Divers médicaments sont détournés de leur utilisation. Ils sont absorbés par des polytoxicomanes avec la « complicité » des médecins et pharmaciens véreux. Une dizaine d’entre eux est dans le collimateur de la brigade anti-drogue qui tente de venir à bout de ce phénomène.
Publicité
Un client qui se présente au comptoir d’une pharmacie avec une ordonnance en main est une pratique courante. Mais dans le cas de certains médicaments contenant la prégabaline, diazépam et certains sirops contre la toux à base de codéine, la méfiance s’est installée. Cela au point où les mots « connivence » ou « prescription de complaisance » sont sur presque toutes les lèvres tant chez les professionnels de la santé que certains travailleurs sociaux.
Ils soupçonnent une mauvaise utilisation de ces médicaments dans bien des cas. « Il s’agit de polytoxicomanes, des jeunes pour la plupart », lance Brigitte Michel de l’Organisation non gouvernementale Ailes. Ces derniers, dit-elle, « prennent ces produits en grande quantité. Quand on ne respecte pas la dose, cela donne l’effet euphorique qu’ils recherchent. Parfois, ils mélangent les médicaments avec des boissons alcoolisées ou d’autres médicaments sans réaliser les conséquences que cela peut avoir sur leur santé. »
Une pharmacie des hautes Plaines-Wilhems est pointée du doigt. « Nous pensons qu’elle fait partie des officines qui alimentent la Cité Mangalkhan », ajoute Brigitte Michel qui semble ne pas avoir froid aux yeux pour dénoncer cette pratique. Elle affirme, en effet, que de nombreux jeunes ont succombé à ce fléau et arrivent à se procurer ces produits qui se vendent au marché noir. Elle déplore aussi le fait que certains de ces médicaments sont parfois en rupture de stock dans des pharmacies.
Marché noir
D’autres de les vendre à de véritables patients qui ont besoin de ce médicament pour leur traitement, selon Brigitte Michel. « Ces pharmacies préfèrent les vendre au marché noir afin de se faire plus d’argent » dit-elle. De Rs 8 à Rs 10 selon le type de médicament, au marché noir le prix grimpe de Rs 50 à Rs 100, affirme-t-elle. C’est ce que soutiennent aussi des pharmaciens et de la brigade anti-drogue sous le couvert de l’anonymat (voir hors texte).
Or, ajoutent-ils, ces médicaments peuvent être vendus uniquement sur ordonnance ! D’où les soupçons de connivence et ordonnance de complaisance qui sont souvent évoqués. Si Brigitte Michel n’hésite pas de parler de ce phénomène qui n’est certes pas nouveau mais qui perdure en dépit des différentes mesures prises par le ministère de la Santé par exemple, d’autres travailleurs sociaux disent ne pas être au courant de la situation.
Chose que déplore Ally Lazer. Selon lui, du nord au sud, l’abus des médicaments tels la prégabaline est bel et bien réel. « Je suis sur le terrain, je vois ce qui se passe. Il y a un trafic qui se déroule entre certains médecins et pharmacies », dit-il. Comme c’est le cas pour les drogues dures, il affirme qu’il est en train de compiler un dossier sur ceux qu’il soupçonne être impliqués dans ce genre de trafic. Pour lui, ils sont du même gabarit que les trafiquants de drogue, car ils n’hésitent pas à se faire de l’argent sur le « cadavre » des jeunes (voir hors texte).
L’enivrement assuré
Ally Lazer envisage également de rencontrer le ministre de la Santé pour évoquer l’ampleur de ce problème. Certains pharmaciens dénoncent également la mauvaise utilisation de la prégabaline, entre autres médicaments. L’un d’eux, qui est aussi un importateur, explique que la Prégabaline est un excellent médicament que les chirurgiens en orthopédie prescrivent à leurs patients pour calmer leurs douleurs. Le médicament est aussi utilisé par les diabétiques en cas de problème neurologique.
« Quand on prend ce médicament, en sus de calmer efficacement la douleur, cela a un effet de somnolence. Mais pris en surdose ou avec d’autres produits, c’est l’enivrement assuré », dit-il. La vente de ces produits étant tout à fait légale, le contrôle par le ministère de la Santé est difficile. D’où les difficultés pour contrecarrer l’abus de ces produits, avoue notre interlocuteur. Un avis que partage aussi le Dr Ishaq Jowahir, vice-président de la Private Medical Practionners Association.
« S’il y a des brebis galeuses comment allons-nous le savoir ? ». L’importateur renchérit et se demande s’il ne faudrait pas interdire aux médecins généralistes la prescription de la prégabaline qui est utilisée dans des cas bien précis. La Pharmaceutical Association of Mauritius (PAM) a alerté le Medical Council afin qu’une solution puisse être trouvée par rapport à cette situation. Parmi, le spécimen de signature des médecins afin de pouvoir mieux authentifier une ordonnance ainsi que l’obligation des pharmaciens pour vendre un produit quand le client présente une ordonnance.
La Pharmacy Act stipule, en effet, que les pharmacies ne peuvent refuser la vente de médicaments quand un patient leur présente une ordonnance surtout si le paiement se fait en liquide. Mais s’ils ont des soupçons, ils doivent en avertir les autorités, comme le stipule la Section 19 (3)(d) de la Dangerous Drugs Act (voir hors texte). Faisal Elyhee, président du Pharmacy Council, explique pour sa part que l’instance ne peut agir qu’au cas où une plainte a été faite.
« Nous pouvons agir uniquement quand des cas de mauvaises pratiques nous sont référés, mais nous ne pouvons pas intervenir dans le commerce des médicaments », explique-t-il.
Véritable réseau de fournisseurs
Les pilules et la codéine sont les drogues des débutants. Selon la police, elles sont consommées davantage par les collégiens et les jeunes adultes. Ce phénomène ne passe pas inaperçu aux yeux de la police. Du côté de l’Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU), on explique que le trafic se fait de plusieurs façons avec la complicité à la fois de certains médecins, gérants de pharmacie et des toxicomanes.
L’un des aspects du trafic auquel s’intéresse la brigade anti-drogue est celui des fausses ordonnances. L’astuce est comme telle: certains médecins qui sont dans le viseur de l’ADSU délivrent des ordonnances pour des médicaments à base de la prégabaline, de codéine ou de diazépam. Toutefois ce service n’est, en aucune façon, gratuit ces médecins prescrivent le médicament pour Rs 200.
Dans certains cas, il n’y a pas de contact direct entre le client et le médecin. C’est un intermédiaire qui soumet l’ordonnance et qui encaisse l’argent. De cette façon, le médecin se protège. Le client, pour sa part, ne paie pas le prix du médicament au marché noir car il est en possession d’une ordonnance. Il y a ensuite, des jeunes polytoxicomanes qui sont en contact direct avec des pharmacies.
Des « habitués »
Ces derniers sont des habitués et, très souvent, ce sont eux qui agissent comme intermédiaires entre la pharmacie et les clients. Seuls ces toxicomanes pourront acheter des médicaments sans ordonnance. Ces derniers font, chaque jour, plusieurs allers-retours entre les pharmacies et les coins de rue où attendent les clients. Dans certains cas, les pharmacies vendent les médicaments directement aux clients sans ordonnance.
Comment est-ce possible ? Une source de l’ADSU affirme que les astuces ne manquent pas. « Nous avons déjà arrêté des propriétaires de pharmacie qui ne maintenaient pas leurs livres de médicament à jour. » Ces pharmaciens ne notent pas les ventes de médicaments à base de codéine, de la prégabaline ou de diazépam. D’ailleurs, certains arrivent même à stocker plus que le quota autorisé. Le surplus est vendu au marché noir.
« Nous ne comprenons pas comment certaines pharmacies arrivent à fausser leur quota », souligne la source de la brigade anti-drogue. Il fait ressortir que l’unité spécialisée est sur la piste d’un médecin du public et presqu’une demi-douzaine de médecins du privé. D’ailleurs, deux à trois pharmacies par région sont sous surveillance. « Il y a un médecin en particulier qui est dans le collimateur de l’ADSU. Il est connu pour délivrer des ordonnances aux toxicomanes. »
Pour arrêter ce trafic, la brigade anti-drogue s’attaque à la source du problème. « Nous avons effectué des descentes dans des pharmacies et aussi chez des médecins. Des enquêtes sont en cours mais la surveillance se poursuit pour coincer ceux qui sont à la source de ce trafic. »
Déclassification
Avec l’ampleur qu’a prise l’usage abusif de la prégabaline, le ministère de la Santé a classifié ce médicament et tous ses dérivés sous la troisième cédule de la Dangerous Drugs Act. Le médicament s’est ainsi retrouvé dans la même liste que les psychotropes avec un contrôle encore plus sévère. C’était suite aux nouveaux règlements apportés à la section 60(2) de la Dangerous Drugs Act qui a pris effet le 11 septembre 2015.
Les effets de la prégabaline
La prégabaline est un médicament prescrit pour le traitement de douleur neuropathique périphérique comme chez les diabétiques. Il est aussi utilisé pour le traitement de crises d’épilepsie partielles. En cas de surdosage, le médicament provoque la somnolence, la confusion, la nervosité et l’agitation.
