À Rose-Hill, familles et proches crient leur ras-le-bol : accidents mortels, chauffards drogués ou alcoolisés, et vies brisées. Un cri de colère, de mémoire et de justice.
Samedi matin, le parvis du Plaza, à Rose-Hill, se couvre de blanc et de noir. Des panneaux, des dizaines de panneaux, chacun portant un slogan en créole. Des femmes, beaucoup de femmes, des jeunes aussi, vêtus de T-shirts imprimés de quatre visages qui ne vieilliront plus : Muzammil, le petit Kelyan, Amrita, Laeticia.
À l’initiative du Mouvement pour la solidarité et la justice routière mauricienne, ils sont venus sensibiliser la population sur le fracas que causent les accidents mortels. Mais surtout, ils sont venus crier leur ras-le-bol face à une réalité cruelle qui s’impose depuis le début de l’année : les conducteurs mis en cause étaient soit sous l’influence de la drogue, soit de boissons alcoolisées. « Zordi nou fami, dimin pou twa » : le slogan résonne. Un avertissement que personne ne devrait ignorer.
Elle est là, la toute jeune maman de Kelyan, garçonnet de trois ans fauché sur le trottoir, tué sur le coup par un conducteur sous l’influence de la drogue. Nous la rencontrons dans la foule. Elle ne peut s’exprimer. Son visage tout frêle dit ce que les mots ne peuvent porter. La tristesse se voit, se lit, se ressent.
C’est sa grande-tante, Luciana Alfred, qui parle à sa place. « So latet fatige, li plore, li tris. Ziska zordi, li ankor pe aste ti gato ki Kelyan ti kontan manze… »
Nitisha porte, elle, le deuil de sa sœur Amrita Luchman, tuée le 21 octobre dernier à Mon Désir, Vacoas. Son témoignage est vibrant : « Ma soeur était sur le trottoir quand une voiture a doublé plusieurs autres véhicules et l’a renversée avant de prendre la fuite. » Sur le trottoir.
Là où l’on devrait être en sécurité.
Beverly Philibert est venue pour Laeticia, sa sœur. Cette jeune femme tuée sur le coup, alors qu’elle revenait de son lieu de travail dans un contract bus du bureau. Le chauffeur n’avait pas de permis. « Ma soeur laisse derrière elle un nourrisson qui refuse de prendre le biberon, car il prenait le sein avec sa maman. »
Keshav Ramkalawon, le papa du bébé et veuf de Laeticia, se tient à ses côtés. Qui s’occupe du nourrisson ? « Depuis l’accident, on se relaie en famille, mais ce n’est pas facile », nous dit-il.
Les soldats de Muzz
La solidarité familiale autour de Muzammil est palpable. Tout de noir vêtus, ses proches forment le noyau dur de cette mobilisation. Iqbal, Shafiq, Nazeera, Fatma – jeunes filles et moins jeunes adultes – ont tous mis la main à la pâte pour faire de cet événement un franc succès. Un succès tant populaire que dans la volonté de réveiller les autorités, de mettre un frein au carnage sur nos routes par des chauffards irresponsables.
Leur devise tient en trois mots : Plus jamais ça ! Ce sont eux qui ont préparé les pancartes, clouées sur de fins morceaux de bois de caisse, joliment calligraphiées. Les œuvres de l’équipe derrière Justice for Muzz, pour la plupart des proches de Muzz – comme on le surnommait à Camp Levieux, où il est mort sous les pneus d’un jeune homme sous l’influence de la drogue et qui roulait sans permis.
Les slogans sont recherchés, frappants. Chacun porte un message sonnant comme une ringing bell. Ils cadrent avec le ressentiment d’une colère profonde de ceux touchés par ces accidents mortels : « Nou kont bann sofer kriminel lor lari » ; « Lalwa tro mou, aplik lalwa Pota » ; « Bizin Road Safety Night squads » ; « Si refiz tes lalcool ek ladrog, met dan kaso » ; « Zordi nou fami, dimin pou twa ».
L’appel d’Istea
Au milieu de cette marée humaine, Istea Caunhye lance un triple appel : « Je lance d’abord un appel au Premier ministre : qu’il pose un geste humanitaire envers ceux qui pleurent, dont la vie a basculé du jour au lendemain à cause des chauffards sous l’influence de la drogue et de l’alcool, et qu’il prenne le temps de les rencontrer. Au ministre de la Sécurité sociale, je demande, d’un point de vue humain, de créer un plan spécial pour soutenir ces proches en souffrance. Quant à la ministre de la Femme et du Bien-être de l’enfant, veillez à ce que les familles soient accompagnées par des psychologues. »
Dans la foule, des visages portant des photos de victimes qui ne datent pas de cette année. Mais ces parents qui ont vécu le même drame ont tenu à montrer leur solidarité. Eux-mêmes n’ont pas encore fait leur deuil.
Reshma Raoma tient une photo. On y voit un jeune homme fraîchement diplômé de l’université de Maurice. Son fils Ritvik. Elle l’a perdu il y a deux ans. « C’était le 4 décembre 2023, mon fils Ritvik était à vélo et il venait tout juste de célébrer sa cérémonie de remise de diplôme en août 2023... il n’a même pas eu le temps d’en profiter. Alors que le conducteur qui l’a renversé circule toujours et est en liberté. Où est la justice ? » La question reste suspendue. Sans réponse.
Anishta et Madhu portent une photo d’Ashwar Sookye, 37 ans. Il revenait d’un mariage à moto, le 13 juillet 2024, quand un camion l’a renversé brutalement. « Il était un biker. Ashwar adorait la vie et d’un coup, un chauffard a fauché une vie qui aurait dû être pleine », dit Anishta, la sœur.
Savoya Andrine tient la photo de Kersley, son mari. Il était à vélo et avait été percuté mortellement par une voiture, laissé pour mort sur l’asphalte. C’était en 2009. La veuve raconte : « La perte de mon mari me hante encore, même si cela date de 2009. Je tenais à apporter mon soutien aux familles qui ont vécu le même drame que moi. »
Comme ces deux femmes, il y en avait d’autres, éparpillées dans cette masse humaine qui a déferlé sur Rose-Hill, samedi. Des deuils qui ne passent pas. Des blessures qui ne se referment jamais complètement.
Tous emportés par la négligence et la désinvolture de chauffards sous l’influence de la drogue ou de l’alcool. Certains n’avaient même pas de permis de conduire. D’autres se sont sauvés sans porter secours aux victimes.
Le parvis du Plaza était bardé de panneaux sur fond blanc avec des écriteaux en noir. Chaque slogan portait un message. Ensemble, ils formaient le cri d’une île qui refuse de compter ses morts en silence.
Élus et militants réclament fermeté et justice
Ils ont tenu à être présents à la marche et à exprimer leur émotion face aux drames survenus ces derniers mois, marqués par des accidents mortels.
Le ministre Deven Nagalingum a dénoncé la situation : « Trop de personnes meurent dans des accidents mortels à cause de la drogue et de l’alcool au volant. Il n’est pas normal que des chauffards a de la liberté conditionnelle ou de la libération sur parole. C’est pour cela que je suis en faveur d’un durcissement de nos lois. »
La députée Anabelle Savabaddy réclame, quant à elle, justice et réforme : « Enough is enough ! Quand on voit ces mamans, ces sœurs en larmes, cela fend le cœur. Il faut une réforme totale de notre force policière. »
Pour sa part, Ehsan Juman souligne que des lois sévères existent déjà, mais qu’elles doivent être appliquées avec rigueur : « La police doit ficeler les accusations correctement avant de les envoyer en cour. Il est normal que le DPP demande la relaxe d’un individu, faute de preuves suffisantes, comme dans le cas de cet homme sous l’influence de la drogue qui avait obtenu la liberté sur parole. Que se passe-t-il ? Manque de rigueur, complicité ? Il faut être intraitable avec les criminels. Je demande à la population de dénoncer ces conducteurs ivres ou sous l’effet de la drogue : nous devons tous être responsables. »
Enfin, Bruneau Laurette appelle à la fermeté : « Il faut être sans pitié envers ces chauffards qui prennent le volant sous l’effet de la drogue et de l’alcool, mettant non seulement leur vie en danger, mais aussi celle des innocents, souvent fauchés sur le trottoir et victimes de hit-and-run. »
Les cas qui ont déclenché le Mouvement pour la sécurité et la justice routière mauricienne
Muzammil Hossenboccus
Le 7 novembre 2025, Muzammil Hossenboccus, 30 ans, est victime d’un grave accident à Camp-Levieux. Il était à moto lorsqu’il a été violemment percuté par une voiture de location conduite par Nigel Décidé, 19 ans. Ce dernier conduisait sans permis et sous l’influence de drogues. Le véhicule contenait également de l’alcool.
Après l’impact, le conducteur et son passager ont abandonné la voiture et pris la fuite à pied, laissant Muzammil gravement blessé sur la route et sans lui porter assistance. Malgré les efforts des secours, le trentenaire est décédé sur place.
Nigel Décidé fait face à plusieurs accusations, dont homicide involontaire, conduite sous influence, conduite sans permis et omission de porter assistance. Son passager est accusé de non-assistance à personne en danger.
Kelyan Alfred
Le 5 novembre 2025, Kelyan Alfred, 3 ans, perd tragiquement la vie à Résidence La Cure après avoir été percuté par une voiture, alors qu’il marchait avec son père. Le conducteur, identifié comme Kenny Lowtun, a été testé positif aux stupéfiants.
Outre Kelyan, un autre piéton, Feroze Mowlaboccus, 63 ans, a été blessé. Ses proches gardaient espoir, mais l’habitant de Poudre-d’Or Village a rendu son dernier souffle, ce jeudi 20 novembre à 17 h 30, à l’hôpital SSRN.
À ce jour, Ryan Simon, le père du petit Kelyan, est le seul survivant du drame.
Amrita Luchmun
Amrita Luchmun, 69 ans, a perdu la vie à Vacoas après avoir été renversée par une voiture qui a pris la fuite, le 21 octobre dernier. L’accident est survenu lorsque la voiture a doublé plusieurs véhicules avant de percuter Amrita sur le trottoir. Cette dernière aurait été projetée sur une dizaine de mètres. Hospitalisée, elle a succombé à ses blessures quatre jours plus tard.
Laeticia Philibert Ramkalawon
Le 8 novembre 2025, Laeticia Philibert Ramkalawon, âgée de 25 ans, est décédée dans un accident sur la route de Black River Road, à l’ouest de Maurice. Elle était à bord d’un « contract bus » de l’hôtel pour lequel elle travaillait lorsqu’un choc violent avec une voiture a provoqué la sortie de route du bus, qui a fini sa course contre un arbre.
Laeticia a succombé à ses blessures peu après son admission à l’hôpital, laissant derrière elle un nourrisson de sept mois. L’autopsie a révélé qu’elle est morte de multiples traumatismes. Le conducteur du bus, un habitant du Morne, ne possédait pas de permis de conduire. Plusieurs autres personnes ont été blessés, y compris un couple allemand, dont l’épouse est décédée après plusieurs jours d’hospitalisation.
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