Les législatives de 2024 ont donné lieu au troisième 60-0 de l’histoire de Maurice et le troisième pour Paul Bérenger, qui en est à sa 12e participation aux élections générales. Cependant, un 60-0 n’est jamais bon pour la démocratie, estiment le Dr Avinaash Munohur, politologue et consultant en stratégies politiques, et Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique.
Un résultat de 60-0 aux élections générales n’est jamais favorable pour la démocratie, selon le Dr Munohur et Jocelyn Chan Low. Ils ajoutent que la campagne électorale en vue des élections du 10 novembre 2024 a été marquée par la diffusion des enregistrements de « Missie Moustass », ce qui pourrait avoir favorisé une plus grande mobilisation des électeurs ainsi qu’un écart massif entre les candidats de l’Alliance du Changement et ceux de l’Alliance Lepep sortante.
Selon Jocelyn Chan Low, ce résultat reflète l’unité de l’électorat, rural et urbain, toutes communautés confondues, pour voter contre le gouvernement en place. « Il y a eu un vote massif de rejet du gouvernement pour plusieurs raisons, dont les enregistrements, qui ont favorisé l’Alliance du Changement », dit-il.
Pour la troisième fois dans l’histoire politique du pays, un 60-0 a été atteint, notent nos intervenants, un résultat sur lequel il faut se pencher. « Notre système westminstérien, emprunté du modèle britannique, repose sur l’institutionnalisation de l’opposition, qui joue un rôle crucial », souligne Jocelyn Chan Low. Il cite par exemple les consultations avec le Premier ministre concernant certaines nominations, ou encore la présidence du Public Accounts Committee, occupée par un membre de l’opposition. De plus, le leader de l’opposition sera désigné parmi les Best Losers, ajoute-t-il. Il serait nécessaire d’augmenter la proportion de sièges proportionnels pour garantir une représentation de l’opposition. « Un 60-0 ne peut pas exister dans un système où l’opposition a un rôle à jouer », affirme-t-il.
Le Dr Munohur ajoute, lui, que les résultats des élections montrent clairement que la population voulait envoyer un message au gouvernement sortant. « Le taux de participation et le 60-0 confirment un ras-le-bol », dit-il.
Pour le politologue, le nouveau gouvernement doit comprendre les raisons et les enjeux qui l’ont porté au pouvoir et a l’obligation de répondre aux attentes des Mauriciens. Il rappelle que, historiquement, les 60-0 sont très compliqués et n’ont jamais vraiment fonctionné dans le passé. « Ils devront prouver que cela peut marcher », insiste-t-il. Pravind Jugnauth, en particulier, devra analyser cette défaite et faire son autocritique, ajoute-t-il. « S’il comprend les raisons de sa défaite et apprend de ses erreurs, il reviendra avec plus d’expérience », pense-t-il.
Usure du pouvoir
Le Dr Munohur note aussi qu’aucun gouvernement n’a accompli plus de deux mandats consécutifs au 21e siècle à Maurice. Pour lui, l’alternance politique est naturelle et reflète le bon fonctionnement de la démocratie. « L’usure du pouvoir est une réalité, et les Mauriciens voulaient clairement un changement », explique-t-il. Le politologue pense que Pravind Jugnauth devra faire une autocritique honnête et sérieuse. « Son avenir politique dépendra de sa capacité à comprendre ce qui s’est passé et de la réponse qu’il y apportera », avance-t-il.
Commentant les résultats de Roshi Bhadain (circonscription n°20) et de Patrick Belcourt (n°19), le Dr Munohur les juge « encourageants ». Il est essentiel, selon lui, que d’autres individus et mouvements politiques puissent émerger. « Il faut entendre d’autres voix et promouvoir de nouvelles propositions politiques », souligne-t-il. Cependant, il reconnaît que cela nécessite un travail difficile et ardu, qui ne pourrait porter ses fruits que si les intéressés savent naviguer dans un climat politique propice.
