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Accusation provisoire :  Frôle-t-elle l’abus ?

Quelles sont les tribulations et contraintes de ceux qui font face à une accusation provisoire devant une instance judiciaire ? Qu’en est-il lorsque cette accusation est rayée contre une personne après des années ? Peut-on dire qu’elle a échappé à la justice ? Où se situent nos lacunes dans ce cas figure ? Comment remédier à cette situation ? Le point avec deux avocats.

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Me Noren Seeburn : « Ce problème perdure, car il n’y a aucune autorité supérieure pour sanctionner »

Noren SeeburnUne accusation provisoire, c’est quoi ?
Me Noren Seeburn, ancien magistrat, explique en quoi consiste une accusation provisoire. Il souligne que c’est un document qui contient l’énoncé d’une offense criminelle et les faits qu’on impute à un prévenu devant une cour de district.

Le but d’une accusation provisoire, selon l’avocat, n’est pas pour faire juger la personne. C’est simplement d’informer la Cour que la police va ouvrir une enquête sur l’accusation qui lui est reprochée et les faits mentionnés.

Ainsi, la personne est placée sous la supervision de la cour. Elle est soit détenue ou est relâchée sous caution par l’instance pendant la durée de l’enquête.

Par ailleurs, ajoute l’homme de loi, la cour va ensuite appeler l’affaire à intervalles régulières. Cela peut durer pendant des mois ou même des années et sera prolongé à la demande de la police pour le renouvellement de la période d’accusation provisoire. C’est dans le but de terminer l’enquête pour ensuite instruire un procès formel contre la personne.

Cependant, soutient l’ancien magistrat, à chaque fois que l’affaire est appelée, la personne a l’obligation de se présenter en cour si elle est libérée sous caution. Sinon, elle risque de se retrouver en détention jusqu’à son procès formel pour non-respect d’une des conditions de sa liberté sous caution. 

Quelles sont les restrictions? 
Durant cette période, la liberté de mouvement de la personne sera restreinte, car elle aura à suivre les conditions de sa remise en liberté. Si elle doit voyager, par exemple, il lui faudra faire une demande d’autorisation auprès de la cour. Bien entendu tout cela a un coût.  

Cependant le magistrat doit aussi s’assurer que la personne ait un procès dans un délai raisonnable comme le prévoit la constitution. 

Le magistrat va demander à la police de s’activer avec l’enquête et s’il voit que la période d’accusation provisoire devient trop longue, il va rayer l’affaire. Ainsi, la personne sera libre de toutes les accusations et elle retrouvera la plénitude de ses libertés de mouvement que pour quelque temps.

Peut-on dire qu’elle a échappé à la justice pour autant ?
« Non », réplique l’avocat. Car, il se peut que la police loge une accusation formelle plus tard après la fin de l’enquête sur l’avis du Directeur des Poursuites Publiques (DPP). Ainsi, la police aura la tâche d’aller rechercher la personne pour l’amener cette fois-ci devant une cour de justice pour y répondre d’une accusation formelle.


Où se situent LES lacunes ?

Selon Me Noren Seeburn, il se peut que les enquêteurs ne soient pas encore prêts avec leurs enquêtes. Les raisons peuvent être multiples, explique l’avocat. Cela, dû au fait que les enquêtes sont complexes ou qu’elles ont des ramifications internationales ou pour d’autres raisons qui nous échappent. 

Que proposez-vous comme solution ?

Le constat de Me Noren Seeburn est que c’est un problème que le citoyen rencontre avec les institutions publiques généralement. Car, elles ne sont pas soumises à une obligation envers le citoyen. Celui-ci devient alors à leur merci. 

Pour lui, il est d’avis qu’il faut qu’il y ait une autorité administrative supérieure qui sanctionne. « Le jour où les institutions publiques seront soumises à une obligation de rendre des comptes à une autorité administrative supérieure qui a le pouvoir de les réguler et les sanctionner, le traitement des citoyens sera plus digne d’un pays respectueux des droits humains », pense-t-il.


Me Nushumi Balgobin-Kandhai : « Une justice lente est souvent une mauvaise justice »

Nushumi Balgobin-KandhaiTout d’abord, Me Nushumi Balgobin-Kandhai explique que la liberté fondamentale de tout individu est sacrée et doit être assurée par notre système judiciaire. Pour elle, il ne faut pas avoir un abus de procédure qui va à l’encontre de cette liberté qui est garantie par notre Constitution. 

