Interview

Amédée Darga, directeur de Straconsult : «La Chine comprend mieux la réalité africaine d’aujourd’hui»

Amédée Darga

Quelques jours avant la visite-éclaire du président de la République de Chine, Xi Jinping, à Maurice, le directeur de la société Straconsult et spécialiste de l’Afrique, Amédée Darga, a accordé un entretien au supplément économie du Défi-Quotidien. Dans ce qui suit, il situe les perspectives de cette visite où Maurice, dit-il, doit se sentir honoré « d’avoir été inclus dans la tournée africaine » du président Xi Jinping, Puis il y voit « une reconnaissance de la capacité de Maurice à être un acteur économique important dans la région et peut-être sur la route de la soie Chine-Afrique ».

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Quel sens donnez-vous à cette visite africaine et le passage à Maurice du président chinois ?
Une visite du chef d’État égal en puissance et en symbolique à celui d’un président américain. C’est un très grand honneur pour Maurice d’avoir été inclus dans le programme de cette tournée africaine du président Xi Jinping. Hormis l’Afrique du Sud où le président Xi a participe au dixième sommet des pays du BRICS, les trois pays qu’il a visités, le Sénégal, le Rwanda et la République de Maurice montre bien que l’emphase de cette tournée est économique. C’est donc une reconnaissance de la capacité de Maurice à être un acteur économique important dans la région et peut-être sur la route de la soie Chine – Afrique. À nous de savoir comment prendre avantage de cette considération.

Est-ce que la Chine comprend mieux les réalités de l’Afrique, par comparaison aux puissances colonisatrices telles que la France, la Grande-Bretagne, la Belgique ou encore le Portugal ?
La Chine comprend mieux la réalité africaine de maintenant, celle d’une Afrique qui veut gagner, celle des Africains qui ont une réelle ambition de création de richesses pour eux-mêmes et pour leurs pays.

Qu’est-ce qui différencie la Chine de ces pays dans ses rapports avec l’Afrique, car on a pu lire que « l’appétit chinois » pour ces nouvelles terres relevait uniquement du mercantilisme ?
Les Occidentaux ont un travers culturel. Ils ont dans le passé présenté leur pénétration en Afrique comme une mission de civilisation, aujourd’hui c’est une mission de démocratisation et de bonne gouvernance. Ce message est amplifié par les journalistes de ces pays qui présentent la Chine comme une puissance colonisatrice qui ne dit pas son nom et qui pille les richesses africaines.

Certes, la Chine comme tout autre pays, œuvre dans son intérêt national, mais elle n’a assujetti aucun pays africain. La Chine a apporté plus à l’Afrique en vingt ans que n’importe laquelle des anciennes métropoles coloniales et autres pays occidentaux. Elle a apporté des infrastructures essentielles au développement.

Évidemment, les intérêts de la Chine se trouvent dans les richesses stratégiques qui sont en abondance en Afrique, des terres arabes africaines qui peuvent produire les commodités alimentaires, dont la population chinoise a besoin, et du marché d’un milliard d’Africains. Ce sont aux dirigeants, aux entrepreneurs et aux peuples africains de savoir comment prendre avantage de ces besoins chinois.  

Il faudrait que le gouvernement et le secteur privé (de Maurice) fassent une bonne analyse de ce qui est en train de se passer dans l’océan Indien, qui est redevenu une zone très importante.»

Qu’attend la Chine de Maurice et quels sont les secteurs productifs concrets qui pourraient bénéficier des accords éventuels entre les deux pays ?
J’espère que le Premier ministre mauricien aura focalisé ses propositions au président Xi sur trois projets économiques « gagnant gagnant » pour les deux partenaires :

La conception, la construction et le financement du 'island port' et d’y amener Cosco, une des plus grosses compagnies maritimes du monde à prendre en concession sa gestion et d’en faire un port d’éclatement pour le flux des marchandises chinoises et asiatiques sur l’Afrique.

D’amener une douzaine de sociétés industrielles chinoises à s’installer à Jin Fei pour produire de sorte à bénéficier de règles d’origine mauricienne et par ce biais de pouvoir utiliser l'AGOA pour exporter sur les États-Unis et aussi sur la région africaine.

D’amener la ville de Qindao à apporter la contribution de ses institutions de recherches marines, son université et ses entreprises à contribuer à développer l’économie marine de Maurice. 

En passant et en dépit des gorges chaudes de certains, la Chine pourrait aussi conceptualiser, financer et construire le 'DreamBridge' reliant les Salines à Baie-du-Tombeau, cea permettrait de dégager les gros camions, hors du tronçon Trou Fanfaron/rond-point du Caudan. 

Est-ce que la Chine et l’Inde sont-ils dans une subtile concurrence géoéconomique en Afrique et dans l’océan indien ? Où se situe Maurice dans cette rivalité et comment trouver un équilibre sain dans nos rapports entre ces deux pays ?
Maurice se trouve, dans ce contexte, dans une situation malaisée où il doit pouvoir jouer à l’équilibriste sur la base de nos intérêts nationaux et non des intérêts de la politique interne.

La concurrence est non seulement géo-économique, mais aussi géo-politique. Les deux pays cherchent à établir leurs bases navales dans cette région. Maurice et les Seychelles sont en ligne de mire. Les Seychelles, qui s’étaient engagés assez loin dans un accord avec l’Inde, ont reculé sous la pression de l’opinion publique. Nul ne sait ce qui a été engagé par le gouvernement mauricien avec l’Inde à propos d’Agalega.

En tout cas, dans ce 'power game' entre grandes puissances qui de plus sont des soutiens importants, Maurice a intérêt à garder un équilibre strict, autant pour notre intérêt que pour notre sécurité nationale.

Quelle peut être l’importance de Maurice dans la stratégie chinoise en Afrique ?
L’importance de Maurice ne peut être définie que par la Chine, c’est à nous aussi de bien comprendre comment nous pouvons nous positionner pour avoir une importance dans certains de ces flux économiques de notre région. Il faudrait que le gouvernement et le secteur privé fassent une bonne analyse de ce qui est en train de se passer dans l’océan Indien, qui est redevenu une zone très importante. Le flux d’argent, d’investissements, de marchandises et de pétrole entre la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient et l’Afrique est en train de faire de l’océan Indien un « hub » important de l’économie mondiale.

C’est à Maurice de développer la bonne stratégie et de prendre sa place. Il y a encore le flux des services et du data qui va se développer dans cette région. Maurice a une bonne base déjà, mais ce n’est pas suffisant. Il faut comprendre ce que la Chine veut et ce dont la Chine a besoin dans sa stratégie Chine-Afrique et ce que Maurice peut offrir. 

Est-ce que les intérêts/investissements chinois à Maurice reflètent-ils cet intérêt ?
Dans une certaine mesure, mais nous pouvons avoir beaucoup plus si nous savons quoi chercher et quoi offrir.

Comment la Chine concilie-t-elle le paradoxe d’un Parti « communiste » centralisateur et les réalités d’une économie fondée sur le profit ?
La Chine fait la démonstration que la démocratie modèle occidentale n’est pas le seul système politique qui peut apporter une bonne gouvernance, le développement d’une économie et sa croissance.

Est-ce que la « guerre commerciale » à laquelle se livrent la Chine et les États-Unis peut-elle affecter Maurice ?
Dans la mesure où cela affecte l’économie mondiale, oui. Toutefois, cela peut aussi bénéficier à Maurice dans la mesure où des entreprises chinoises affectées par cette guerre commerciale pourraient chercher à se délocaliser.

 

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