Les médicaments se vendent à prix d’or
Les médicaments sont de véritables mines d’or pour certains trafiquants et pharmacies. Au marché noir, les prix des médicaments sont décuplés. Certaines pilules se vendent jusqu’à Rs 100 l’unité.
|
Médicaments détournés
Arshad Saroar, vice-président de la Pharmaceutical Association of Mauritius : «Le Pharmacy Council de Maurice travaille sur un code de conduite»
Est-ce la ‘Pharmaceutical Association of Mauritius’ (PAM) est au courant de la connivence voire la complicité qui existerait entre certains médecins, pharmacies et usagers de drogue concernant l’abus de certains médicaments ?
Nous sommes au courant de la complicité qui a cours entre certaines pharmacies du pays. C’est un phénomène mondial. Tout le monde est au courant et des articles de presse ont souligné que des opiacés thérapeutiques (codéine), des benzodiazépines (Valium, Xanax, Rohypnol) et des sérotoninergiques (Prozac, Deroxat) sont détournés de leur usage.
Combien de pharmacies sont impliquées dans ce trafic ?
Très peu de pharmacies sont concernées et c’est surtout celles dont le propriétaire n’est pas pharmacien mais businessman. Toutes les pharmacies du pays se conforment aux règlements sauf quelques brebis galeuses de la profession.
Quelles sont les sanctions qui ont été prises à leur encontre ?
Les autorités font leur travail car des pharmacies et des pharmaciens ont perdu leurs licences. Il y a même celles qui ont dû fermer leurs portes.
Que peut-on faire pour éviter ces mauvaises pratiques ?
Plusieurs programmes de prévention, à l’école, dans les familles et les médias, ont démontré qu’il est possible de prévenir les problèmes d’abus de substances. Lorsqu’on aide les jeunes à comprendre les risques qui y sont associés, l’abus de substances est réduit. Le fait d’encourager la communication à l’intérieur des familles aide à réduire le risque d’abus. Lorsqu’il n’y a pas de demande pour ces substances, cela peut éviter ces mauvaises pratiques. Le ‘Pharmacy Council’ de Maurice travaille sur un code de conduite pour les pharmacies et ce règlement sera introduit très prochainement. Les lois sont déjà établies concernant les drogues à Maurice
Ce que dit la loi
Selon la Section 19 (3) (d), toute personne qui vend des médicaments dangereux sur prescription doit en informer le Permanent Secretary de toute ordonnance suspecte, particulièrement sur la quantité de médicaments prescrits.
Ceux qui donnent des prescriptions de complaisance sont en infraction à la Dangerous Drugs Act. La Section 36 de cette loi stipule que les contrevenants sont passibles d’une amende ne dépassant pas Rs 500 000 et une peine d’emprisonnement de pas plus de 10 ans.
Sous la Pharmacy Act, un pharmacien n’a pas le droit de refuser la vente d’un médicament sur présentation d’une prescription surtout si le paiement va se faire en liquide. Mais il peut différer la vente s’il soupçonne que le médicament va mettre en danger la vie ou la santé du patient et chercher la confirmation du médecin qui a délivré l’ordonnance.
Les ados davantage accros
Il y a un marché pour l’écoulement au marché noir des médicaments, soutient Brigitte Michel. « Avant, les consommateurs mélangeaient des médicaments contre la toux à des psychotropes pour être dans un état de plaisir. La prégabaline a pris de l’ampleur vers 2013, car elle ne coûtait pas cher », dit-elle. Il y avait aussi un manque de psychotropes sur le marché noir, ajoute notre interlocutrice, car ces produits sont plus contrôlés.
« C’est ainsi que des pharmaciens véreux ont commencé à proposer la prégabaline, sur laquelle il n’y avait pas encore de restrictions, à leurs clients habituels qu’ils savaient être des utilisateurs de drogue. Ce médicament, mélangé à un sirop contre la toux, est alors ingéré pour son effet euphorisant. Ils sont nombreux les consommateurs qui sont tombés dedans et ces pharmaciens malhonnêtes ont trouvé un moyen de se faire plus d’argent. De Rs 10 à Rs 25, le prix a grimpé jusqu’à Rs 125 sur le marché noir. »
Les jeunes de 14 ans à monter sont parmi les plus grands consommateurs de ces produits. D’autres ont voulu faire comme leurs « amis » et n’ont pas résisté à la tentation. Mais ce n’est pas limité aux jeunes, souligne Brigitte Michel, il y a aussi des adultes qui en consomment quand ils ne trouvent pas leurs drogues habituelles.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !