Si la loi offre des outils pour protéger les victimes de violences domestiques, elle ne suffit pas à briser les barrières de la peur et des mentalités enracinées, explique Me Yuvir Bandhu.
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La loi suppose qu’une victime peut porter plainte. Mais que vaut une protection juridique quand la peur est plus forte que la procédure ?
Il est important de noter qu’en vertu de la loi de 1997 sur la protection contre la violence domestique, l’article 12(1) autorise toute personne qui estime qu’un acte de violence domestique est en train de se produire ou est susceptible de se produire à en informer un agent chargé de l’application de la loi, tout en bénéficiant de l’immunité de responsabilité civile ou pénale en vertu de l’article 12(2).
Cependant, ces garanties n’effacent pas la réalité émotionnelle de la peur. Ainsi, même si la protection juridique existe sur le papier, elle peut sembler illusoire lorsque la peur l’emporte sur la sécurité ou l’équité perçue du processus.
C’est pourquoi les débats actuels sur la réforme se concentrent souvent sur l’autonomisation des victimes, la détection par l’État et une justice tenant compte des traumatismes, et non pas uniquement sur les mesures punitives ou les procédures formelles.
Dans vos dossiers, voyez-vous des cas où la lenteur du système devient une nouvelle forme de violence ?
La loi de 1997 sur la protection contre la violence domestique a été conçue dans l’urgence. L’article 3(2) exige que le tribunal fixe une date de retour au plus tard 14 jours après la demande d’ordonnance de protection. Les articles 3(8) et 4(6) habilitent le tribunal à rendre immédiatement des ordonnances provisoires, même avant d’entendre le défendeur, lorsqu’il existe « un risque grave de préjudice ». L’article 11A (3) autorise le policier à procéder à une arrestation sans mandat s’il soupçonne un non-respect de l’ordonnance ou un préjudice. Ces dispositions reflètent l’intention du législateur : neutraliser le retard comme arme.
Cependant, dans la pratique, des retards peuvent encore survenir à plusieurs étapes : lenteur dans la signification des sommations, ajournements, hésitation de la police à faire appliquer les ordonnances provisoires, victimes attendant plusieurs jours avant d’obtenir une aide juridique ou une représentation.
Lorsque cela se produit, la lenteur du système devient complice, non pas de l’acte de violence initial, mais du maintien de ses effets.
Certaines femmes attendent des mois pour une ordonnance de protection. À quel moment le temps judiciaire devient-il un risque vital ?
À mon avis, nos tribunaux de district agissent rapidement lorsqu’ils sont confrontés à une situation d’urgence réelle. La loi sur la protection contre la violence domestique permet au tribunal de rendre une ordonnance de protection provisoire presque immédiatement, avant même que le défendeur ne soit entendu, lorsqu’il existe un risque grave de préjudice. Ce mécanisme existe précisément pour éviter tout retard dangereux.
Si vous faites référence aux retards dans la décision finale concernant une ordonnance de protection, le problème ne réside généralement pas dans la négligence judiciaire, mais plutôt dans la pression exercée sur les ressources : charge de travail importante, temps limité accordé aux audiences ou difficultés à signifier les assignations. Il s’agit là de défis systémiques plutôt que de défaillances personnelles des tribunaux.
Le droit adore les preuves, mais l’emprise est presque impalpable. Pensez-vous qu’il faille revoir la manière de « prouver » la violence psychologique ?
Je pense qu’au lieu d’abaisser le niveau de preuve, ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’une meilleure compréhension des violences psychologiques, tant de la part des avocats que des policiers et des magistrats. Les rapports d’experts psychologues et une formation adéquate des agents chargés de l’application de la loi peuvent faire une réelle différence.
En fin de compte, repenser la preuve ne signifie pas abandonner la rigueur, mais veiller à ce que la notion de « preuve », telle que la définit la loi, corresponde à la réalité vécue des victimes de violences.
La lenteur du système devient complice, non pas de l’acte de violence initial, mais du maintien de ses effets»
Le système semble parfois punir les femmes pour leurs hésitations : retrait de plainte, retour au foyer… La justice comprend-elle vraiment ce que signifie « être sous emprise»?
Une fois qu’une plainte est retirée, il n’y a plus d’affaire, c’est simplement ainsi que fonctionne le système, et la Cour doit respecter cela. Son rôle est de statuer, et non de contraindre une victime à poursuivre une procédure.
Mais il est également vrai que de nombreux retraits ont lieu sous la pression ou la peur. C’est pourquoi les mécanismes de soutien en dehors de la salle d’audience, conseil, logement sûr et orientation appropriée, sont tout aussi importants que la procédure judiciaire elle-même. La Cour ne peut statuer que sur les affaires qui lui sont soumises ; la protection commence bien avant cela.
On dit à une femme de partir pour sa sécurité. Mais si elle n’a ni toit, ni revenu, ni appui, que protège-t-on réellement ?
Ce point de vue reflète une mentalité conservatrice et dépassée, selon laquelle protéger une victime signifie simplement lui dire de quitter le domicile. La loi sur la violence domestique à Maurice va beaucoup plus loin. Elle prévoit des ordonnances d’occupation, qui permettent à une victime de rester dans son propre domicile tout en excluant l’agresseur, ainsi que des ordonnances de protection.
Certaines lois protègent le foyer conjugal, mais pas la vie après le départ. Que devient une femme qui quitte sans ressources ?
La loi protège son intégrité physique et ses droits légaux, mais un soutien social plus large est souvent nécessaire pour lui permettre de reconstruire sa vie en toute sécurité.
Quand la survie économique devient la priorité, le droit devient-il un luxe réservé aux femmes privilégiées ?
C’est une préoccupation légitime. La loi est conçue pour protéger tout le monde, mais dans la pratique, lorsque la survie économique d’une femme devient la priorité immédiate, l’accès aux recours juridiques peut sembler hors de portée. Des ordonnances de protection, des ordonnances d’occupation et d’autres outils juridiques sont disponibles en vertu de la loi sur la violence domestique, mais ils ne fournissent pas automatiquement un revenu, un logement ou un soutien à long terme.
Cela souligne la nécessité de mettre en place des systèmes de soutien intégrés parallèlement à la loi afin de garantir que la protection soit effective pour toutes les femmes, et pas seulement pour celles qui sont privilégiées.
À Maurice, partir, c’est souvent trahir la famille, la religion ou le « qu’en-dira-t-on ». Le droit peut-il protéger une femme d’une société qui la juge ?
À mon avis, les femmes d’aujourd’hui s’affirment de plus en plus et n’hésitent pas à faire valoir leurs droits et à refuser de tolérer les abus. Pourtant, malgré ces progrès, une mentalité conservatrice et dépassée persiste, qui attend des femmes qu’elles endurent, se taisent ou privilégient l’approbation de leur famille et de la société plutôt que leur propre sécurité. La loi a évolué pour les protéger, mais changer les mentalités reste un défi permanent.
Entre la loi et les mentalités, où se joue vraiment la bataille : dans les tribunaux ou dans les têtes ?
Les outils juridiques ne peuvent à eux seuls effacer les attitudes sociales profondément enracinées, les attentes culturelles ou la stigmatisation. Les tribunaux font respecter les droits, mais le véritable changement survient lorsque la société reconnaît que les femmes qui recherchent la sécurité ne trahissent pas leur famille, leur religion ou leurs traditions. Tant que ce changement ne se produira pas, la loi pourra protéger les corps, mais pas toujours les cœurs et les esprits.
Beaucoup de femmes disent que le procès ne répare rien, que la justice ne leur rend pas la paix. Que peut-on espérer du droit, au-delà de la condamnation ?
En fin de compte, la loi n’est qu’un élément d’une solution plus large : elle garantit des droits et des recours, mais pour guérir véritablement, il faut souvent, outre la justice légale, un soutien social, un accompagnement psychologique et la compréhension de la communauté.
Si la loi était écrite à partir de la parole des survivantes, à quoi ressemblerait-elle ?
Peut-être qu’elle mettrait l’accent sur la sécurité réelle, la dignité et les besoins pratiques des femmes, et pas seulement sur la punition, elle leur donnerait les moyens de reconstruire leur vie.
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