Il manquait un guide littéraire mauricien pour ceux qui voulaient découvrir les contributions trilingues dans ce domaine des origines à ce jour. C’est le Dr Issa Asgarally qui s’y est collé, fort lui-même de ses propres apports, mais aussi grâce à un regard encourageant en faveur de l’écriture.
L’aventure de la littérature ressemble à un long fleuve calme, très rarement marquée par des turbulences (la seule (me)connue est l’ouvrage de Lindsey Collen « The Rape of Sita » (encore frappé de censure). C’est un cours d’eau un peu paresseux que Issa Asgarally s’emploie à maintenir le rythme depuis plus d’une trentaine d’années déjà à travers son émission à la MBC. Infatigable lecteur et découvreur de talents, il manquait à son crédit cet ouvrage intitulé « Maurice Une Anthologie littéraire- de 1778 à nos jours », qui bénéficie d’une préface de son ami nobélisé J.MG. Le Clezio, lequel est aussi président du concours littéraire Jean Fanchette organisé par le même Asgarally à la mairie de Beau-Bassin/Rose-Hill.
Publicité
Pour éviter tout malentendu, Issa Asgarally prend le soin d’indiquer que « cette anthologie n’est pas un annuaire, un musée, un palmarès ou un inventaire. C’est tout simplement une invitation à un voyage de découverte des auteurs que j’apprécie, que je connais parfois personnellement et de leurs textes qui me sont chers. Son ambition est d’être un guide amical qui peut aider chacun à ouvrir sa propre route dans l’infini labyrinthe des livres ». Comme pour donner corps à ces propos, Jean-Marie Gustave Le Clezio n’hésite pas à décrire l’ile Maurice comme « une ile où on écrit », faisant ressortir qu’il n’y a sans doute pas d’endroit au monde qui compte plus d’écrivains au kilomètre carré. « Le bonheur d’écrire et la joie de lire font partie de l’âme mauricienne. Si le sucre est le sérum amer qui a nourri son esprit, on pourrait dire que la littérature fut le sang qui nourrit son esprit et lui apporte vérité et liberté », renchérit-il.
Bernardin de Saint-Pierre
C’est avec un récit de Bernardin de Saint-Pierre, intitulé « Voyage à l’Isle de France » que s’ouvre l’anthologie. Un texte qui abonde en noms propres à l’ile Maurice, comme ‘L’anse de tamarin’, ‘la rivière noire’ ou encore ‘Flacq’. L’auteur de Paul et Virginie livre une des premières descriptions des colonies sans jamais tomber dans les clichés, ce qui fera le bonheur des salons parisiens. Il échut tout naturellement à Vinesh Hookoomsing d’introduire « Essais d’un Bobre africain », un des premiers textes en créole de François Chrétien, « Commissaire civil d’un quartier puis interprète pour le patois créole près du Tribunal », selon une notice dans la Bibliographie des Patois créoles des Mascareignes de T. Sauzier. « Au moment de la parution du recueil, explique Vinesh Hookoomsing, François Chrétien a 55 ans et la langue créole de l’ile Maurice moins d’un siècle d’existence. Loin d’être un ouvrage d’inspiration africaine, les ‘Essais’ ne se départissent pas de la tradition ovaliste, et les poèmes de Chrétien sont soit composés sur des airs empruntés aux chansonniers français soit des adaptations libres des fables de la Fontaine ».
Hart mélancolique
Au nombre des voyageurs cités dans l’ouvrage, il convient d’ajouter d’abord l’illustre Charles Baudelaire pour son poème ‘une dame créole’ et son hommage rendu à sa muse Jeanne Duval à travers le poème « La chevelure’. L’autre voyageur, moins connu, est le navigateur anglo-polonais Joseph Conrad dont Issa Asgarally a retrouvé quelques lignes en anglais où Conrad décrit une maison durant son séjour de deux mois à Maurice. Plus loin, à la faveur de quelques poèmes extraits du recueil « L’ombre étoilée » de Robert Edward Hart, Kavinien Karupudayan explique comment ce dernier a renoncé au registre traditionnel poétique et romantique, pour épouser la cause parnassienne puis celle du symbolisme. « On y trouve un Hart mélancolique qui exalte l’amour et un Hart nostalgique rendant hommage à des êtres et a des choses chères à son cœur », note Kavinien Karupudayan.
