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Tout savoir sur la commission rogatoire

Une commission rogatoire a été accordée par un ordre de juge le 9 juin 2019.
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L’affaire Jean Hubert Celerine, aussi connu comme Franklin, 33 ans, suscite plusieurs questions. Notamment concernant l’entraide judiciaire entre Maurice et l’île sœur. Éclairage sur les procédures de la commission rogatoire. 

Une commission rogatoire a, semble-t-il, été tenue à Maurice suivant un ordre de la cour émis le 7 juin 2019, pour recueillir les versions de Jean Hubert Celerine, aussi connu comme Franklin, et Jérémy Désiré Décidé, alias Nono, 37 ans. Mais les procès-verbaux de cette commission n’ont jamais été transmis à la Réunion. D’emblée, la question se pose : qu’est-ce qu’une commission rogatoire ?

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Me Penny Hack.

Me Penny Hack, avocat d’affaires, explique que dans le contexte actuel, il agit d’une demande internationale émanant d’un territoire français concernant une affaire pénale. Normalement, en France, la commission rogatoire est l’acte d’un juge d’instruction qui délègue ses pouvoirs à un magistrat ou à un officier de police. Ce, afin de procéder à sa place et recueillir une ou plusieurs informations ou dépositions. Dans le cas de Franklin, fait-il comprendre, une demande a été faite par voie diplomatique à l’île Maurice afin de permettre au juge d’instruction réunionnais de déléguer certains actes à un officier public ou à un autre juge à Maurice. 

Ce que confirme Me Neelkanth Dulloo, expliquant qu’une commission rogatoire est une entraide judiciaire en matière pénale et internationale. C’est un processus par lequel les États demandent et fournissent une assistance juridique à d’autres États pour la signification d’un acte judiciaire et la collecte de preuves destinées à être utilisées dans des affaires pénales et internationales. The Mutual Assistance in Criminal and Related Matters Act 2003, opérationnel depuis le 15 novembre de cette année-là, a pour objectif de mettre en œuvre l’assistance judiciaire en matière de délits sérieux, entre autres, dit-il.

La demande est faite traditionnellement par voie diplomatique, poursuit-il. Elle est authentifiée par un tribunal compétent de l’État requérant l’entraide judiciaire et délivrée par le ministère des Affaires étrangères de cet État à l’ambassade de l’État requis. L’ambassade transmet alors la demande aux autorités judiciaires compétentes de l’État requis. Une fois la demande complétée, la coopération internationale devient opérationnelle. 

Puisque la commission rogatoire a été accordée par un ordre de juge le 9 juin 2019, Me Penny Hack est d’avis que les autorités mauriciennes devraient respecter leurs obligations, y compris celle de transmettre les éléments recueillis à la Réunion. D’autant que selon Me Neelkanth Dulloo, « le risque de fragmentation des efforts dans ce domaine est réel ». 

Sa raison d’être

« La demande de commission rogatoire n’est possible que si le juge d’instruction se trouve dans l’impossibilité de réaliser lui-même les actes d’instruction. En d’autres mots, un juge réunionnais n’a pas la juridiction d’agir à Maurice. Ce mécanisme est plus souvent utilisé dans le cadre d’une procédure pénale pour une perquisition ou une audition », fait comprendre Me Penny Hack.

La commission rogatoire a toute son importance dans le combat contre la mafia, le crime organisé et le blanchiment d’argent à l’échelle internationale, renchérit Me Neelkanth Dulloo : « L’harmonisation des cadres juridiques aux niveaux national et international est cruciale. La mise en place de procédures et de législations similaires rend la coopération plus facile, efficace et plus rapide. Le plus important, c’est d’harmoniser les procédures juridiques contre la criminalité organisée. »

Qu’advient-il des conclusions ?

Selon Me Penny Hack, au stade de la commission rogatoire, le rôle des autorités mauriciennes sera limité à compléter certains actes d’enquête déterminés et transmettre les éléments recueillis au tribunal de Saint-Denis. Ce sera alors au juge d’instruction de décider de la marche à suivre en se basant sur ces éléments. « N’oublions pas que le présumé délit a eu lieu à la Réunion », rappelle Me Penny Hack. 

Les autorités judiciaires de l’État requérant peuvent communiquer directement avec l’autorité centrale, généralement le ministère de la Justice, les conclusions de l’entraide judiciaire, fait comprendre Me Neelkanth Dulloo. Du reste, « la nature de l’entraide judiciaire, les poursuites ou les procédures judiciaires auxquelles se rapporte la demande, ainsi que leurs conclusions respectives sont toujours des options de dernier recours ». 

Rendre publics les éléments de la commission rogatoire

Tous les éléments de cette commission rogatoire semblent déjà publics et ont été étalés dans la presse, même en l’absence de transmission officielle, fait remarquer Me Penny Hack. De plus, dit-il, il y a eu une « clôture administrative » à la Réunion en 2020, suivie d’un procès au tribunal de St Denis et une condamnation en 2021, avec un jugement relatant tous les faits. « Donc, rendre les éléments du procès-verbal public n’a maintenant aucune pertinence », affirme-t-il.

Me Neelkanth Dulloo n’est toutefois pas d’accord. « Insister sur le fait que le rendre public maintenant est très approprié », insiste-t-il, car « au nom de la transparence, le droit à l’information tend à devenir un droit absolu ».

Huis clos

La commission rogatoire se déroule-t-elle à huis clos ? « Disons qu’elle n’est pas nécessairement publique », répond Me Penny Hack. D’autant que l’interrogatoire ou l’audition pour délit pénal se fait en privé. Bien sûr, dit-il, la personne concernée aura le droit d’être représentée par son avocat. Le procès-verbal de cette audition fera aussi partie de l’enquête à la Réunion et doit normalement rester confidentiel.


Questions à…Me Neelkanth Dulloo : «Il faut une commission d’enquête sur l’affaire Franklin»

neelkanthIls sont nombreux à se demander pourquoi Jean Hubert Celerine n’a pas été extradé à l’île de la Réunion, alors qu’il a été condamné à sept ans de prison pour trafic de zamal. En quoi consiste une entraide judiciaire ? Et quelle a été son implication dans l’affaire Franklin ?
Selon Part I, Part II et Part III du Mutual Assistance in Criminal and Related Matters Act 2003, une entraide judiciaire consiste à recueillir des témoignages, des dépositions, signifier des actes judiciaires, effectuer des perquisitions, des saisies, et demande de gels, examiner des objets et visiter des lieux, fournir des informations, des pièces à conviction, des estimations d’experts, des documents y relatifs tels qu’administratifs, bancaires, financiers, commerciaux et sociétés, identifier ou localiser des produits du crime, des biens, des instruments ou autres, afin de recueillir des éléments de preuve. Et aussi, faciliter la comparution volontaire de personnes dans l’État partie requérant, fournir tout autre type d’assistance compatible avec le droit interne de l’État partie requis.  

Concernant l’affaire Franklin, s’il n’y a pas « any wish as to confidentiality » sous l’article 4(3)(f) du Mutual Assistance in Criminal and Related Matters Act 2003, on pourra rendre public le contenu de l’entraide judiciaire. Cela, du fait que le jugement de l’île de la Réunion est dans le domaine public.

Extrader l’un des nôtres n’est pas gagné d’avance, mais peut se faire s’il y a de la volonté. Les autorités administratives indépendantes nous doivent des explications»

Quid de la procédure d’extradition ?
Les deux conventions de coopération judiciaire entre la France et Maurice en matière pénale et d’extradition, signées le 10 novembre 2022, entreront en vigueur une fois les procédures de ratification complétées dans les deux pays. C’est en 2012 que le Premier ministre d’alors avait commencé les négociations pour structurer les initiatives engagées de part et d’autre en vue de fluidifier les échanges et combattre la criminalité organisée. On peut toutefois extrader une personne vers le pays qui le demande, surtout pour les délits criminels et de trafic de drogue. 

Pourquoi ne pas avoir extradé Franklin ?
Peut-être que les soupçons de l’État requérant n’ont pas été transmis ou établis de bonne foi. Il y a aussi le fait qu’il est Mauricien et, sous l’article 5(2)(b) du Mutual Assistance in Criminal and Related Matters Act 2003, la République peut ne pas collaborer dans l’entraide judiciaire. 

Extrader l’un des nôtres n’est pas gagné d’avance, mais peut se faire s’il y a de la volonté. Les autorités administratives indépendantes nous doivent des explications. 

Peut-on le faire maintenant ? 
Non, pas maintenant. Il fait l’objet d’une accusation provisoire, donc est sous le « judicial control » du pays. De ce fait, il n’a pas le droit de quitter le territoire mauricien, étant sous le coup d’un « prohibition order », une ordonnance d’interdiction de quitter le territoire. Une fois ses affaires légales bouclées, il pourra alors être extradé.

Il n’y a pas de confidentialité absolue dans ce genre de cas. C’est une affaire criminelle liée à la drogue et au blanchiment d’argent»

Franklin a été arrêté à Maurice le 7 février 2023 pour une affaire de blanchiment d’argent. Cela a-t-il une incidence sur son extradition et sa condamnation à la Réunion, en dépit du fait qu’un mandat d’arrêt international a été émis contre lui ?
Il est Mauricien. Rien ne peut se faire à l’encontre de notre Constitution. Pour l’affaire de blanchiment d’argent, il sera jugé à Maurice. Toutefois, il va sûrement défendre toute tentative d’extradition. Après ses affaires pénales ici, il doit impérativement s’occuper de la suite, qui est son extradition pour purger sa peine. 

Maurice pourrait demander qu’il purge sa peine ici…
Il a été condamné à la Réunion. S’il y a une requête pour l’extrader vers la Réunion pour purger sa peine, qui va l’empêcher ? Il n’y a aucune raison pour qu’il purge sa peine à Maurice.

Pensez-vous qu’il y a des lacunes dans cette affaire ?
Il faut une commission d’enquête au plus vite. Il n’y a pas de confidentialité absolue dans ce genre de cas. C’est une affaire criminelle liée à la drogue et au blanchiment d’argent.

En agissant de la sorte, Maurice ne projette-t-il pas une mauvaise image ? 
Si le bureau du Premier ministre n’explique pas clairement ce qu’il se passe dans cette affaire, en conséquence, on devrait impérativement chercher un autre locataire qui aura le courage de le faire.

Cette affaire peut-elle avoir un impact sur la relation entre nos deux pays ?
La convention contre la criminalité organisée exige que les États parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire dans la mesure du possible. Franklin n’est pas le premier et ne sera pas le dernier. Les traités formels ont créé une base plus solide pour la coopération internationale. 

 

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