Quant à la défaite de Xavier-Luc Duval au n°18 et d’Ivan Collendavelloo au n°19, le Dr Munohur estime que l’avenir nous dira ce qu’il adviendra d’eux. « Ils pourraient faire face à des années difficiles, selon la gestion du nouveau gouvernement », dit-il.
Pour lui, en politique, il y a une vérité universelle : « les héros d’aujourd’hui » peuvent devenir « les zéros de demain », et inversement. « Il suffit parfois de savoir attendre que l’électorat retourne la table politique », commente-t-il.
Après deux tentatives infructueuses en 2014 et 2019, le Dr Munohur pense que Navin Ramgoolam a su attendre son heure. « Il a résisté aux pressions pour un renouvellement de son parti, et cela lui a
réussi », fait-il ressortir. C’est aussi le cas pour Paul Bérenger, qui retrouve les bancs de la majorité après presque 20 ans. « Ils savent que la roue politique tourne naturellement et qu’il est important de savoir attendre son moment. Maintenant qu’ils sont de retour, ils devront prouver que les Mauriciens ont eu raison de leur faire confiance. » Selon lui, les Mauriciens les attendent notamment sur les questions du pouvoir d’achat et de la méritocratie.
Troisième 60-0
Jamais deux sans trois, dit-on. C’est ainsi que le Dr Munohur résume ce troisième 60-0 de l’histoire de Maurice, après ceux de 1982 et 1995. « Ce 60-0 est le premier du XXIe siècle », dit-il. En se basant sur les deux précédents, il estime que le pays a de quoi être inquiet pour le nouveau gouvernement. « Un 60-0 n’est jamais bon : la démocratie a besoin de contradictions et de voix discordantes au Parlement. Nous avons vu comment les pratiques de l’ancien Speaker ont étouffé ces voix, et le résultat est là », dit-il.
Un 60-0 donne aussi la possibilité au gouvernement de faire passer des amendements à la Constitution. « Certains de ces amendements peuvent être nécessaires, comme la modernisation du système électoral ou la question du financement des partis politiques. Mais d’autres peuvent être dangereux, notamment s’ils touchent aux identités politiques à Maurice », conclut-il.
Campagne particulière
La campagne de 2024 a été marquée par la diffusion des enregistrements de « Missie Moustass », qui ont dénoncé certaines pratiques du gouvernement sortant et de certaines institutions. Pour le Dr Munohur, ces « leaks » ont joué un rôle essentiel dans le basculement de certains blocs de vote. « Nous avons assisté à une campagne électorale unique, où le numérique, avec ses ‘fake news’ et ses ‘leaks’, a aussi pesé. Chaque jour apportait son lot de révélations », dit-il.
Pour Jocelyn Chan Low, les enregistrements ont fait échouer la stratégie du gouvernement, qui avait misé sur les allocations et hausses des prestations sociales pour gagner les faveurs de la population.
Le Dr Munohur pense qu’il sera essentiel d’enquêter sur ces « leaks ». « Il est stupéfiant que des citoyens soient mis sur écoute et enregistrés. Si ces écoutes touchent même aux lignes sécurisées du PMO, nous avons un sérieux problème de sécurité nationale », souligne-t-il.
Le politologue appelle aussi à un cadre légal pour contrôler les réseaux sociaux. « Nous devons trouver un équilibre démocratique pour poser des limites tout en respectant la liberté d’expression », soutient-il.
Manque de confiance
Laura Jaymangal, Executive Officer de Transparency Mauritius, estime que les tensions survenues après la fermeture des centres de vote démontrent « un réel manque de confiance » dans le système. « Le prochain gouvernement a beaucoup à faire pour restaurer la transparence et rassurer la population », affirme-t-elle. Elle déplore également les violences observées. « Il est essentiel de prendre en compte ces éléments pour éviter de telles situations à l’avenir », insiste-t-elle.
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