
Face au manque criant de médecins et d’infirmiers, le ministère de la Santé tente de redresser la barre. Mais selon plusieurs professionnels, ce rattrapage tardif n’aura pas d’effet immédiat. Les conséquences d’une planification déficiente se feront sentir pendant plusieurs années.
Pour pallier le manque de médecins et d’infirmiers, le ministère de la Santé déploie tous les moyens possibles afin d’éviter un effondrement du système public. Mais cette reprise des recrutements, après plusieurs années de stagnation, ne changera rien dans l’immédiat, affirment les professionnels de santé.
Publicité
Selon eux, le personnel déjà sous pression continuera à faire face à des conditions difficiles pendant encore plusieurs années. Le véritable soulagement ne devrait arriver, au mieux, que dans trois ans — voire cinq — le temps que les nouvelles recrues soient formées.
Manque de planification
« Il y a un manque énorme de personnel soignant, tant chez les médecins que les infirmiers. C’est le résultat d’une mauvaise planification », avance le Dr Vinesh Sewsurn, président de la Ministry of Health Officers Association (MHOA). Selon lui, les recommandations du Pay Research Bureau concernant le recrutement n’ont pas été suivies.
Le Dr Sewsurn accuse les différents ministères, y compris celui de la Santé, de ne pas avoir respecté leur devoir de planification des ressources humaines. Il pointe également du doigt le ministère des Finances, qui aurait, dans certains cas, refusé des demandes de recrutement faute de budget, selon lui. « Tout passe par une planification. Le ministère concerné doit faire une demande budgétaire au ministère des Finances, qui accorde ensuite les fonds nécessaires au recrutement. Si ce travail n’est pas fait, les postes restent vacants. »
Le président de la MHOA détaille la chaîne administrative : une fois les fonds approuvés, les postes sont dans le Civil Establishment Order (CEO), qui fixe le nombre de postes et de vacants. Ce n’est qu’à ce stade que la Public Service Commission (PSC) peut lancer les appels à candidatures.
Selon lui, la MHOA a vainement alerté depuis plusieurs années les autorités sur la pénurie de personnel. Il estime que les cadres administratifs — directeurs des services de santé et Senior Chief Executive (SCE) — n’ont pas assumé leurs responsabilités. « Peu importe le gouvernement, le travail administratif doit se faire », dit-il.
Le Dr Sewsurn rappelle que dès 2016, lors de l’introduction du Shift System, le syndicat avait averti que sans recrutement régulier, le système finirait par s’essouffler. « Aujourd’hui, les centres de santé régionaux travaillent sous pression, et dans les hôpitaux, le personnel doit faire des heures supplémentaires pour compenser le manque d’effectif », déplore-t-il.
Rattraper le temps perdu
Le ministre de la Santé, Anil Bachoo, a reconnu au Parlement que son ministère a été « obligé » de recruter des médecins et des infirmières retraités de moins de 70 ans à cause de la grave pénurie. « Nous sommes contraints de le faire, car le gouvernement précédent n’avait rien entrepris dans ce domaine », a-t-il déclaré. Cependant, pour les professionnels du secteur, ces mesures d’urgence ne résoudront pas le problème de fond. « Lorsqu’il y a une sécheresse, un jour de pluie ne remplit pas les réservoirs. »
Le ministre Bachoo a également annoncé qu’un plan à long terme est en préparation pour mieux gérer le personnel médical et infirmier. Mais le président de la MHOA estime que ce travail aurait dû être confié à ceux qui connaissent la réalité du terrain.
Le ministre a précisé que cette étude des besoins en main-d’œuvre est menée en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Elle doit permettre d’évaluer le nombre de médecins et d’infirmiers nécessaires dans l’avenir, afin d’assurer une planification efficace des ressources humaines.
