recyclage des démolitions, l’utilisation de produits plus « eco-friendly » sont déjà d’actualité. Il suffit de mettre à exécution les bonnes intentions.

 

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