L’ouvrage d’Issa Asgarally, le premier du genre, est une référence indispensable compte tenu de la personnalité."
Savinien Meredac, de son vrai nom Auguste Esnouf, ne pouvait être absent de cet ouvrage tant son nom est régulièrement cité comme un des pionniers de l’utilisation des mots proches du créole dans ses ouvrages. L’anthologie propose à juste titre un extrait de son roman « Polyte », présenté comme le « premier roman mauricien », où le personnage central, un pêcheur nommé Polyte Lavictoire, se bat pour garder un lopin de terre hérité de son grand-père. C’est encore sous la plume de Kavinien Karupudayan que nous découvrons la prose de Permal Soobrayen intitulée « Chants contemplatifs ». Comme certains écrivains, ce dernier, natif de Port-Louis a été typographe avant de lancer sa propre imprimerie. Selon Kavinien Karupudayan, Permal Soobrayen maitrisait au moins cinq langues, dont sa langue ancestrale, le tamoul. Nourri d’humanisme, ce dernier, explique Kavinien Karupudayan, « s’est servi des ‘fleurs de la poésie’ pour composer des chants à travers desquels il demande aux gens de faire de la charité, de se défaire des vices qui causeront leur ruine, mais aussi de se cultiver. Pour lui, un des plus grands défauts de l’homme est l’ignorance ».
Prose ‘chazalienne’
Pour présenter Malcolm de Chazal, Issa Asgarally a choisi « Petrusmok », le texte le plus symbolique de l’auteur entre « délire hallucinatoire pour certaines, merveilleuse mythologie pour d’autres » ainsi que quelques-uns de ses articles de presse. Pour quitter l’énigmatique prose ‘chazalienne’, il faut s’attarder auprès d’un de ses contemporains, un autre indépendantiste au sein de la rédaction d’«Advance ».
Figure centrale de la littérature mauricienne, mais trop souvent reléguée derrière les ‘stars’ francophones, Marcel Cabon trouve sans doute sa meilleure critique sous la plume d’Aslakha Callikan-Proag, laquelle dépeint Ram, le personnage central de ‘Namasté’ comme l’illustration du « tragique de l’homme plein de bonne volonté qui voudrait tout faire pour le bien du village et éventuellement celui du pays, mais qui paradoxalement choque ces mêmes villageois, les dérange et lorsqu’il est enfin toléré, éprouve avec violence le choc de la mort de sa femme et devient fou ».
‘Tizan’
Le texte « Tention Caïma », de René Noyau et Rosieb Ahjo, transcription d’un conte populaire raconté par Lucas Lebrun, présente un double intérêt, en ce qu’il introduit pour la première fois dans l’anthologie le personnage de ‘Tizan’ et donne à lire un récit dans un créole encore francisé. Quant à Jean Fanchette, formé à la psychanalyse à Paris, il doit sa visibilité à Maurice grâce à Issa Asgarally, son ami de longue date et lequel lui a témoigné sa reconnaissance en donnant son nom au prix littéraire décerné par la mairie des Villes-Sœurs. Le texte publié dans l’anthologie, « Du côté de Schlomo », qui est une nouvelle que Jean Fanchette a envoyé à Issa Asgarally pour le magazine ‘Italiques’, vaut pour ses références à l’ile Maurice, le reste étant une réflexion-fiction sur la politique française.
L’ouvrage d’Issa Asgarally, le premier du genre, est une référence indispensable compte tenu de la personnalité de son auteur et de son engagement volontariste dans le champ littéraire local. La diversité du livre, les textes retenus et le choix judicieux de publier en version originale certains textes - tamoul et hindi -, ajoutent à la crédibilité de cette anthologie. De Basdeo Bissoondoyal à Marie-Thérèse Humbert, en passant par et, entre autres, Ananda Devi, Barlen Pyamootoo, Sydney Selvon et Jocelyn Chan Low, Issa Asgarally a manifestement cherché à brasser large. Le résultat est tout simplement à la hauteur des ambitions de l’auteur.
« MAURICE, une Anthologie Littéraire, de 1778 à nos jours » proposée par Issa Asgarally Préface de Jean Marie-Gustave Le Clezio Imprimé par Précigraph
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !