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Alphabétisation : l’ABC de l’espoir

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La lecture et l’écriture sont les clés qui ouvrent les portes de demain, transformant les obstacles du passé en chemins d’avenir. À l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation 2024, Le Dimanche/L’Hebdo a suivi une classe de jeunes de 13 à 14 ans, accompagnés par l’ONG Lovebridge, qui relèvent avec courage les défis de l’apprentissage scolaire.

Le lien qui se crée entre un enfant et son éducateur est précieux. Il peut être le déclencheur d’une véritable transformation. C’est ce que l’éducatrice américaine Rita Pierson appelle un « champion », un adulte qui croit en chaque enfant et qui l’accompagne dans son parcours scolaire pour lui permettre de révéler son plein potentiel.

Imaginez, maintenant, une salle de classe où les rires des enfants se mêlent au bruissement des pages tournées et au grincement du crayon sur le papier. Une salle de classe où chaque difficulté devient une victoire, et où chaque mot appris est une clé vers un lendemain meilleur. C’est dans cette lueur d’espoir que Le Dimanche/L’Hebdo a suivi une classe d’alphabétisation. En cette Journée internationale de l’alphabétisation 2024, célébrée ce dimanche 8 septembre, nous vous invitons à découvrir le monde d’un groupe d’enfants qui se battent pour illuminer leur avenir à travers les mots. 

Le mercredi 4 septembre, retour sur les bancs de l’école ! Bons élèves, nous sommes à l’heure pour notre classe d’alphabétisation dans un collège à Rose-Hill. La classe commence à 15 heures. Charonne Bell, travailleuse sociale chez l’ONG Lovebridge depuis 2022, est notre « Miss ». 

Où sont nos petits camarades ? Elle sourit et affirme qu’ils ne vont pas tarder à arriver. Entre-temps, elle nous propose un goûter : du jus et un croissant au chocolat. Nous préférons laisser ces friandises aux autres élèves ; nous sommes repus des incontournables « Dhall Puri kot Dewa » que nous avons dégustés en chemin.

Nous nous installons à notre pupitre et sortons notre cahier. Quatre garçons arrivent avec leurs sacs à dos. L’un d’eux tient une ravanne. Notre présence les intrigue, ils veulent savoir qui nous sommes. Une fois qu’ils apprennent la raison de notre venue, il ne faut pas longtemps pour que nous devenions « Kam’wad ». 

Une fille est la dernière à arriver, le bras et la jambe bandés. Désemparée par son retard et visiblement essoufflée après avoir couru pour venir en classe, elle a soif. « Miss » Charonne lui tend un croissant et un jus. D’un trait, elle vide la petite brique et en redemande. Nous sourions, contents de lui avoir laissé notre goûter.

Comme nous sommes tous devenus camarades, les élèves nous racontent, ainsi qu’à « Miss » Charonne, leur journée d’école. Les garçons, bien qu’étudiant dans le même collège, sont dans différentes classes. Ils nous parlent d’un « Breaking News » : un garçon a cassé une vitre à l’école et a eu des ennuis.

Nous rions devant leur « ti dialog ». « Miss » Charonne ramène la classe à l’ordre. Elle demande aux élèves de sortir leurs cahiers. Ils prétendent les avoir oubliés à la maison. Puis, ils déchirent des pages de leurs cahiers d’école et sortent leurs plumes et crayons. 

La leçon commence et nous plongeons avec eux dans les activités d’alphabétisation. Ensemble, nous apprenons les mois de l’année : janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre. Nous lisons et écrivons tous les mois. Nos camarades, eux, sont en difficulté. Certains répètent ce que « Miss » dit, ou ce que nous disons, d’autres essaient de lire les syllabes pour s’en sortir, mais ils peinent à prononcer quelques mois. Nous les aidons un peu et ils sont contents.

Les Flash Cards appelées « motivations » ont des images. Le mois de février, par exemple, porte la photo d’un cadeau ; « St Valentin… Miss », dit un élève en la repérant. Nous sourions et lui demandons comment il le sait et s’il a une copine. Il rougit et fait semblant de ne pas comprendre notre question. 

