Dans son discours inaugural du 20 janvier 1961, le président John Fitzgerald Kennedy avait frappé les esprits en disant aux Américains : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Ici, lorsqu’ils s’adressent à un auditoire, nos dirigeants politiques parlent généralement de ce que les gens veulent entendre : le gouvernement est là pour régler tous leurs problèmes quotidiens, du berceau à la tombe. On fut, donc, agréablement surpris que le Premier ministre ait terminé son meeting du 1er mai en faisant appel aux « sacrifices, efforts, disciplines et responsabilités », bref au sens de la rigueur.
Mais applique-t-il cela à ses propres politiques comme ministre des Finances ? Ou est-ce seulement de belles paroles en l’air ? La question mérite d’être posée en cette période de préparation du prochain budget national. Si les consultations pré-budgétaires sont tout à fait nécessaires pour préserver un esprit de dialogue entre le gouvernement et les partenaires économiques et sociaux, il est impossible que celui-ci puisse les caresser tous dans le sens du poil. Quand le Grand Argentier cherche à satisfaire à la fois patrons, syndicalistes, travailleurs, ménages et retraités, bref tout le monde, c’est suspicieux. Dans un contexte électoral à souhait, on ne nous fera pas croire qu’il attendra le budget de 2019-2020 pour distribuer des prébendes et largesses fiscales.
Déjà, le gouvernement actuel n’a fait preuve ni de sacrifices ni d’efforts budgétaires quoique les trois premières années d’un mandat législatif soient propices à la discipline et la responsabilité fiscales. Premièrement, les dépenses publiques n’ont cessé de croître allègrement. Après avoir stagné à Rs 92 milliards, en 2014 (même niveau qu’en 2013), elles augmentèrent à Rs 103 milliards en 2015-2016 et à Rs 111 milliards en 2016-2017 et elles sont estimées à Rs 128 milliards pour 2017-2018, selon les Statements of Government Operations publiés par le ministère des Finances. Par rapport au produit intérieur brut (PIB), elles passeraient de 23,9% en 2014 à 26,7% en 2017-2018 !
Deuxièmement, le gouvernement a laissé filer le déficit budgétaire. De 3,2% du PIB, en 2014, ce dernier grimpa à 3,5% en 2015-2016 et y resta en 2016-2017. Nul doute qu’il demeurera au-dessus de 3,0%, seuil fixé par les institutions internationales pour une bonne gestion des finances publiques.
Troisièmement, la dette du secteur public a grossi en poids absolu et relatif. Elle était de Rs 238 milliards en 2014, de Rs 261 milliards en 2015, de Rs 280 milliards en 2016 et de Rs 291 milliards en 2017. En pourcentage du PIB, elle est demeurée supérieure à 60 %, un seuil internationalement acceptable, passant de 61,6% en décembre 2014 à
64,4% en décembre 2016, avant de reculer légèrement à 63,4% en décembre 2017. La situation ne s’est guère améliorée sous la présente législature et encore que des milliards de roupies empruntés du gouvernement indien ne soient techniquement pas comptabilisés dans la dette publique. Et puis, contrairement à ce que prétend le chef de gouvernement, la dette nationale par tête d’habitant a continué d’augmenter : Rs 188 000 en 2014, Rs 206 000 en 2015, Rs 222 000 en 2016 et Rs 230 000 en 2017, soit une hausse de 22 % en trois ans ! Nos petits-enfants paieront très cher les folles dépenses et la folie des grandeurs de nos gouvernants.
Comme à l’accoutumée, le grand argentier va nous dire qu’il a « une marge de manoeuvre limitée », pour ensuite présenter une politique budgétaire laxiste. Il est temps d’arrêter cette comédie. Personne n’est dupe : nul ne peut dépenser plus avec moins de revenus. Tout le monde dit être contre l’endettement public, mais toutes les propositions budgétaires tournent autour de plus de subventions et d’abattements fiscaux, et de moins d’impôts.
Ainsi, Business Mauritius préconise une réduction à 3% de l’impôt sur les sociétés pour les opérateurs de l’industrie domestique et du Business Process Outsourcing (BPO). Si la demande peut paraître compréhensible pour la manufacture locale, elle semble incongrue pour le secteur de l’externalisation. Est-ce pour plaire au président de l’Economic Development Board ? Le BPO est une activité en bonne santé, comme en témoignent les 4,5% de croissance des technologies de l’information et de la communication, en 2018.
Quant à la manufacture locale, elle n’est pas si mal en point. Elle se porte même mieux que les entreprises d’exportation. Elle a connu une croissance réelle de 4,8% en 2016 et de 4,5% en 2017, tandis que celles-ci a subi une contraction de 5,1% en 2016 et une quasi-stagnation, en 2017.
En réclamant une baisse du taux d’imposition, les opérateurs avouent par là même que leur entreprise marche et fait des bénéfices. Une telle mesure ne profitera pas à ceux qui font des pertes. Or, ce sont les entreprises déficitaires que l’État devrait aider pour qu’elles redeviennent profitables. Pour cela, il faut plutôt des mesures qui élargissent l’accès au marché, tant au niveau local qu’à l’extérieur, et d’autres qui facilitent la modernisation des équipements de production ainsi que l’intégration dans l’industrie 4.0.
Il convient de regarder l’industrie dans son ensemble, et non comme deux pôles distincts. Bien que le régime de la zone franche ait disparu, en 2007, le secteur privé garde toujours les vieux réflexes des Domestic-Oriented Industries, terme pourtant désuet dans une économie globalisée. Cela fait plus de dix ans que les manufacturiers locaux ont été soutenus par l’État pour se préparer à s’intégrer au commerce international. S’ils arrivent à convaincre, c’est parce qu’ils ne sont pas en déphasage avec le discours politique.
Par ERIC NG PING CHEUN
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