Elle est d’avis que tout homme a droit à ce que son procès soit entendu dans un délai raisonnable. Mais à Maurice, dit-elle, la personne peut se heurter souvent à des délais anormalement longs. 

Les contraintes 

« Une justice lente est souvent une mauvaise justice et une source d’inquiétude pour la personne et sa famille. La personne peut aussi souffrir d’un sentiment d’incertitude et d’anxiété dans une attente indéfinie. Et pour ceux qui sont en détention, ils subissent un sérieux préjudice supplémentaire. Ils sont privés de leur liberté et d’une vie familiale. De plus, ils sont des fois privés de se retrouver sur le marché du travail. Donc, dans certains cas, ils perdent tout, c’est-à-dire, leur famille et leur boulot ou leur business », soutient l’avocate.

Où se situent les problèmes ?
Le constat de Me Nushumi Balgobin-Kandhai est que malheureusement, à Maurice, le pouvoir des enquêtes reste entre les mains de la police qui est régulièrement reprochée de non-respect du délai raisonnable. Elle évoque le fait que nous n’avons pas de juges d’instruction qui mènent et organisent les enquêtes avant de décider s’il y a une accusation suffisante comme matière de poursuite ou un non-lieu. Dans ce cas précis, affirme-t-elle, les magistrats ont un rôle arbitraire et non pas inquisitoire comme en France. Selon elle, « nous faisons face à un contrôle moins strict concernant les enquêtes policières ».

Après la radiation d’une accusation provisoire, peut-on dire que la personne a échappé à la justice ?
Me Nushumi Balgobin-Kandhai indique que, dans ce cas figure, la radiation des accusations provisoires ne met pas fin à un procès. Certes, les personnes sont soulagées parce qu’elles n’ont plus l’obligation de se présenter en cour et les restrictions concernant leur liberté ont toutes été enlevées. Et aussi, elles ne sont plus sujettes à un contrôle judiciaire. Mais, cela n’empêche pas que l’enquête suit toujours son cours, pouvant donner suite à une accusation formelle.

Si la personne est ensuite poursuivie formellement, quelles en sont les conséquences ?
Selon Me Nushumi Balgobin-Kandhai, s’il y a eu un délai manifestement excessif qui compromet le caractère équitable du procès, l’avocat de la défense pourra présenter une motion dans ce sens. Le risque de dépérissement ou altération ou disparition des preuves, lié à l’écoulement du temps, est tout à fait réel et plausible, précise l’avocate,

Où se situent nos lacunes ?
Me Nushumi Balgobin-Kandhai précise que l’accusation provisoire est régulièrement pointée du doigt pour ses faiblesses. Pour elle, elle est similaire à un instrument de punition. L’accusation dite « provisoire », comme son nom l’indique, devrait être de « courte durée ». Mais ce n’est pas le cas dans la pratique. Une personne se voit malheureusement faire le va-et-vient en cour pour un contrôle judiciaire pendant de longues années ou rester en détention pour une période indéterminée.

Ses propositions pour remédier à la situation

« Bien que le principe de « délai raisonnable » ait une valeur constitutionnelle qui garantit le droit à un procès équitable, on note l’absence d’un délai définitif et de sanction effective dans nos textes pénaux. La cour a recours à la jurisprudence en cas de violation manifeste », indique Me Nushumi Balgobin-Kandhai. Cette dernière est catégorique. Le but des instruments de réforme doit viser à réglementer le cours des enquêtes policières. 

Ce qu’elle note est qu’au Royaume-Uni, les « police powers and procedures » sont codifiés dans la Police and Criminal Evidence Act (PACE). C’est une loi complète qui règle le bon déroulement d’une arrestation et des enquêtes policières. Quelques années de cela, souligne-t-elle, nous avons eu un Police and Criminal Evidence Bill qui a été abandonné.

Autre point relevé par l’avocate est que récemment en France, la durée des enquêtes policières a été fixée à un délai qui ne peut excéder deux ans, selon le Code de procédure pénale. 

D’autre part, elle avance que la PACE Act prévoit aussi des délais accordés aux enquêteurs et leur permet une prolongation pour des cas qui demandent plus de temps de par leur nature. Donc, selon elle, s’il y avait un seuil maximal pour le délai des enquêtes, cela pourrait assurer une justice équitable.

 

 

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