La voix d’un autre élève se fait entendre : « Poisson d’avril…Miss », dit-il, en voyant le bocal de poisson illustrant le mois d’avril. Nous éclatons de rire quand un autre élève dit : « Petar… Miss » quand nous arrivons au mois de décembre. 

Les noms des mois, ils ne les savent pas tous, mais ils se tirent d’affaire en décrivant les images. Cela se complique lorsque « Miss » Charonne refait l’exercice, cette fois-ci qu’avec des bandes avec le nom des mois. La plupart d’entre eux « inn maye », comme le dit l’élève à côté de nous.

Certains d’entre eux nous confient qu’ils ne peuvent pas lire rapidement. Ils lisent syllabe par syllabe pour avoir une idée du mot. Ils ne peuvent pas écrire correctement, sauf s’ils observent bien le mot et le recopient sur leurs pages, nous révèlent-ils. En bons camarades, nous les aidons en leur refilant des astuces.

Mais… comment font-ils pour apprendre à l’école ? « Bann kamarad ed nou ou profeser dir nou al kot enn ki kone, lerla nou kopie lor li. Ena zelev riy nou dan klas parski nou pa konn lir, ekrir ek memoriz seki pe montre nou », répond la fille. Depuis qu’ils suivent les classes d’alphabétisation de Lovebrige après les heures de classe, cela les aide-t-il ? « Aster nou kapav ekrir nou non konple, nou ladres, nou nimero telefonn ek enn de ti zafer ankor », disent-ils tous.

« Miss » Charonne poursuit sa classe. Nous passons à l’étape de la communication. Nous nous mettons en binôme pour simuler une conversation. « Invitez vos amis pour votre anniversaire », nous dit-elle. 

Nos six amis s’improvisent des téléphones avec leurs plumiers, gourdes et, pour les plus malins, leurs portables. La conversation se fait en créole. « Miss » passe et note les phrases que nous disons en créole. Ensuite, elle nous apprend comment les dire en français. Nos camarades de classe peinent à retenir les phrases, sauf un qui se vante de parler le français depuis qu’il est tout petit. Sait-il écrire en français ? « Franse korek. Angle ki mo maye », nous dit-il. Nous l’aidons à reformuler quelques phrases et il réussit à faire sa conversation téléphonique. Il nous fait un clin d’œil pour nous dire merci.

Ena zelev riy nou dan klas parski nou pa konn lir, ekrir ek memoriz seki pe montre nou»

Le camarade à côté de lui ne réussit pas car il n’arrive pas à retenir ce que « Miss » a dit. Nous lui soufflons doucement les phrases afin qu’il puisse les répéter pour ce devoir. « Miss » continue avec la classe. 

Un des élèves sort une règle et des élastiques. Derrière son pupitre, il s’improvise une flèche et la lance vers la seule fille de la classe. « Miss, get ki li pe fer », lance-t-elle subitement. « Miss » Charonne ramène à l’ordre notre Robin des Bois qui cache sa flèche, tout en disant : « Miss pa mwa sa, li sa. » Nous l’avons bien vu, mais nous gardons le silence. Après cinq minutes à se disputer entre eux pour savoir « kisann-la sa », nous reprenons la leçon. Vers 17 heures, la classe touche à sa fin. 

Ce jour-là, Le Dimanche/L’Hebdo s’est immergé dans une salle de classe où des enfants issus de milieux défavorisés se battent pour maîtriser les lettres et les mots. Dans cet espace, chaque phrase formée est un pas vers un avenir meilleur. Ici, l’éducation devient un puissant outil contre l’injustice sociale. Et ces jeunes élèves, malgré les défis, témoignent de l’espoir que la connaissance peut leur offrir.

Durant notre participation à cette classe d’alphabétisation, notre « best friend », que nous appellerons Alexandre, nous a confié qu’ayant vécu une enfance difficile, il peine à se concentrer sur son apprentissage scolaire. Lorsqu’il sera plus grand, il veut devenir chanteur et compositeur de musique. Nous l’encourageons à donner le meilleur de lui-même pour surmonter les épreuves qu’il a vécues, et lui souhaitons bonne chance. 

Quant au reste de notre bande de nouveaux amis, leurs ambitions varient : certains veulent devenir artiste, cuisinier, pâtissier, coiffeur, entrepreneur… Pour atteindre leurs objectifs, nous leur conseillons de fournir des efforts, de se concentrer, de s’appliquer, de profiter pleinement de ces moments d’alphabétisation, mais surtout d’arrêter de faire « fet dan klas me aprann ek focus ». Ils nous promettent qu’ils vont « behave ». Pour que nous nous rappelions d’eux, ils improvisent « enn ti sega » en battant la ravanne en notre honneur, avant de nous dire au revoir.

À l’occasion de cette Journée internationale de l’alphabétisation 2024, nous avons été témoins de la transformation possible grâce à un accompagnement scolaire adéquat et à la volonté de surmonter les défis. Ces jeunes sont la preuve vivante que chaque effort compte dans la quête d’une vie meilleure et que chaque mot appris est une victoire contre l’ignorance. L’alphabétisation est un droit fondamental, non seulement un combat individuel, mais une responsabilité collective.

Charonne Bell, travailleuse sociale : «Je leur apprends des mots pour les aider à mieux se débrouiller au quotidien»

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Charonne Bell est chez Lovebridge depuis 2022.

À 29 ans, Charonne Bell, résidente de Mont-Roches, mène une vie bien remplie. Mariée à un soudeur et maman d’un enfant, elle a su transformer ses expériences personnelles en un engagement profond envers les autres. 

Après avoir effectué le primaire au St Mary’s RCA à Moka et le secondaire au collège Patten à Rose-Hill, elle obtient son Higher School Certificate (HSC). Par la suite, elle occupe divers postes, d’abord dans une crèche, ensuite dans un supermarché et enfin, comme réceptionniste dans une entreprise.

C’est en observant les sacrifices de son père pour l’envoyer à l’école que Charonne Bell développe une sensibilité particulière à la précarité qui touche les familles et les enfants vivant dans son quartier. Avec son propre salaire, elle commence à acheter des denrées de base et à aider les enfants dans leur apprentissage scolaire. 

En 2022, son parcours prend un tournant décisif lorsqu’elle devient travailleuse sociale chez Lovebridge. Depuis le 16 mai 2024, Charonne Bell suit une formation intitulée « Functional Literacy Trainer Training in Global Teaching Methodology » avec Caritas Île Maurice. Cette formation est soutenue par KFC. La jeune travailleuse sociale prévoit de la finaliser en octobre prochain. 

En attendant, depuis juillet 2024, elle anime des classes d’alphabétisation fonctionnelle, deux fois par semaine, les mercredis et jeudis, de 15 heures à 17 heures, pour les enfants bénéficiaires de Lovebridge, originaires de Stanley, Mont-Roches, Ollier, et Camp Levieux. « Ils sont en Grades 7 et 8 », précise-t-elle. En parallèle de ce soutien scolaire, un accompagnement psychologique est aussi proposé par l’ONG, indique-t-elle. 

Charonne Bell explique à Le Dimanche/ L’Hebdo que ces enfants rencontrent de grandes difficultés à lire et écrire correctement. Comment parvient-elle à les aider ? Elle répond : « C’est un gros travail. Grâce à l’alphabétisation fonctionnelle, ils apprennent des mots-clés pour se débrouiller dans la vie de tous les jours. » Elle insiste sur l’importance de l’approche : « L’amour, la patience et l’écoute sont essentiels pour briser leurs limitations et leur redonner confiance en eux. » Pour elle, la plus grande satisfaction est de voir ces enfants progresser : « Les accompagner pas à pas et les voir évoluer, c’est une immense joie. »

À l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation 2024, son message est empreint de bienveillance et de solidarité : « Comme ces enfants, il y en a d’autres à travers le pays qui ont besoin de soutien scolaire. Il y a aussi des adultes qui ne savent ni lire ni écrire. Ils ont besoin de nous. Si plus de personnes s’engagent à donner un peu de leur temps, ensemble nous pouvons véritablement changer leur destin. » 

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