Relation tendue
Le Dr Sewsurn déplore « l’absence de dialogue » entre le ministère et les représentants du personnel. « Il y a une pénurie aiguë de médecins et d’infirmiers, une fuite vers le privé ou vers l’étranger, et rien n’est fait pour freiner cette hémorragie. »
Ram Nowzadick, président de la Nursing Association, confirme que les recrutements récents restent limités. Dans certains hôpitaux, à peine deux à dix infirmiers supplémentaires ont été recrutés. « Il y a eu de nombreux postulants, mais seulement une soixantaine ont finalement accepté, et certains se sont désistés », explique-t-il.
Il précise que 300 « trainee nurses » environ ont été recrutés et affectés dans les hôpitaux régionaux. Leur formation n’a pas encore démarré, mais ils commenceront bientôt à apprendre sur le terrain tout en suivant leurs cours. « Ils seront une aide précieuse pour le personnel déjà en place », estime Ram Nowzadick. Il s’interroge toutefois sur la capacité de la School of Nursing à accueillir les prochaines cohortes en 2026 et en 2028. « Il faudra une grande organisation pour assurer la formation. Nous devons mobiliser d’autres centres pour soutenir cet effort. »
Incitations
Le président de la Nursing Association estime que les recrutements doivent devenir réguliers, à raison de 250 environ par semestre, pour stabiliser le système. Il prévient qu’en l’absence de mesures incitatives dans le prochain rapport du PRB, de nombreux aspirants risquent de quitter le service public. « Il faut des salaires décents et une meilleure reconnaissance pour éviter que les infirmiers partent ailleurs. Ceux qui reviennent après la retraite devraient aussi être mieux rémunéré », estime-t-il.
Pour lui, renforcer le service public est une priorité. « Mieux vaut avoir des infirmiers en formation que de ne rien avoir du tout. Si le système public ne fonctionne pas, les patients n’auront d’autre choix que de se tourner vers le privé, malgré les coûts exorbitants », soutient-il.
Recrutement des infirmiers à la retraite : un flop
Le recrutement d’infirmiers retraités de moins de 70 ans n’a pas rencontré le succès escompté. Selon Ram Nowzadick, ils ont été peu nombreux à répondre à l’appel et le nombre de ceux qui restent est bien minime. D’autres appels à candidatures sont toutefois prévus.
Épée de Damoclès
Alors que le ministre Anil Bachoo a indiqué que 120 médecins ont été autorisés à poursuivre leur post-graduation, le Dr Vinesh Sewsurn estime que certains d’entre eux ont pris un congé sans solde pour leurs études, tandis que d’autres ont probablement quitté le service public de santé. Selon lui, une véritable épée de Damoclès plane sur ce secteur : les jeunes médecins ne sont plus disposés à se tuer à la tâche après de longues années d’études pour un salaire dérisoire et dans des conditions de travail déplorables. « Si ceux qui sont partis pour parfaire leurs connaissances et leurs compétences trouvent de meilleures opportunités ailleurs, ils n’hésiteront pas à s’en aller », déclare le président de la Ministry of Health Officers Association.
Il espère néanmoins que ceux actuellement en formation à l’étranger reviendront par la suite pour mettre leurs compétences au service du pays. Dans le cas contraire, le système de santé mauricien risque de s’effondrer. « La balle est désormais dans le camp du PRB, puisque nous sommes à l’aube d’un nouveau rapport. S’il s’avère défavorable et qu’il ne propose aucune amélioration des conditions de travail et de rémunération, il y aura de nombreux départs. »
Le rapport du PRB devrait être finalisé vers la fin de cette année et publié au début de 2026. « De nombreux médecins l’attendent avec impatience. Ils espèrent un salaire décent, en ligne avec ce qui se pratique à l’étranger ou dans le secteur privé. » Selon le Dr Vinesh Sewsurn, la concurrence dans ce domaine est déjà féroce et risque de s’accentuer avec les nouvelles opportunités et la construction d’établissements privés financés par des investisseurs étrangers.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !